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“Le principal obstacle à la sexualité des personnes handicapées n’est pas leur handicap”

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Malgré certaines avancées, la sexualité des personnes désignées comme handicapées mentales se heurte à de nombreux obstacles. Pourtant, elle n’a rien de spécifique, montre la sociologue Lucie Nayak dans son livre Sexualité et handicap mental, tiré d’une enquête en France et en Suisse.
Quand la notion de « santé sexuelle » a-t-elle émergé dans le milieu de l’éducation spécialisée ?

Ce concept a été développé et promu par l’Organisation mondiale de la santé à partir de 1975. Il s’est diffusé dans le milieu de l’éducation spécialisée plus tard, dans les années 1990. Les travaux d’Alain Giami, psychosociologue, ont aussi contribué à populariser cette notion. En 1983, dans le livre L’ange et la bête sur les représentations de la sexualité des personnes considérées comme handicapées mentales chez les parents et les éducateurs, il a montré qu’il y avait deux figures : celle de l’« ange », c’est-à-dire des personnes qui n’auraient pas de sexualité ou une sexualité perçue comme enfantine, et celle de la « bête », c’est-à-dire des personnes qui auraient une sexualité incontrôlée, voire dangereuse. Avec les lois de 2002 et 2005 rénovant l’action sociale et médico-sociale, de nombreuses institutions ont réfléchi à leurs pratiques. Mais le droit à l’intimité, par exemple, qui n’autorise plus les professionnels à exiger des résidents qu’ils gardent ouverte la porte de leur chambre, reste inégalement respecté. Néanmoins, aujourd’hui, les représentations ont un peu changé. Dans mon livre, je présente les positionnements des éducateurs et des parents (à partir de l’analyse de leurs propos recueillis en entretiens), qui s’impriment sur un continuum allant de l’interdit strict jusqu’à l’encouragement à vivre sa sexualité. En pratique, les positionnements des uns et des autres se situent au milieu, si bien que la sexualité est rarement totalement proscrite et rarement absolument libre de s’exprimer.

Pourquoi semble-t-il y avoir encore autant de résistance ?

Tous les professionnels ne sont pas encore formés à prendre en compte la sexualité des personnes qu’ils accompagnent. Manquant d’un référentiel clair, ils s’appuient sur leur propre représentation des normes sexuelles dominantes : engagement sentimental de l’un envers l’autre, relation exclusive, couple pérenne… Il y a donc beaucoup de restrictions. La sexualité des personnes handicapées mentales est aussi perçue comme hasardeuse, avec les risques d’abus sexuel et de grossesse. Certes, il faut les prévenir mais, bien souvent, la volonté de protection va au-delà de ces deux craintes majeures. Les personnes handicapées mentales sont traitées comme des adolescents qui doivent demander la permission d’avoir des relations sexuelles à leurs éducateurs, lesquels les y autoriseront ou non. Leurs parents ont aussi du mal quelquefois à les considérer comme des adultes. Ils se battent pour eux depuis toujours et peuvent avoir du mal à lâcher quand ceux-ci deviennent majeurs. Beaucoup de directeurs d’établissements m’ont dit qu’ils ne pouvaient laisser leurs résidents trop libres, de peur de la réaction de leurs parents, ou parce que ces derniers n’étaient pas d’accord avec le fait qu’ils aient des relations sexuelles. Mais c’est peut-être le rôle de l’institution de leur faire comprendre que, en tant qu’adultes, leurs enfants n’ont pas forcément à leur rendre de compte sur leur vie sentimentale et sexuelle.

Que disent les personnes handicapées mentales que vous avez rencontrées ?

Certaines ont tellement intégré l’interdit qui leur a été souvent répété depuis leur enfance qu’elles peinent à exprimer un point de vue à ce sujet. D’autres en parlent et manifestent parfois de la révolte quant aux limitations imposées par l’institution. Le principal obstacle à la sexualité des personnes handicapées mentales n’est pas leur handicap. C’est davantage l’idée que la société s’en fait, les rappels à la norme déjà évoqués et les contraintes institutionnelles de lieux, d’horaires, etc. Les personnes n’ont pas le droit de recevoir leur partenaire dans leur chambre parce qu’ils n’ont qu’un lit à une place. Autre exemple : un couple doit avoir envie d’avoir un rapport entre 17 h et 19 h, entre le retour de l’Esat [établissement et service d’aide par le travail] et le dîner au réfectoire. Pourtant, dans l’ensemble, les personnes handicapées mentales ont une sexualité semblable à celles des personnes dites « valides ». Les cas sont rares, mais des femmes peuvent être invitées à avorter. On leur signale que si elles gardaient l’enfant, elles ne pourraient pas rester dans l’institution, ce qui est extrêmement anxiogène pour des personnes qui ont très peu de vie sociale en dehors de leur famille et de leur établissement. Plusieurs m’ont dit en pleurant qu’elles avaient dû se résoudre à avorter sur les conseils qui leur étaient donnés, et qu’elles le regrettaient. Dans tous les cas, les personnes handicapées mentales sont très rarement consultées, le débat sur leur sexualité se déroule sans elles. De gros progrès restent à faire dans ce domaine pour qu’elles puissent faire valoir leur droit.

L’assistance sexuelle est-elle autorisée en France ?

Rien n’interdit d’être assistant sexuel en France, comme rien n’interdit d’être travailleur du sexe. En revanche, la mise en œuvre de l’assistance sexuelle rencontre plusieurs barrières légales. Tout d’abord, former des personnes à des activités de type prostitutionnel est illégal en France et assimilé à du proxénétisme par incitation. De même, mettre une personne en relation avec un assistant sexuel est illicite et considéré comme du proxénétisme par entremise. Toutefois, l’Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (Appas) milite activement en faveur de l’assistance sexuelle pour les personnes handicapées. Si l’exercice de ce service tarifé est rendu très compliqué dans l’Hexagone, quelques professionnels ont déjà reçu une formation de dix-huit mois en Suisse, où il est autorisé.

Justement, comment cela se passe-t-il en Suisse ?

Dans ce pays, contrairement à la France, l’assistance sexuelle est reconnue (de même qu’aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Catalogne) mais elle concerne peu de personnes. Les postulants à des formations sont choisis de façon drastique, de manière à exclure ceux qui auraient de mauvaises intentions ou qui se mettraient en danger en s’engageant dans un travail qu’ils mesureraient mal. En France, des critiques émanent d’associations de personnes handicapées, qui estiment notamment que cette pratique donne d’elles une image très négative : elles seraient tellement repoussantes que leur seul recours sexuel serait de faire appel à des professionnels. J’ai rencontré aussi des assistants sexuels qui déclarent faire cela pour aider la personne en situation de handicap mais qui ne le feraient pas pour une personne valide. Qu’est-ce que cela dit du handicap et de nos représentations ? C’est l’un des points du débat.

Issu de sa thèse de doctorat en sociologie,

le livre de Lucie Nayak Sexualité et handicap mental, l’ère de la “santé sexuelle” est publié par l’Inshea (Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés), en partenariat avec Champ social éditions.

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