Référent de l’activité recyclerie à La Fabrique, entreprise à but d’emploi du territoire de Colombey-Les-Belles (Meurthe-et-Moselle), Philippe Terrillon participe depuis ses débuts au projet « Territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD). Retour d’expérience.
« Licencié à 57 ans, je suis resté deux ans au chômage, pendant lesquels j’ai essayé de lancer mon autoentreprise. Menuisier de métier, artisan pendant quinze ans, je voulais rester dans le travail du bois, plus spécifiquement en fabriquant des instruments de musique avec des objets de récupération. Je faisais par exemple des guitares électriques avec des bidons d’huile et des caisses de vin. Mais j’étais toujours au chômage. J’ai alors entendu parler du projet “Territoires zéro chômeur”. J’ai rencontré l’association Les Tailleurs de bouleaux, qui a participé à l’élaboration du projet, regroupé des chômeurs en attente d’emploi, contribué à resocialiser des gens un peu coupés du monde. Il était plus utile de mettre mon énergie dans ce mouvement que de continuer dans mon coin. Quand l’entreprise à but d’emploi [EBO] a été créée, cette activité de recyclage est le premier projet à avoir été validée. Aujourd’hui, l’EBO est multiactivités : maraîchage, travaux forestiers, bâtiment, lien social, mécanique solidaire… A chaque fois, elles viennent de la volonté et des propositions des chômeurs en fonction de leurs envies et de leurs compétences. Dans mon cas, on nous a donné carte blanche. On s’est pris en main dès le début, mais, de par nos anciens statuts d’entrepreneurs, nous avions des compétences en gestion, en organisation du travail ou en approvisionnement. Nous avons été épaulés par la communauté de communes pour le lancement de La Fabrique, ce qui a facilité l’ouverture des portes de la déchetterie, du syndicat de traitement des déchets…
Au départ, il y avait de grosses lacunes : les porteurs de projet avaient prévu juste de quoi couvrir nos salaires, sans budget pour l’investissement. On n’avait pas de quoi acheter un stylo ou un pot de peinture, six mois ont été perdus avant qu’on commence à avoir de quoi fonctionner. Certaines personnes de l’extérieur, comme des bénévoles, n’avaient pas compris que le but était de trouver une organisation différente. Ils ne cherchaient qu’à reproduire ce qu’ils avaient pratiqué toute leur vie, en reproduisant des formes d’entreprises classiques. Mais, très vite, on a eu un budget conséquent pour créer la recyclerie, organiser le ramassage des déchets, faire de la publicité. En un an, l’atelier était monté, une boutique était ouverte pour que les gens du territoire voient nos prestations : sablage, rénovation de meubles, relooking, restauration d’objets. Aujourd’hui, nous sommes quasiment autonomes. On fait le démarchage commercial, des devis, on organise le planning. On va voir la direction simplement pour faire les factures quand le boulot est terminé. Ce n’est pas le cas pour toutes les activités de La Fabrique, certaines personnes ont besoin d’être plus guidées, il n’y a pas de règle générale.
De 9 personnes embauchées en janvier 2017, nous sommes passés à 72 salariés aujourd’hui.
Les gens définissent eux-mêmes leur façon de fonctionner. A la recyclerie, nous fonctionnons en coopérative, en prenant des décisions collectives. Etant une entreprise expérimentale, on a le droit d’essayer, même de se planter en repartant à zéro. Petit à petit, on avance et on concrétise. L’idée est de chercher d’autres manières de travailler, pour ne pas reproduire certains travers que nous avons connus dans nos expériences professionnelles respectives.
Pour ma part, avoir une boutique de vente qui marche bien au bout d’un an, avec une implication et des retours très positifs des habitants du territoire, c’est concrétiser un rêve de gosse. Chaque jour, des gens font la queue devant le bâtiment pour nous donner des meubles.
D’un autre côté, la viabilité du projet, de son modèle économique, reste encore à prouver. Il y a encore du chemin à faire pour trouver de nouvelles formes de gestion, de management et ne pas retomber dans une logique pyramidale. Pour que, conformément au projet initial, l’entreprise appartienne aux salariés.
Pour ce qui est de l’après, j’ai mes droits à la retraite dans un mois. C’était une fin en soi de pouvoir lancer cette activité. Je ne compte d’ailleurs pas quitter l’entreprise, en restant après mon départ élu administrateur. Pour plusieurs jeunes qui viennent avec nous, cela leur fait une expérience, leur permet de reprendre confiance en eux. Certains ont déjà réussi à retourner sur le marché de l’emploi. Mais la moyenne d’âge à l’EBO tourne autour de 50 ans. Beaucoup n’espèrent plus retrouver du boulot à l’extérieur et vont rester pour développer l’EBO. Pour moi, ce n’est pas une fin de carrière, mais une apothéose ! »