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“Ne pas confondre missions sociale et sécuritaire”

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Assistant social au parcours atypique, Laurent Puech est un spécialiste de l’intervention sociale en commissariat et en gendarmerie (ISCG). Après avoir lui-même exercé dans les casernes de l’Hérault, il anime dans tout l’Hexagone un réseau de 261 intervenants.

Commençons par une anecdote : voici deux ans, une page WikipÉdia dédiée à Laurent Puech mentionnait pour profession « sociologue »… Et pourquoi pas ? L’erreur – puisqu’il s’agit bien d’une erreur – a depuis été corrigée. Laurent Puech, 54 ans, est assistant social, diplômé en 2000, sur le tard, de l’institut régional de travail social (IRTS) de Montpellier. Mais l’intitulé, avouons-le, lui irait comme un gant. Homme de terrain, il est épris d’analyse, de réflexion sur les pratiques du travail social. « On retrouve chez lui la patte de l’assistant social qui s’intéresse à l’individu. Et l’influence de la sociologie, qui interroge le niveau macro », explique Elsa Melon, qui l’a connu sur les bancs de l’IRTS. De fait, Laurent Puech écrit. Beaucoup. S’entoure de sociologues – des vrais –, avec lesquels il a créé un site sur le secret professionnel. Il vient tout juste de mettre en ligne un blog consacré aux logiques de protection des publics vulnérables. Il y traque les idées reçues, malaxe les évidences qu’on ne questionne plus, déconstruit les failles méthodologiques qui corsètent le métier dans une approche émotionnelle.

Laurent Puech a la plume scientifique, l’esprit rationnel et l’art du doute. Tout sauf un idéologue… Et c’est certainement ce qui a amené ce libre penseur à oser le choc culturel pour exercer, d’abord en 2008 comme assistant social en gendarmerie, dans l’Hérault, puis depuis 2015 comme chargé de mission à l’Association nationale d’interventions sociales en commissariat et gendarmerie (ANISCG). Car l’intéressé ne s’en cache pas : « Ce sont des mondes avec des codes très différents du travail social. La logique d’intervention des policiers et gendarmes est pénale : une personne mise en cause doit être sanctionnée et non pas aidée. Et on a des seuils d’alerte très différents face à une même situation : ce qui peut paraître grave pour un travailleur social ne le sera pas forcément pour un policier. »

Agir « avec » plutôt que « contre »

Laurent Puech navigue à contre-courant des clichés. Son entourage le décrit avec humour comme un punk. Il acquiesce. « Un concert des Ramones a changé ma vie », dit-il. A tel point que, sur son blog, ce héraut du scepticisme et de la « dispute professionnelle » ose une photo de Johnny Rotten, ex-Sex Pistols, pour se présenter, lui et son travail. Un punk en caserne… Quelle idée ! Et pourtant, rejoindre un bataillon en uniforme n’est-elle pas la meilleure manière de bousculer ses représentations ? « C’est hyper intéressant de faire cohabiter ce qui ne va pas de soi, d’avoir de la souplesse et d’accepter de négocier là où on pensait que ce serait difficile », explique-t-il. Assistante sociale dans l’Hérault, Estelle Karchen le sait bien. C’est elle qui l’a incité à travailler en gendarmerie (elle était alors au commissariat de Béziers), avant de le rejoindre en 2014. « On a dû faire des cérémonies, découvrir les règles qui structurent l’institution. Travailler en gendarmerie nous a obligés à modifier nos stratégies pour agir “avec” plutôt que “contre”. Laurent avait cette capacité d’évolution. Et, face aux familles, son objectif n’a jamais été de les associer à ses combats militants, mais bien de les outiller pour développer leur pouvoir d’agir. »

En vingt ans, le dispositif a fait ses preuves(1). Mais, à l’époque, beaucoup de professionnels pensent encore que leur place n’est pas dans une caserne. Pas Laurent Puech. En 2005, déjà, l’Association nationale des assistants de service social (Anas), dont il était président, insistait dans un avis technique sur la nécessité de défendre ces postes, tout en érigeant des garde-fous pour ne pas confondre missions sociale et sécuritaire. Sa prise de poste, trois ans plus tard, fut l’occasion de réinventer son métier. « Il fallait réapprendre à être sur une relation fondée, dans la prise en charge d’une demande, non pas sur un imprimé ou un dispositif mais sur une rencontre avec des personnes qui avaient des raisons de craindre le service social. » La plupart des interventions concernent des situations de tensions familiales, souvent des violences conjugales. Un temps de crise qui offre aux intervenants sociaux l’opportunité d’accompagner les personnes, selon un principe de libre adhésion. « C’est un des enjeux du poste. La crise est un moment où tout est remis en question. Proposer à ce moment précis une aide où les gens se sentent maîtres de leur choix constitue pour eux une opportunité. »

Former les policiers à l’accueil

Aujourd’hui, Laurent Puech anime un réseau de 261 intervenants sociaux dans une grande majorité de départements (seuls 17 n’en ont pas). Unique salarié de l’association, il exerce seul, comme les différents assistants sociaux détachés de la collectivité – ou de l’association, selon les portages – qui les emploie. « Je fais beaucoup de soutien individuel, je propose des pistes à des professionnels qui ont besoin de prendre du recul. » Fort de son expérience de terrain, il écoute, partage ses réflexions sur la manière d’agir dans des contextes de péril, les aide à se positionner lorsqu’ils doivent être entendues dans le cadre d’affaires judiciaires. « On réfléchit ensemble à la façon d’organiser sa pensée pour maîtriser l’audition et respecter l’équilibre du secret professionnel. » Mais le chargé de mission intervient aussi auprès de policiers et gendarmes qu’il forme et sensibilise à l’accueil des personnes.

Sa légitimité, il l’a construite au fil des années. Son parcours atypique y est forcément pour quelque chose. Ce père de famille n’a jamais eu son bac. C’est une expérience en tant que veilleur de nuit dans un foyer médico-social qui l’a amené à passer des équivalences pour être admis à l’IRTS. Tour à tour logisticien, manœuvre sur des chantiers ou technico-commercial, il a roulé sa bosse dans des métiers âpres, dépourvus de rapports humains. « Ces expériences m’ont permis de vivre des situations concrètes de précarité, de côtoyer des niveaux sociaux très différents et d’avoir l’empathie nécessaire pour mesurer ce que vivent les gens en difficulté. »

De ces premiers emplois, il goûte au syndicalisme, qu’il abandonnera par la suite. Mais conserve une capacité à mobiliser autour de ses idées, faisant de lui le candidat idéal à la présidence de l’Anas en 2005. « L’association a fait un bond en termes de reconnaissance et d’adhésion, observe Elsa Melon, qui lui a succédé à la tête de l’association en 2012. Il sait mêler lecture critique et propositions. Et il n’a pas peur de dire les vérités qui fâchent, d’être le poil à gratter vital qui bouscule les idées reçues, avec un côté parfois radical et provocateur. » Un punk, vous disait-on…

Ex-président

de l’Association nationale des assistants de service social, Laurent Puech a créé en 2014 un blog sur le secret professionnel, auquel contribuent différents travailleurs sociaux (https://secretpro.fr/blog/laurent-puech).

Notes

(1) L’ANISCG va créer dans les prochains mois un observatoire indépendant des ISCG pour mieux analyser le dispositif.

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