La différence principale avec le modèle français est que, au Japon, depuis 2000, il existe une assurance dépendance spécifique, une assurance soins de longue durée. Elle se présente comme une assurance retraite ou chômage. A savoir que tous les Japonais cotisent dès l’âge de 40 ans, même les retraités, en fonction de leurs revenus. A noter qu’une part est prise en charge par les entreprises pour les salariés.
La réflexion japonaise est de dire que, comme nous entrons dans une société de la longévité(1), il y a un nouveau risque à prendre en charge : le besoin de soins de longue durée. Il faut donc créer un cinquième risque obligatoire, réservé non pas au grand âge mais à toutes les personnes qui ont ce risque. Pour la France, cela reviendrait à abattre les frontières entre l’invalidité, le handicap et la vieillesse. Il est inconcevable que l’on ait encore, en France, deux systèmes dont l’un (celui pour les personnes handicapées) est beaucoup plus généreux que l’autre (celui pour les personnes âgées). Cela ne se justifie pas.
Vous payez une cotisation qui vous donne des droits. Exactement comme dans l’assurance maladie en France. C’est une assurance obligatoire, cela veut dire que l’on ne s’en tire pas seul. C’est l’idée de la répartition que l’on retrouve dans la retraite et dans l’assurance maladie. C’est-à-dire que les bien-portants paient pour les malades, et les actifs pour les retraités. Il y a une idée de solidarité.
Il existe effectivement une grille de niveau de dépendance, qui va déterminer le montant maximal de l’aide à laquelle la personne âgée peut prétendre. Concrètement, le Japon se fonde sur des grilles à 74 points de contrôle. Ces dernières permettent de classer la perte d’autonomie sur deux niveaux de prévention et cinq niveaux de dépendance. La prestation délivrée l’est en services, et non en espèces, avec une capacité de choix. Compte tenu de l’évaluation de votre état de santé, vous avez droit à tel type de prestation et pouvez choisir d’entrer dans un établissement médicalisé ou d’avoir des services d’aide et de soins à domicile. Il n’y a pas d’autorité de placement. En France, une personne qui se casse le col du fémur et que l’on juge incapable de retourner chez elle sera placée en Ehpad. Ce n’est donc pas son choix. Au Japon, on est libre de choisir.
Ce sont des prestations à domicile, l’accès à des centres de jour et à une équipe locale de professionnels, diplômés d’Etat, allant de l’équivalent de l’auxiliaire de vie sociale au « care manager » – un poste que nous n’avons pas en France. Ces prestations de services fonctionnent sur le mode du tiers payant. C’est-à-dire que c’est une somme allouée compte tenu de l’état de santé et du niveau de revenus du bénéficiaire. Si celui-ci dépasse un certain montant de revenus, il va devoir payer une part. Il y a donc un reste à charge, actuellement de 10 % mais qui va peut-être passer à 20 % en raison du vieillissement du Japon.
C’est un professionnel qui, après avoir évalué votre niveau de dépendance, est chargé de la coordination. Il est l’intermédiaire entre le demandeur et le service prestataire. C’est lui qui dit si telle ou telle personne a droit à un plan de « care » personnalisé, qui en définit son montant de prestations. En fonction de ce montant, la personne âgée choisit entre les services et les établissements auxquels elle est éligible. Pour être care manager il faut obtenir un diplôme d’Etat de niveau élevé. Au Japon, la filière professionnelle a été élaborée en même temps qu’ils ont constitué la nouvelle assurance. Ils ont créé des diplômes d’Etat relativement exigeants, et le care manager en est le niveau supérieur. En France, on pourrait le considérer comme un cadre.
Dans les dernières réformes, en 2005, ils ont opté pour l’introduction d’une stratégie de prévention. Ce qui est indispensable selon moi. Dans l’évaluation effectuée par le care manager, il y a désormais un niveau de prestation de prévention avec toute une gamme de nouveaux services accessibles : aide au maintien à domicile, au maintien des aptitudes, centres d’accueil de jour pour les personnes ayant des problèmes de mémoire sur lesquels on peut avoir un impact positif, etc. Cet éventail de services destinés à la prévention va même faire l’objet d’un plan, d’un programme de « care » personnalisé pour les personnes. Cela me semble très important.
Tout d’abord, j’ai très peur que cette loi soit au rabais car, selon moi, la concertation a été bâclée. Cela dit, je pense qu’il faut prendre exemple sur le modèle japonais. Le rapport « Libault » diagnostiquant la filière professionnelle comme une priorité absolue, on a, avec le Japon, un parfait exemple de ce qu’il faut faire. La création d’une assurance soins de longue durée avec, en parallèle, la mise en place d’une vraie filière professionnelle, avec une valorisation des personnels qui interviennent, est tout à fait intéressante. Il faudrait s’en inspirer largement. J’insiste sur le fait qu’il ne faut pas parler d’assurance dépendance, mais bien d’assurance soins de longue durée. C’est important. Il faut arrêter de parler de perte d’autonomie, de dépendance. Nous sommes les seuls au monde à parler comme ça. Ce n’est plus possible ! Il faut sortir de la discrimination du grand âge. D’autant que nous ne savons rien sur les centenaires de demain. Ils ne seront pas du tout comme ceux d’aujourd’hui. Ils ne seront pas dépendants de la même manière.
des universités en sociologie et membre du Conseil d’orientation des retraites et du conseil de l’âge, Anne-Marie Guillemard a codirigé en 2017 l’ouvrage Allongement de la vie. Quels défis ? Quelles politiques ? (éd. La Découverte).