Un million fin 2008, les chômeurs de longue durée(1) étaient 2,6 millions fin 2018, soit 50 % du total des demandeurs d’emploi. Dans le même temps, le nombre de chômeurs de très longue durée(2) a triplé. Ils représentent désormais plus du quart des demandeurs d’emploi. Dans ce contexte, la mise à l’essai tardive d’un concept tel que « Territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD), pourtant intuitif, a de quoi surprendre. L’esprit de la loi « d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée » du 29 février 2016, sur 10 territoires pendant une période de cinq ans, repose sur des principes simples : partir des compétences de chacun plutôt que des « besoins » identifiés, puis identifier le travail correspondant à ces savoir-faire. Un système qui se finance, dans la théorie, grâce au chiffre d’affaires réalisé par les entreprises à but d’emploi (EBE) et à la ré-affectation des coûts et des manques à gagner qui découlent de la privation durable d’emploi. Des « dépenses passives » estimées par une étude d’ATD quart monde à au moins 43 milliards d’euros chaque année… « On permet à nos citoyens qui ne peuvent pas trouver un emploi de survivre avec des subsides qui ont chacun un coût considérable pour la société, détaille Patrick Valentin, vice-président de l’association Territoires zéro chômeur de longue durée. Un coût direct (dépenses sociales et liées à l’emploi), indirect, avec les manques à gagner pour la collectivité (absence de cotisations) ou induit par la pauvreté (logement, santé, protection de l’enfance…). La mise en emploi supprime directement les deux premiers, et réduit le troisième à long terme. »
Les EBE, non lucratives, « embauchent, sur la base du volontariat, des chômeurs de longue durée en CDI, au SMIC et à temps choisi, afin de réaliser des travaux utiles localement mais non réalisés car jugés peu rentables pour le marché classique », résume ATD quart monde, qui vient de sortir, le 18 avril, son livre bilan de l’expérimentation à mi-parcours.
« Le degré de compréhension du projet est très variable selon les territoires », résume Didier Goubert, l’un des auteurs. « A Pipriac [Ille-et-Vilaine], plusieurs personnes ont déjà été recrutées dans des sociétés voisines. Une fois qu’elles ont compris notre fonctionnement, les entreprises demandent des mises à disposition partielles qui amènent à découvrir les personnes puis à les recruter. » Dans cette commune où le taux de chômage avoisine les 12 %, sur les 200 personnes rencontrées par le comité de pilotage local du projet, 160 sont aujourd’hui salariées de l’EBE, et seules trois ont indiqué ne pas vouloir travailler. A l’autre bout du manche, l’EBE de Paris XIIIe, qui a embauché « au mieux 10 % des personnes concernées », indique Didier Goubert. « Les activités n’ont pas uniquement été cherchées sur le territoire de recrutement mais également aux alentours, ce qui rend le projet non reproductible pour les quartiers voisins. Les gestionnaires se sont concentrés sur l’EBE en oubliant le travail de mobilisation du territoire, de ses habitants, de ses acteurs économiques et associatifs. » Et c’est bien là, pour les initiateurs de « TZCLD », le point névralgique d’un projet qui doit être pensé territoire par territoire, en mobilisant pour chacun l’ensemble de ses forces vives. « Les acteurs économiques ont peur de la concurrence, les salariés traditionnels voient des personnes dans des métiers qui les intéressent, au Smic à temps choisi, et les habitants font travailler des personnes considérées jusqu’à présent comme des assistés, avance Didier Goubert. Cela nécessite un changement de regard profond, et un dispositif n’est pas de nature à résoudre le problème. Prenez l’insertion par l’activité économique : des administrateurs gèrent les boîtes d’insertion, Pôle emploi leur envoie des personnes et les clients sont essentiellement administratifs. Personne n’est bousculé dans ses habitudes ou ses représentations. »
La principale crainte des initiateurs de« TZCLD » est que ce qu’ils considèrent comme un projet de société accouche d’un énième dispositif technico-économique. Et de voir l’Etat se satisfaire de l’expérimentation dans sa forme actuelle, sans aller au bout de l’idée du droit à l’emploi pour tous. Sa participation financière au projet, qui couvre la majorité des coûts de l’expérimentation, est passée de 18 000 € par poste et par an en 2017 à 17 000 € en 2018. « Le principe de dégressivité était prévu par la loi, à mesure que le chiffre d’affaires des entreprises allait augmenter », raisonne Laurent Grandguillaume, président de l’association TZCLD. « Mais elle devait prendre en compte le développement économique des EBE, sans se faire de manière mécanique. » En clair, les financements de l’Etat étaient supposés diminuer à proportion des rentrées d’argent des EBE. « C’est une trahison », s’agace Patrick Valentin, moins timoré. « Il ne peut pas y avoir de dégressivité du financement des EBE. L’objectif, c’est la suppression de la privation d’emploi, la participation de l’Etat doit donc fluctuer à proportion exacte du besoin d’emploi de la population, de manière contracyclique. »
Laurent Grandguillaume, qui a appelé à des rassemblements dans les territoires le 18 juin pour demander l’accélération de l’extension de l’expérimentation, reste confiant quant à l’avenir du projet. « Le Président avait indiqué, lors de la présentation de la stratégie de lutte contre la pauvreté, vouloir cette extension. Lors des débats en région, il a réaffirmé cette volonté. Si on s’en tient à ce qu’il dit, nous pouvons être optimistes. » Pour Patrick Valentin, en revanche, tout va se jouer lors du vote de la prochaine loi : « On a perdu la bataille, et si on ne gagne pas la deuxième je suis certain de l’échec. Si les subventions baissent, les moins performants se retrouveront à la porte. Cela vaut pour les Esat, les entreprises adaptées, les chantiers d’insertion… Tout recommencera comme avant. »
Tous les demandeurs d’emploi, et ce, quelle que soit la raison pour laquelle leur contrat a pris fin, qu’ils soient inscrits ou non à Pôle emploi. Ils doivent être privés d’emploi depuis plus d’un an et domiciliés depuis au moins six mois dans l’un des territoires participant à l’expérimentation : Colombey-les-Belles (54), Colombelles (14), Joucques (13), Mauléon (79), Lille (59), Nièvre et Forêt (58), Paris XIIIe, Pipriac (35), Thiers (63) ou Villeurbanne (69).
(1) Inscrits à Pôle emploi depuis un an ou plus.
(2) Inscrits à Pôle emploi depuis deux ans ou plus.