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La Cité des dames, un abri pour rebondir

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Ouverte à Paris en décembre 2018, la Cité des dames combine accueil de jour et station de repos la nuit. Géré par l’association ADSF et par l’Armée du salut, ce lieu permet aux femmes à la rue de se poser en attendant une solution d’hébergement pérenne, tout en disposant d’un accompagnement social et sanitaire.

Il est 10 heures, à la Cité des dames, au cœur du XIIIe arrondissement parisien. Quelques femmes déposent leurs affaires dans des casiers avant d’aller se chercher une boisson chaude, d’autres finissent de se changer au sortir de la douche. Certaines s’installent autour des tables, d’autres vont s’asseoir sur les fauteuils roses… Sur le comptoir, trônent toute la journée une très grande cafetière, une bouilloire et une soupière électriques. Des biscuits et des fruits sont aussi à disposition. Dans la salle de bains-buanderie, les machines à laver et les séchoirs tournent sans arrêt. Un espace couchettes permet à celles qui ont erré toute la nuit de dormir enfin. Si les soupes, les petits gâteaux ou les fruits constituent une petite collation, la Cité des dames ne propose pas de repas. Une liste recense les lieux de distribution de plats chauds situés à proximité. Vers midi, certaines partagent des barquettes de plats africains à prix très modiques qu’elles ont achetées à une camionnette de restauration garée juste à proximité.

Fonctionnant 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, ce lieu d’accueil a ouvert le 1er décembre dernier. Il est destiné spécifiquement aux femmes sans abri. Alors que deux sans-domicile fixe (SDF) sur cinq (chiffres Insee 2012) sont des femmes, celles-ci restent fréquemment invisibles et ont longtemps été les grandes oubliées des politiques publiques. La Fondation de l’Armée du salut et l’association Agir pour le développement de la santé des femmes (ADSF) sont à l’origine du projet. « En 2016 et 2017, nous avons animé des ateliers à la Cité Refuge. A l’occasion du plan hivernal, une trentaine de femmes y étaient accueillies », raconte Nadège Passereau, déléguée générale de l’ADSF. La Fondation de l’Armée du Salut et l’ADSF se rejoignent alors sur un constat : des structures spécifiques manquent cruellement ! « Des lieux existaient à destination des hommes, des familles, mais presque rien en direction des femmes seules », souligne la déléguée. C’est d’ailleurs ce même constat, réalisé notamment à l’occasion de la Nuit de la solidarité, qui a conduit la Mairie de Paris à ouvrir une halte-femmes dans l’Hôtel de Ville. En effet, dans les centres d’accueil mixtes, les femmes sont très minoritaires et, outre les risques éventuels d’agression, la mixité pose de nombreux problèmes. « Dans la rue ou avant, une très forte proportion de femmes a subi des violences sexuelles », insiste-t-elle. Pour ces femmes victimes, la promiscuité ravive des souvenirs traumatiques. En outre, dans un univers très masculin, il est très difficile d’aborder certaines questions, pourtant cruciales au quotidien. « Comment, par exemple, demander des serviettes hygiéniques ? » A la Cité des dames, dans un placard, les protections périodiques voisinent avec les serviettes contre les fuites urinaires, et des kits d’hygiène sont distribués régulièrement.

Géomètre et propriétaire

Le budget de fonctionnement annuel du dispositif est de 800 000 € : 60 % provient de la direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement (Drihl), 30 % de la Mairie de Paris et 10 % de fonds privés (particuliers et entreprises). Au cours des premiers mois, les lieux ont un peu évolué et des fauteuils supplémentaires ont été ajoutés. Le règlement a aussi été modifié : pour des raisons de sécurité, il n’est plus possible pour les femmes de laisser des affaires dans la bagagerie ou dans les casiers quand elles ne sont pas dans les locaux – une évolution qui a suscité un fort mécontentement. Quand on est à la rue, transporter sans cesse toutes ses affaires avec soi est très pénible, et pouvoir les poser le temps d’effectuer des démarches est très apprécié. La conservation des documents administratifs est aussi une véritable source d’angoisse. La Cité des dames devrait bientôt proposer aux femmes qui le souhaitent de numériser leurs papiers et de les stocker sur Internet.

