Il remonte à 1993 et est, au départ, communal. Le maire et l’association dont j’étais le représentant l’ont démarré avec les personnes concernées par la privation d’emploi. Une fondation nous a financé toute l’ingénierie sur place. Alors que tout était prêt, que les 60 personnes sélectionnées connaissaient leurs horaires, leur lieu de travail, le préfet nous a indiqué que notre démarche était illégale car on ne pouvait pas, en l’absence de loi permettant les transferts financiers expérimentaux, utiliser l’argent des allocations comme si c’était un salaire. En 2008, j’ai sorti une deuxième publication, plus combative, sur le sujet. ATD quart monde est venu me chercher et, grâce à son audience au niveau national, les choses se sont produites. Laurent Grandguillaume a accepté de porter le projet, et Myriam El Khomri a été séduite par la simplicité de l’idée. Il a pourtant fallu bouleverser une kyrielle d’idées reçues. Muriel Pénicaud en colporte une, que j’entends depuis quarante ans : contre le chômage, il faut de la formation. Personne ne peut s’opposer à une idée aussi simple, mais, mise en œuvre de cette manière, elle est stérile. Il y a quarante ans, les chômeurs de longue durée représentaient 5 à 6 % de la population au chômage, contre 47 % maintenant, alors que ce leitmotiv a toujours été là. L’emploi doit être antérieur à la formation, car toute formation sans sécurité pour ces personnes sélectionnées négativement par notre économie moderne ne peut pas marcher. Nous prouvons d’ailleurs le contraire avec TZCLD : 700 personnes sont maintenant en emploi à durée indéterminée, et sont alors en capacité d’accéder à la formation.
Avec les vocables « ramener vers » ou les « freins à l’emploi », vous épousez une autre idée reçue. Le problème, ce sont les obstacles et la pénurie d’emploi. Il est inutile de forcer des personnes à se préparer à des emplois qu’elles ne parviennent pas à atteindre. Il faut adapter les emplois aux personnes, comme cela se fait dans les entreprises adaptées. Il y aura toute une gamme de situations où la formation va consister essentiellement en l’amélioration des performances. Parce qu’une personne est déjà en train de faire une activité, cela sera plus motivant pour elle. Et toute une part de la population va découvrir des terrains nouveaux grâce aux TZCLD et sera intéressée parce qu’il y aura de l’emploi derrière.
C’était l’unanimité des lâches, aucun n’a eu l’audace de voter « non »… Ce projet est travaillé depuis des années : quelles que soient les objections, nous avions une réponse. Comme nous nous présentions de façon modeste sur un sujet difficile, refuser l’expérimentation aurait nécessité un courage inouï. Je proposais au départ cinq territoires, et uniquement des petits hameaux, pour qu’ils ne puissent pas dire non. Le concept de l’emploi supplémentaire, clé de voûte du système financier de TZCLD, interdit aux entreprises à but d’emploi d’entrer en concurrence avec les entreprises classiques. Elles sont donc polyvalentes, mettent en place une économie interstitielle en faisant ce qui n’a pas été fait pour diverses raisons (manque de rentabilité, de praticité…). Ce modèle n’est pas incompatible avec le revenu universel, les deux doivent cohabiter. Ce qui serait grave, ce serait d’avoir un revenu universel avant un droit à l’emploi, car cela reléguerait dans l’humiliation ceux qui en veulent un. La personne doit avoir le choix.
Concernant la future loi, je sens monter les oppositions. La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, n’est pas d’accord. Aucune opposition n’est frontale et décisive, mais toutes sont coalisables.
Pendant que l’on prépare la deuxième loi d’expérimentation, les personnes intéressées se comportent comme s’il s’agissait d’un dispositif ordinaire, alors qu’il s’agit d’un projet d’organisation de la société. Nous avons mieux résisté à la crise de 2008 que nos voisins parce que notre modèle de protection sociale était meilleur. Si l’on gagne, on participera à sauver ce modèle.