« La nomination d’un secrétaire d’État en charge de la protection de l’enfance peut satisfaire certains. Elle mérite une analyse froide pour en évaluer la portée.
D’abord, il fallait qu’il y ait le feu au lac pour que le haut-commissaire à la protection de l’enfance promis pour la mi-décembre se transforme en secrétaire d’Etat : on se devait d’aborder sous l’angle politique un dossier très politique qui risque, s’il explosait, d’éclabousser les départements, mais déjà l’Etat, les citoyens étant peu au fait des astuces de la décentralisation. De fait, sans nier les compétences qu’ils déploient au quotidien, les services – publics comme associatifs – et leurs acteurs sont au taquet quantitativement, mais encore sont confrontés plus que jamais à des situations délicates, sinon tendues, auxquelles s’ajoute la pression, et donc la tension, que fait peser la question des mineurs non accompagnés, mal traitée depuis 1995 par les pouvoirs publics et qui prend une acuité majeure depuis deux ou trois ans. Une illustration : les budgets sont stabilisés – les conseils départementaux sont vertueux, dixit le cabinet « Gouraud », en ne dépassant pas l’autorisation de croissance de 1,2 % de leur budget –, mais le nombre d’enfants accueillis est passé de 140 000 à 170 000 en trois ou quatre ans, dont 17 000 mineurs étrangers. On entend garantir aux sortants de l’aide sociale à l’enfance qu’ils seront désormais accompagnés plus systématiquement quand ils étaient les victimes de la maîtrise budgétaire : après le désengagement de l’Etat intervenu en 2008, les conseils départementaux sont réticents, sinon renoncent, à les aider au-delà de leurs 18 ans. Que dire des nouvelles exigences, au demeurant légitimes, de la loi du 14 mars 2016. Conclusion : ce comportement vertueux diminue les moyens disponibles au quotidien pour les enfants vivant chez eux et qui ont besoin d’un accompagnement éducatif et d’une protection ! Les structures elles-mêmes sont dans l’activisme : plus que jamais, l’orientation d’un enfant dépend davantage des structures disponibles que de ses besoins.
On peut, certes, attendre d’un ministre qu’il ait l’envergure que n’aurait pas eu un haut-commissaire. La protection de l’enfance devient un enjeu politique. Dont acte ! Mais c’est justement là où le bât blesse : politiquement, le dispositif technique de protection de l’enfance n’est qu’un sous-ensemble de la politique de l’enfance (et de la jeunesse) qu’on doit mener. La protection de l’enfance dépasse largement la question des institutions de l’enfance.
La famille constitue toujours la première ligne de protection des enfants. Mais qui exerce les responsabilités parentales et quels sont, aux yeux des parents, le contenu et les limites de cette autorité parentale ? A quand une loi – que nous appelions en 2014 – pour clarifier les termes de cette question, qui recouvre déjà celle du « statut » des beaux-parents et qui concerne 8 millions de personnes ?
Comment aider les familles à exercer leurs responsabilités quand tous les services de proximité – le service social scolaire, le service de promotion de la santé des élèves, la pédopsychiatrie, les clubs et équipes de prévention déjà supprimés dans 17 départements, la protection maternelle et infantile désormais – sont en souffrance, parfois exsangues ou en crise ?
Quelles démarches pour développer les réseaux de solidarités de terrain aux parents, aux jeunes et aux moins jeunes ? Et ne parlons pas du rythme de vie des parents, des conditions de logement ou d’accès aux prestations culturelles de base… L’approche retenue est donc étriquée et mal assumée. Agnès Buzyn a tenté de nous rassurer, lors de l’assemblée plénière du CNPE du 28 janvier, en développant que son secrétaire d’Etat n’était pas strictement affecté et qu’il aurait une vision large de la protection de l’enfance. Déjà, en 1989, le Conseil d’Etat affirmait que la première ligne de protection de l’enfant réside dans son statut. Le sujet n’est toujours pas à l’ordre du jour, et sûrement pas dans le projet de code de justice pénale des mineurs. La lutte contre la pauvreté des enfants et pour un meilleur démarrage scolaire, pour utile qu’elle soit, est insuffisante.
Il aurait été plus simple de dire que M. Taquet était nommé secrétaire d’Etat à l’enfance, qui redevenait ainsi un objectif des politiques publiques. »
Contact :