L’endroit offre en journée un accueil inconditionnel. Toutes les femmes sont acceptées, quelle que soit leur situation administrative ou addictologique. Pas question de refuser une dame alcoolisée ou ayant consommé des substances psychotropes. Et les animaux sont admis : depuis l’ouverture, deux femmes sont venues avec leur chien. La Cité des dames est donc à la fois un accueil de jour à destination des femmes seules et une « station de repos » la nuit (permettant une mise à l’abri, mais sans constituer un hébergement). Regroupées en îlots, les couchettes – sommaires – accueillent 25 femmes, et 25 autres peuvent se reposer sur les fauteuils et canapés. Pendant la période de grand froid, un peu de « surbooking » a permis de monter jusqu’à 55 femmes. Sur les 50 personnes accueillies, 35 sont orientées par les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) d’urgence et 15 sont passées par l’accueil de jour. Impossible de dresser un portrait-robot de ces femmes. Leurs profils sont très variés, tant en termes d’âge, de nationalité que de parcours. Awa (2), Malienne, est arrivée en France il y a quatre mois et a été orientée ici par le 115. Cela faisait dix ans qu’elle vivait en Italie, où elle avait une carte de séjour de résidente et travaillait comme auxiliaire de vie auprès de personnes âgées. Quand elle a perdu son emploi, elle a eu envie de tenter sa chance en France. « C’est le fait que je n’ai pas de numéro de sécurité sociale qui me bloque », regrette-t-elle.

Magali (2), 48 ans, n’aurait jamais pensé non plus se retrouver à la rue, elle qui était géomètre et propriétaire d’un appartement. Elle l’a vendu, a rejoint son compagnon dans le Sud. « Comme il avait beaucoup de moyens, il a insisté pour que je ne travaille pas, raconte-t-elle. Au bout de dix ans, j’ai étouffé, et le décès de ma mère a fait office de déclencheur. Je l’ai quitté et suis revenue sur Paris chez ma sœur, qui m’a mise dehors assez rapidement. Tant que je n’ai pas de domiciliation, je ne peux rien faire. » Sur les deux premiers mois d’activité, la moyenne d’âge frôle les 50 ans et les seniors sont très présentes. Madeleine, 72 ans, est remontée depuis peu de Marseille. Le foyer Adoma dans lequel elle vivait allant fermer, elle a décidé de remonter sur Paris où elle avait longtemps vécu. « Quand j’étais jeune, il existait de nombreux hôtels au mois. Ils ont presque disparu. » Sur un des canapés, Fatoumata tue le temps. Agée de 19 ans, elle est arrivée en octobre de Guinée-Conakry via le Maroc et a connu l’ADSF à l’occasion d’une maraude de l’association. Elle a déposé une demande d’asile. « L’Offii [Office français de l’immigration et de l’intégration] m’a juste dit d’appeler le 115, mais je n’ai jamais eu aucune solution », raconte-t-elle. Cela fait un mois qu’elle passe la nuit à la Cité des dames. En moyenne, les femmes y restent de 4 à 10 nuits, mais parfois les orientations prennent plus de temps. Comme plus d’une dizaine de femmes accueillies ici, Fatoumata devrait être orientée vers un centre d’accueil pour demandeur d’asile (Cada), mais ces structures manquent cruellement de places. Pensée à l’origine pour les femmes à la rue les plus désocialisées, que l’ADSF rencontre en maraude et qui ont renoncé à appeler le 115, la Cité des dames peine pour le moment à les accueillir. « Nous essayons de créer avec elles un lien de confiance mais cela prend du temps », note Mathieu Darnoult, coordinateur social.

Des femmes « re-paires »

Après quatre mois d’existence, le lieu a trouvé ses marques. Dix salariés de l’Armée du salut ou de l’ADSF y travaillent : deux agents d’accueil de jour et deux de nuit, trois monitrices-éducatrices (une de jour, deux de nuit) et trois cadres (un coordinateur social, une psychologue, une sage-femme). Tout juste sorties de la rue, quatre femmes « re-paires » y interviennent aussi. Dans leurs pays d’origine, elles travaillaient dans la santé (aide-soignante, sage-femme et intervenante en santé communautaire pour une ONG). L’une d’elles, Prisca Kpan Sita, a rencontré l’ADSF à la sortie de l’hôpital. A la rue, elle avait tenté de mettre fin à ses jours. Après avoir été bénévole à l’association, elle est femme « re-paire » depuis le 1er décembre. Engagée dans un parcours de mobilisation, elle est hébergée à la Cité Refuge et attend un titre de séjour pour pouvoir enfin être salariée de l’ADSF. Si elle continue les maraudes, elle anime aussi avec les femmes des ateliers « bien-être et maquillage ». Parlant le malinké, elle assure une mission de traductrice auprès des femmes qui ne parlent pas le français.

