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La parentalité au prisme des troubles psy

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Face à la maladie mentale, les professionnels de la protection de l’enfance comme ceux qui soutiennent la parentalité s’avouent en difficulté. Le manque de formation tout comme celui de moyens impactent ce secteur, au risque de mettre en péril les mesures d’accompagnement.

Au domicile comme dans les foyers, les professionnels de la protection de l’enfance croisent de plus en plus d’enfants dont les parents ont des troubles psychologiques ou psychiatriques. Difficile, pourtant, d’en connaître l’ampleur car aucun chiffre ni aucune étude nationale ne portent sur la question. Il existe des études, mais menées à une échelle locale ou sur un nombre restreint de cas. Tel le rapport sur la santé de mineurs et jeunes majeurs confiés à l’ASE de Languedoc-Roussillon, et réalisé par le Creai-ORS de la région en avril 2016. Les auteurs de l’étude relevaient ainsi « une part importante d’antécédents psychiatriques ou d’addiction chez les mères » : des antécédents de pathologies psychiatriques ont été repérés chez 12,8 % des enfants, en deuxième position après ceux de maladies chroniques ou invalidantes (24,7 %).

Si les troubles psychologiques ou psychiatriques ne sont pas en soi un motif de placement, ils peuvent faire partie d’un ensemble de paramètres, qui, additionnés les uns aux autres, peuvent entraîner une incapacité des parents à jouer leur rôle. Tout serait affaire d’environnement. « Des recherches ont exploré le rôle de l’environnement des mères présentant un trouble psychotique. […] Des relations familiales non conflictuelles et un regard positif sur la maladie amélioreraient les compétences sociales du patient et entraîneraient une baisse des symptômes négatifs », souligne une étude de Marion Cognard, psychologue, et Jaqueline Wendland, chercheuse en psychopathologie, sur la parentalité des mères psychotiques(1).

« Quand vous avez une personne qui souffre d’une maladie mentale, il faut voir d’abord si quelqu’un pourra la canaliser et prendre le relais, confirme Jean-Michel Mazé, président de l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (Ones). Lorsque la maladie mentale est présente et qu’il n’y a pas les ressources dans l’environnement, il faudra essayer de trouver des mesures adaptées. » L’éventail des mesures disponibles dans ce type de cas peut être assez large : intervention en milieu ouvert, à domicile, avec l’appui ou non des techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF), de la protection maternelle et infantile… Lorsque ces mesures ne sont pas suffisantes ou ont échoué, un placement pourra alors être envisagé.

« Une des caractéristiques générales de la maladie mentale est son évolutivité. Il y a des moments où les personnes sont en phase active de la maladie et d’autres où elles vont mieux, explique Jean-Michel Mazé. Ce type de dispositifs permet à l’enfant d’être protégé au moment où les parents ne sont vraiment pas disponibles tout en maintenant un lien. Mais sont-ils toujours mis en œuvre ? » De fait, la protection de l’enfance, relevant des départements, dépend souvent de la politique localement mise en œuvre, voire des budgets des conseils départementaux. Le président de l’Ones souligne : « Dans certains accueils mère-enfant, une bonne proportion des parents ont des troubles psychiques. Il y a alors vraiment un travail sur la parentalité tout en ayant une surveillance de l’enfant. Mais cela reste une initiative qui ne se retrouve pas partout. »

A l’accueil familial thérapeutique (AFT) Pré-Médard de Poitiers, des enfants dont les parents sont soignés pour troubles « psy » sont pris en charge dès leur plus jeune âge par des pédopsychiatres. « On estime qu’il y a un millier de places en placement thérapeutique, ce qui est très peu. Ces structures, financées par les hôpitaux, se battent pour exister. Elles ont une place difficile à tenir, à la limite entre soin et accompagnement. L’expérience réalisée à Poitiers semble très intéressante, et nous essayons de la faire connaître », explique de son côté Anne Oui, chargée de mission à l’Observatoire national de la protection de l’enfance (Onpe).

Car, souvent, le soutien à la parentalité de parents souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques reste maigre. C’est aussi ce qui ressort de l’étude de Marion Cognard et Jaqueline Wendland : « Lors de la décision du juge des enfants, ces mères disent ne pas avoir été soutenues alors qu’elles en auraient eu besoin. Cet élément peut interroger quant à l’adaptation des mesures de placement au vu des difficultés vécues par les mères présentant un trouble psychotique. […] En majorité, elles soulignent l’absence de soutien de la part des soignants dans leur rôle parental, alors qu’elles étaient accompagnées sur le plan médical. »

Du côté des professionnels, c’est surtout le manque de formation sur la question qui est pointé du doigt. Pour l’Ones, les travailleurs sociaux comme les personnels en contact avec des enfants gagneraient à être formés sur les maladies mentales, non seulement pour décider des mesures les plus appropriées au cas de la personne, mais aussi pour éviter les signalements abusifs. « Il arrive que des professionnels stigmatisent des parents ayant des troubles psychiques alors que l’enfant va très bien, regrette Jean-Michel Mazé. Ils sont juste alertés par rapport à l’attitude des parents, qui ne se comportent pas tout à fait en public comme ils le devraient » Un besoin de formation complémentaire est également exprimé par les TISF qui interviennent au domicile dans le cadre de la prévention comme dans celui de la protection, lors des visites avec un tiers, quand l’enfant a été placé. Les TISF sont de plus en plus confrontés à des interventions auprès de parents souffrant de troubles psychotiques. Or, selon Jérôme Perrin, responsable du pôle « aide et accompagnement » de la fédération Adessadomicile, ces travailleurs sociaux dénoncent souvent un sentiment de mise en échec : « Les TISF n’ont pas une formation de psychologue ou de psychiatre. Lors des visites en présence d’un tiers, certains départements peuvent les mettre en difficulté en leur demandant d’être médiateurs de la relation parent-enfant, d’autant plus s’ils ne sont pas aidés par des spécialistes de la question. » Les liens seraient également à renforcer entre les professionnels qui interviennent dans ce type de cas : si les familles sont parfois suivies par un psychologue, les échanges d’informations ne sont pas forcément prévus avec les TISF. « C’est une chose sur laquelle on essaie de travailler », indique Jérôme Perrin.

Reste la question des moyens. S’ils ne sont pas pléthore en protection de l’enfance, ils le sont encore moins dans le secteur de la psychiatrie. « Il n’y a pas suffisamment de travailleurs sociaux ni de psychologues dans les services, dénonce Anne Guillemaut, qui suit en tant qu’avocate des familles d’enfants placés. Parfois, on a des mesures de placement prononcés pour un an, et les parents disent qu’ils ont vu les services sociaux quatre ou cinq fois dans l’année, et encore, pas toujours avec le même intervenant. C’est compliqué de faire avancer les choses dans ces conditions et de faire comprendre aux parents qu’il y a un vrai travail à faire, qu’il faut qu’ils se remettent en question. » Or, sans prise de conscience, la prise en charge des parents comme des enfants risque d’être vouée à l’échec.

Notes

(1) « L’expérience de la parentalité de mères psychotiques », de M. Cognard et J. Wendland, revue Dialogue 2015/4 n° 210, p. 99-110 (éd. érès).

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