Dès le début de la prise en charge, nous priorisons les accompagnements en fonction de ce que nous dit la personne. Parfois, elle aura déjà rencontré d’autres professionnels pour engager des démarches : entretien avec l’Ofpra [Office français de protection des réfugiés et apatrides], convocations au commissariat… A l’inverse, nous avons aussi des personnes toujours en situation d’exploitation au moment de la prise en charge. Mon travail est de leur trouver au plus vite un lieu d’hébergement pour s’en extraire. Une sortie sèche avec obligation de contacter le 115 tous les jours, ce serait très compliqué… En fonction de chaque situation, il faut rapidement mettre en place des démarches pour les besoins primaires. Nous fournissons une aide financière de 235 € les trois premiers mois puis de 75 € les trois mois suivants. La longueur de la prise en charge n’est pas fixe : elles restent tant qu’elles en ont besoin.
Certaines vont arriver en disant : « Mon employeur m’a aidée à arriver sur le territoire, je n’ai pas envie de porter plainte… » D’autres vont s’auto-flageller, répéter que c’est de leur faute. Je tente d’axer mon travail sur la valorisation de soi et la déculpabilisation. Nous essayons de les sortir de cette place de victime. Quand une personne sort d’exploitation, on va avoir tendance à lancer : « C’est super, vous êtes libre maintenant, vous pouvez faire ce que vous voulez ! » Mais tout cela est abstrait pour les victimes, voire angoissant. Quand on leur demande : « Qu’est-ce que tu veux, qu’est-ce que tu en penses ? », elles répondent souvent : « Toi, qu’est-ce que tu en penses ? » Elles n’arrivent pas à se donner l’autorisation de faire leurs propres choix. C’est compliqué pour l’accompagnement au quotidien. Le travail que nous menons vise à faire émerger avec elles leurs propres décisions… Il faut qu’elles s’autorisent à avoir cette place qu’elles n’ont jamais eue.
Au niveau de l’appui psychologique, nos principaux partenaires sont Paris Aide aux Victimes, ADSF, et quelques autres associations. Sur l’hébergement, je travaille beaucoup avec Halte aide aux femmes battues. Cette association a la possibilité d’orienter les personnes vers un hôtel, ce qui m’aide beaucoup. Hors SIAO [service intégré d’accueil et d’orientation], nous faisons aussi appel à des congrégations religieuses, de manière ponctuelle. Mais le partenariat le plus important reste l’aide psychologique. Avec toutes ces angoisses accumulées dans son pays d’origine puis dans sa situation d’exploitation, la personne arrive totalement fragilisée. Certaines victimes auraient besoin d’un rendez-vous par semaine : dans les associations on ne peut pas trouver ça, elles sont sollicitées de part et d’autre… C’est la grosse difficulté que l’on rencontre actuellement.
Il n’y a pas de prise de conscience du phénomène de manière générale. Les victimes ont besoin de tous les aspects de l’accompagnement. Or dans les accueils de jour, l’accompagnement social réel n’existe pas. Sans possibilité de financer un psychologue, nous faisons appel à des associations, mais c’est engorgé… Enfin, les assistants sociaux de secteur ne prennent pas les personnes en situation irrégulière. Les victimes se retournent toujours vers le CCEM, et je me retrouve parfois démunie. D’autant que des directives sont données pour complexifier l’accès aux droits des personnes en situation irrégulière. Depuis la circulaire « Collomb » demandant aux structures d’hébergement d’urgence de recevoir des représentants de la préfecture et de l’OFII [Office français de l’immigration et de l’intégration], certaines ont commencé à refuser les personnes en situation irrégulière. Même le dossier d’aide médicale de l’Etat, un droit de base pour les personnes en situation irrégulière, devient une difficulté. On nous demande des tonnes de preuves pour complexifier le processus. Tout cela fait qu’on ne peut pas passer le relais correctement à l’extérieur pour assurer une prise en charge adaptée à chaque situation, donc efficiente pour les victimes.