Plusieurs initiatives comme le restaurant nantais Le Reflet ont prouvé qu’il est tout à fait possible pour les personnes présentant une déficience mentale de travailler en milieu ordinaire, à partir du moment où elles ont trouvé leurs repères. Mon expérience à Mézin, où 85 % des personnes suivies par l’Esat souffrent de schizophrénie, m’a toutefois appris que c’est plus compliqué pour le handicap psychique. Le moindre grain de sable peut faire repartir à la case départ. Il suffit parfois d’un changement sur le poste de travail, d’une réflexion a priorianodine pour que la maladie revienne et que la personne craque. Je reste donc prudent. Je me souviens notamment d’un salarié qui avait quitté l’Esat pour créer sa propre entreprise. Tout s’est bien déroulé durant cinq ans jusqu’à ce qu’il pense qu’il était guéri, et qu’il commence à négliger son traitement. La maladie a repris le dessus, l’entreprise s’est écroulée, il s’est enfui et on l’a retrouvé dans un état lamentable de persécution et d’hallucinations. A ce jour, il est toujours en hôpital psychiatrique.
Oui, car il y a malheureusement des personnes qui ne pourront jamais intégrer le milieu ordinaire et il faut les respecter. Sur les 70 usagers de l’Esat de Mézin, une vingtaine sont destinés à y rester durant toute leur carrière. Deux d’entre eux ont même été sollicités lors des dernières élections municipales pour se porter candidats sur une liste. Le problème, c’est que la secrétaire d’Etat souhaite aujourd’hui une inclusion massive en milieu ordinaire. Certes, les Esat doivent évoluer, être ouverts sur l’extérieur, mais ils ne peuvent à eux seuls transformer la société. En outre, l’inclusion à outrance n’est pas la bonne solution.
Il faut des pare-feux. Je pense notamment au dispositif de l’emploi accompagné qui donne aux personnes handicapées un statut de vrai travailleur tout en étant aidées par des éducateurs et des conseillers en insertion professionnelle. Depuis un an et demi, avec l’Association départementale pour l’insertion des personnes handicapées en Lot-et-Garonne dont je suis le coordinateur, nous avons beaucoup sensibilisé les employeurs, les personnes handicapées et leurs familles. Nous avons réussi à faire signer 9 CDI, 16 CDD et 6 mises à disposition. Ces dernières permettent de sécuriser le parcours et d’accompagner au plus près l’individu qui conserve la sécurité du retour dans l’Esat auquel il demeure rattaché. Certains trouvent ainsi leur équilibre et leur satisfaction. Je pense notamment à une personne qui est restée 6 ans en entreprise dans le cadre d’une mise à disposition. Tout allait bien jusqu’au jour où il a fallu signer le CDI, elle a décompensé et est retournée à l’hôpital. Il a été difficile de la restabiliser, si bien qu’aujourd’hui on ne parle surtout plus de milieu ordinaire. Fort de ces différentes expériences, je réfléchis aujourd’hui à écrire une suite à mon livre « Pas si fou »(1). Au titre initial, j’ajouterais : « L’inclusion : oui, mais… »
(1) Pas si fou. Quand un village accueille le handicap psychique – Lætitia Delhon et Alain-Paul Perrou – Presses de l’EHESP – 2016.