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Noir et blanc

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« Je voudrais être comme toi. »

Il est mignon, ce gosse. Mignon et attachant. Quand il me parle, il me dévore des yeux, et j’ai l’impression d’être un super-héros. Moi, Florent, super-éduc… J’y croirais presque ! Il est mignon, mais depuis qu’il a quitté le foyer pour cette famille d’accueil, il va mal, ça se voit, et il faut que je trouve pourquoi. Alors je suis là, face à lui, dans la cuisine, et j’essaie de le faire parler un peu.

« Comme moi, c’est-à-dire ? Tu veux être éducateur ? Ou être barbu ? »

L’humour, ça marche à tous les coups. Enfin, presque.

« Non. Je veux pas être éduc, c’est ringard. Et puis la barbe, c’est pour les vieux. »

Touché ! Je suis un vieux ringard ! Même pas mal. Je continue.

« Du coup, si ce n’est ni pour mon boulot de rêve ni pour ma barbe luxuriante, pourquoi veux-tu être comme moi ? » Deuxième touche d’humour, je ne m’avoue pas vaincu.

« Je voudrais être blanc. »

Touché coulé. Je n’ai rien à répondre. Même pas une petite blague de derrière les fagots. Je me tais. Il reprend.

« Tu sais, avant, je m’en fichais d’être noir. Mes parents sont noirs, ma grande sœur est noire… Tout le monde est noir chez nous, depuis toujours. Et puis, dans mon quartier et à l’école, y avait plein d’autres gens qui étaient noirs. Y en avait qui étaient blancs aussi, y avait un peu de tout, en fait. Mais là, dans ma famille d’accueil, c’est pas pareil. Ils sont blancs. Leurs enfants sont blancs. Les voisins sont blancs. A l’école, y a que des blancs. Je suis le seul ici à être noir. »

« Mmm… Et du coup, c’est quoi, le problème ? Tu ne t’entends pas avec eux ? »

Florestan hésite. Il s’empare d’une revue qui traîne sur la table, et la feuillette devant moi.

« Regarde… Lui, il est blanc… lui aussi… et elle, pareil, elle est blanche… Tu vois, dans toutes les pubs de voitures, de parfums, de fringues… ils sont blancs. Regarde autour de nous, y a que des blancs partout. Le président, il est blanc. Les chanteurs, les acteurs, ils sont blancs, à part Omar Sy, mais bon… Tous les gens qui ont les plus beaux métiers, ils sont blancs. Même toi, tu es blanc ! »

« Il y a des footballeurs noirs », dis-je en jubilant, fier de ma trouvaille.

« Je suis nul au foot… », me répond Florestan d’un air blasé.

Je reste muet. De toute façon, aucune blague ne pourrait m’aider.

« A l’école, je travaille, je te jure. Mais de toute façon, ça sert à quoi ? Ils me l’ont dit, ceux de ma classe, que comme je suis noir, je ferai un métier de noir. Et quand j’arrive le matin, ils imitent le singe. C’est pas la famille d’accueil, le problème. Eux, ils sont gentils. Le problème, Florent, c’est tout le reste. Le problème, c’est que je suis noir. »

J’aimerais lui dire que tout ira bien, que le dernier rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme est plutôt optimiste, mais ça ne changera rien au fait que lui, Florestan, 7 ans, est victime de racisme.

Il a reposé la revue. Il me regarde, et je ne suis plus Florent le super-éduc, je suis Florent l’éduc désemparé. Et, ses yeux plongés dans les miens, il me redit cette phrase terrible :

« Je voudrais être blanc. »

La minute de Flo

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