L’idée remonte à loin. Déjà, dans les années 1990, une inspectrice belge travaillait avec son chien. Quelques années plus tard, elle présentait cette méthode lors d’une conférence de l’International Association of Human-Animal Interaction Organizations, forum mondial sur la médiation animale. A partir de 2003, aux Etats-Unis, la procureure Ellen O’Neill et la vétérinaire Celeste Walsen, de la Courthouse Dogs Foundation, ont travaillé à l’accompagnement des victimes mineures lors d’auditions. Les « support dogs », aujourd’hui environ 300 aux Etats-Unis et au Canada, sont présents dans 37 Etats américains, jusque dans les rangs du FBI, où ils apaisent les victimes après un crime de masse. En France, le programme a vu le jour dans le Lot grâce à la Fondation Adrienne et Pierre Sommer, à Frédéric Almendros, procureur de la République de Cahors, et au Centre national d’instruction cynophile de la gendarmerie. « En 2016, nous avons assisté à une conférence d’une magistrate sur les “chiens de soutien”, raconte Boris Albrecht, directeur de la fondation. Par la suite, nous sommes allés au Québec rencontrer Kanak, un chien d’assistance judiciaire de la fondation Mira. » Séduite par le travail de ces chiens auprès des victimes, la fondation souhaite financer un projet similaire. La formation d’un chien dure environ deux ans et coûte entre 15 000 et 20 000 €. Frédéric Almendros trouve l’idée « excellente » : « Pour une fois, on va pouvoir apporter du bien-être aux gens, ne pas être seulement dans le répressif. On est dans une réponse accompagnée, le chien interagit sans agir. Par son flegme, il va apaiser les bénéficiaires. Il va permettre aux victimes de traverser un procès pénal le mieux possible. » L’autre bénéfice espéré étant une libération de la parole des victimes. Restait à trouver le chien, la perle rare.
Après un tour de France des associations, c’est finalement Handi’chiens, association nationale d’éducation de chiens d’assistance pour personnes en situation de handicap, qui est retenue. Florian Auffret, éducateur Handi’chiens, a été de toutes les phases de création du projet. « Il fallait trouver un chien calme, avec peu d’énergie mais un très fort degré d’empathie, une présence rassurante. Contrairement aux autres chiens d’assistance, qui doivent avoir des compétences plus techniques, celui-ci doit être doté d’une qualité relationnelle importante. » Ce sera Lol, labrador mâle âgé de 4 ans aujourd’hui, qui répond à la commande « cool » en venant se lover contre les cuisses des gens. « Lol aura beaucoup de contact avec les enfants. Or un enfant peut avoir des crises de larmes ou de colère. Il faut travailler la confiance qu’on donne au chien, explique l’éducateur canin. C’est la prise d’initiative de Lol qui va permettre un apaisement de la personne. » Du côté du procureur, Frédéric Almendros espère pouvoir proposer, d’ici deux ans au maximum, et si les résultats sont efficients, « un programme clés en main à la chancellerie, déjà intéressée ». Toujours en prenant en considération le bien-être de l’animal. « Nous ne voulons pas que le chien souffre. Il va recevoir une charge émotionnelle forte. Il faut être attentif et précautionneux », insiste l’homme de loi, qui a « préparé tout le protocole du projet, un protocole bien verrouillé, qu’il ne restait plus qu’à mettre en œuvre ». Une question subsistait : qui pour prendre Lol sous son aile et l’accompagner aux auditions ? Après réflexion commune, le nouveau foyer de Lol sera la caserne des pompiers de Cahors, où sept référents, dont deux fixes, se relaient auprès du labrador. Le lieutenant Bouscary, l’un des deux référents fixes, parle d’« un chien mascotte, d’une gentillesse et d’une empathie incroyables, très bien accueilli à la caserne ». Pour pouvoir accueillir ce chien extraordinaire, les pompiers de Cahors ont été formés par Florian Auffret, tout comme l’association Alavi, un des acteurs du projet. Car il faut savoir maintenir l’éducation particulière qu’il a reçue ainsi que la façon protocolaire de s’adresser à lui. « Il y a un fort investissement de la part des pompiers, c’est un bénéfice pour eux aussi d’avoir Lol, même quand ils rentrent d’intervention, relate Florian Auffret. Ce projet est une chance énorme, et se dire que des enfants vont pouvoir se libérer grâce à Lol. » Le principal intéressé a pris ses aises à la caserne. « C’est un chien tout en retenue, qui se met contre les gens, s’endort lors du rassemblement du matin. Tout le monde le sort. Il se promène déjà dans tous les bureaux. Au bout de trois semaines, il est ici chez lui », observe le lieutenant Bouscary. Les pompiers seront chargés de le conduire aux auditions, de le mettre en contact avec les victimes, mais ne resteront pas aux auditions. « Nous savons aborder les victimes de par notre métier, mais nous n’avons pas de formation pénale », expose le lieutenant. En revanche, les professionnels de l’association Alavi pourront y assister (voir encadré).
Boris Albrecht se réjouit que cette première en France et en Europe se passe « à une petite échelle locale ». « Pour le moment, tout le monde connaît Lol à Cahors, mais pas au-delà. » Cependant, en partenariat avec France Victimes, la fondation prépare un document expliquant le rôle de Lol, pour une présentation à la conférence annuelle de Victim Support Europe, à Strasbourg à la mi-juin. Car l’aura de Lol risque de s’étendre rapidement, comme l’espère le procureur de Cahors, qui a déjà sensibilisé les avocats du palais. « J’espère qu’il y aura beaucoup de demandes, et donc davantage de chiens formés par la suite. C’est une véritable béquille psychologique pour des victimes qui ont souvent honte d’être victimes, particulièrement dans les affaires sexuelles et de violences conjugales. Elles se murent dans le silence, ont parfois peur des gendarmes, des policiers. » Lol va donc aider les gens à affronter ces épreuves, sous le regard attentif de ceux qui l’ont formé et continuent à l’accompagner (Handi’chiens reste propriétaire de ses chiens). Le labrador a accompagné une victime en audition pour la première fois le vendredi 29 mars. Il sera testé d’abord sur des procédures « courtes », non criminelles. Le procureur espère pouvoir faire un retour d’expérience d’ici cinq ou six mois. « Nous avons déjà échangé avec notre députée sur une éventuelle proposition de loi. Car si le programme fonctionne bien, il y aura peut-être nécessité de légiférer. » Un labrador empathique va donc réussir, comme dit le procureur, à « humaniser les procédures ».
L’ASSOCIATION LOTOISE D’AIDE AUX VICTIMES (Alavi), du réseau France Victimes, est un autre acteur clé du projet de chiens d’assistance judiciaire. Mustapha Yassfy, président d’Alavi, a tout de suite été emballé par l’expérimentation. Formée par Handi’chiens à interagir avec Lol, Alexia Mesthé, salariée à temps plein d’Alavi, pourra assister aux auditions avec Lol et les victimes qui le souhaitent. « Je ferai aussi le lien avec les pompiers, les gendarmes et les enquêteurs. C’est un projet novateur, sur lequel nous travaillons depuis longtemps, que je trouve très intéressant pour rassurer les victimes à tous les stades d’une procédure. » Alexia Mesthé est également persuadée de l’efficacité du programme, surtout après avoir rencontré Lol, « étonnant, d’un calme olympien ». France Victimes va s’intéresser de près à ce dispositif, avec l’idée, pour les instigateurs du projet, que les associations d’aide aux victimes soient les foyers des futurs chiens.