La Cité des dames ne pourrait pas non plus fonctionner sans les bénévoles (une trentaine par semaine). Accueillant facilitateur social bénévole, Ernest Mampasi Mambueni intervient auprès de l’agent d’accueil. Il détaille : « Quand une femme arrive, je l’enregistre. Je lui demande son identité, où elle a passé la nuit. Je l’oriente en fonction de ses besoins. » Il est toutefois possible de ne donner que son prénom. De nombreux bénévoles qualifiés, essentiellement des professionnels de santé (sages-femmes, infirmiers, gynécologues, psychologues), mènent ensuite des entretiens de préévaluation des besoins, tant sanitaires que sociaux. « Ces entretiens sont proposés à toute femme qui vient à l’accueil de jour. Presque toutes acceptent, car au-delà de se poser un moment, très vite, d’autres besoins émergent », explique Mathieu Darnoult.

A la Cité des dames, les femmes à la rue ne trouvent pas seulement un endroit pour se poser au chaud dans la journée, voire pour dormir la nuit, se laver ou faire une machine. Le lieu propose aussi un accompagnement social et sanitaire fondé sur une évaluation de leurs besoins tant sociaux que médicaux et psychologiques. Assistant social de formation, Mathieu Darnoult conduit l’évaluation sociale. « Je reçois des femmes avec des situations administratives compliquées, explique-t-il. L’un des problèmes majeurs qu’elles rencontrent est l’accès à une domiciliation – c’est particulièrement vrai pour celles qui n’ont pas de papiers. Or être domicilié est la première étape pour accéder à des droits. ». Afin de trouver des solutions plus pérennes pour ces femmes mises à l’abri, il fait remonter les demandes d’hébergement d’urgence au SIAO urgence. « Les dames enceintes proches de l’accouchement sont plutôt orientées vers des hôtels sociaux. » A la Cité Refuge, 6 lits-passerelles permettent d’offrir un cadre stable à des femmes qui entament un parcours d’insertion.

Le coordinateur social est aussi en lien avec la halte-jeunes pour les moins de 25 ans et avec les espaces de solidarité insertion (ESI), où des travailleurs sociaux peuvent proposer un accompagnement social dans la durée. La Cité des dames est un dispositif de mise à l’abri, pas d’hébergement. « C’est censé être très temporaire, nous nous sommes fixé quatre nuits, mais nous ne mettons pas une dame à la rue », souligne-t-il. Si toutes les places de mise à l’abri dépendant de la Cité des dames sont déjà occupées et qu’il n’existe pas d’autres solutions, il oriente alors vers le Centre d’hébergement et d’assistance pour les personnes sans abri (Chapsa) de Nanterre. Pas question, toutefois, de seulement conseiller aux femmes d’aller à la porte de la Villette pour prendre le bus : il appelle pour s’assurer qu’elles auront bien une place dans le bus. « Cela permet déjà de rassurer », souligne-t-il. Il les invite surtout à revenir le lendemain à la Cité des dames pour continuer les démarches. « Cette orientation de dernier recours évite que les dames ne passent la nuit dans la rue, mais nous savons que, pour elles, ce lieu est compliqué. » Ce n’est pas Sita Prisca-Kpan qui va le démentir. La femme « re-paires » en a gardé un très mauvais souvenir. « Je n’ai pas pu fermer l’œil de toute la nuit. Cela réactivait des souvenirs trop douloureux. J’en suis partie dès que j’ai pu, à 5 h 30 du matin », se souvient-elle.

Suivi de grossesse

Autre volet très important de la Cité des dames : l’accompagnement sanitaire. « Il s’agit de la santé au plan large, y compris psychologique », insiste Nadège Passereau. Quand on est à la rue, la santé passe au second plan, les pathologies sont multiples. Beaucoup de femmes qui ont migré récemment ont, par exemple, des blessures aux pieds qui n’ont pas été soignées. Pas question, toutefois, d’assurer des soins sur place, les dames sont orientées en fonction de leurs besoins. Une attention forte est aussi portée à la santé sexuelle, souvent négligée. En effet, parmi les nombreux bénévoles qui participent aux activités de l’ADSF, figurent beaucoup de sages-femmes. Celles-ci peuvent notamment proposer des frottis ou des dépistages HIV. Natacha Leroy est stagiaire de l’ADSF. Cette étudiante sage-femme vient à la Cité des dames deux à trois fois par semaine. Aujourd’hui, pour la première fois, elle accompagne une jeune femme à l’hôpital Salpêtrière pour un suivi de grossesse. « D’habitude, ce sont les femmes “re-paires” de l’association qui s’en chargent ». Quand les femmes sont à la rue, le suivi de leur grossesse est souvent compliqué. « La semaine dernière, une dame est arrivée enceinte de huit mois et demi. Elle n’était en France que depuis une semaine et n’avait eu aucun suivi », raconte-t-elle. Pour les femmes sans abri enceintes, l’inquiétude est forte sur ce qui les attend après la naissance du bébé. « Depuis un mois et demi que je suis là, trois femmes sont parties accoucher sans qu’on ait de solution de logement pour elles à la sortie de la maternité. » Pour permettre la prise en charge médicale, encore faut-il que les droits à la couverture maladie universelle (CMU) ou à l’aide médicale d’Etat (AME) soient ouverts. Les femmes sont alors orientées vers les points d’accès aux soins de santé (Pass) des hôpitaux ou vers les dispensaires. « Depuis que je suis ici, je me rends compte à quel point c’est difficile d’ouvrir des droits CMU ou AME. Certaines femmes attendent parfois trois mois ! », s’exclame la jeune femme…

De même, une attention particulière est apportée au soutien psychologique. Psychologue clinicienne, salariée de l’ADSF, Amélie Soumal intervient à 90 % à la Cité des dames. Cette dimension de l’action n’est pourtant pas a priori la plus évidente. « Les femmes arrivent avec des besoins primaires – dormir, boire une soupe, prendre une douche – mais très vite elles révèlent un important besoin social. Quand le référent social a entamé les démarches indispensables pour l’accès à leurs droits, nous pouvons nous décaler un peu et aborder les soins médicaux et psychologiques », explique-t-elle. Le lieu offre un cadre rassurant. « Les femmes savent qu’ici elles sont en sécurité. Elles ne sont pas seules et vulnérables comme quand elles sont dans la rue, et il n’y a pas d’hommes. Elles sont aussi loin du regard de leur famille. Personne ne les renvoie à leur parcours », souligne la psychologue. Néanmoins, au début, il faut dépasser certaines réticences. « Beaucoup de femmes ont une représentation fausse de ce qu’est une psychologue, et même pour celles qui savent ce que c’est, il n’est pas facile de parler de ce qui les empêche de dormir. » Une forte proportion se saisit de cette opportunité. « Nous essayons de les voir régulièrement pendant leur prise en charge. Ce n’est toutefois pas toujours la même personne qui les reçoit. » Pas question, dans un laps de temps aussi court, d’assurer un réel suivi psychologique, mais plutôt de permettre de déposer un peu sa charge. « Nous travaillons beaucoup au repérage des troubles psychiques, à l’orientation vers un centre médicopsychologique [CMP]. » Le problème est que les listes d’attente des CMP sont très longues. En attendant, les personnes qui ne sont plus prises en charge à la Cité des dames peuvent continuer à l’être par l’ADSF. Reste que, bien sûr, pour pouvoir réellement se reconstruire, un toit pérenne est indispensable. La Cité des Dames est une première étape.

Bébés sans abri

De plus en plus de mères accouchent sans savoir où elles iront avec leur bébé. C’est le cri d’alarme que l’association Interlogement 93, responsable de l’hébergement d’urgence en Seine-Saint-Denis, a lancé en septembre 2018. Combien y a-t-il de femmes et de bébés sans abri ? Difficile de savoir. Selon l’agence régionale de santé, l’Ile-de-France est la région la plus touchée : en 2017, au moins 2 400 femmes (contre 2 000 en 2016), fraîchement mères ou enceintes, n’avaient pas de toit à la sortie de la maternité et devaient retourner dormir dehors.

Notes

(1) Les prénoms ont été changés.

Reportage

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