Recevoir la newsletter

En toute discrétion

Article réservé aux abonnés

Monsieur Weber est un homme discret.

Il n’a jamais rien demandé à personne, mais aujourd’hui, ses 84 ans commencent à lui peser. « Juste une heure ou deux par semaine, pour les courses et un peu de ménage, ça m’aiderait déjà beaucoup. » Il est ici pour faire une demande d’aide à domicile et, si possible, d’aide au financement. Il avait peur de ne pas savoir remplir le dossier, alors il est venu me voir, moi, Florine, assistante sociale.

Mais il me le redit, il n’a jamais rien demandé à personne.

Nous remplissons ensemble un premier formulaire. Date de naissance ? Marié, célibataire, veuf ? « Administrativement célibataire », me répond-il. Je lève un sourcil et mon stylo. Des enfants ? Non, il n’a pas eu cette chance. Profession exercée ? Commerçant.

Au fur et à mesure, j’en apprends un peu plus sur M. Weber. Né en Alsace en 1935, il a déménagé à de nombreuses reprises avant de s’installer ici. Il a vécu longtemps avec quelqu’un sans être marié. Pas de pension de réversion, donc. Célibataire sans enfant, locataire, une petite retraite, et personne pour l’aider. Il n’a pas d’exigence particulière quant aux horaires. Un homme simple, un dossier simple.

Nous avons fini, les papiers sont tous remplis, et pourtant M. Weber ne se lève pas.

« J’ai une requête un peu délicate, dit-il d’une voix hésitante. Je voudrais une personne discrète. »

Je ne suis pas étonnée. C’est une demande fréquente. Mais M. Weber semble plus inquiet que de coutume. Je tente de le rassurer. Les personnes intervenant chez les bénéficiaires sont soumises au secret professionnel.

Il insiste : « Vous savez, je suis un homme honnête, je fais ma vie tranquillement. J’aimerais que ça reste ainsi. J’aimerais avoir la paix. »

Il se tasse un peu sur son siège. Je sens son hésitation, je l’invite à continuer. Il prend une longue inspiration : « J’avais sept ans. Mon voisin s’appelait Dani. Un matin, les Allemands sont venus l’arrêter. Il n’est pas revenu. »

Il s’interrompt. Je ne dis rien. Les histoires de guerre, j’en ai entendu des dizaines, j’en suis toujours bouleversée.

« Il n’était pas juif. Ni résistant. Ni communiste. Rien de tout cela. Son seul tort était d’être homosexuel. Il est mort pour ça. Juste ça. »

M. Weber marque une pause.

« Moi aussi j’ai aimé un homme. Ma famille m’a renié. Nous avons souvent déménagé. Vingt ans de vie commune, mais nous n’avons jamais pu nous marier. Maintenant il est mort, et je suis seul. Je ne veux pas de problème, je veux être tranquille. Vous comprenez ? »

Oui, je comprends. Oui, cette peur, je la connais. Les regards que nous sentons dans notre dos, les allusions déplacées, la haine parfois… Je lui promets qu’il n’y aura aucun problème. J’aimerais y croire vraiment.

France, 2019. Je mesure le chemin parcouru, du paragraphe 175 au 17 mai 2013, du triangle rose au drapeau arc-en-ciel. Les lois évoluent, mais la peur est restée, tapie, sournoise. Envahissante.

Et moi, Florine ? Moi et ma femme ? Nous et notre fils ?

Devrons-nous vivre, comme M. Weber, en toute discrétion ? Hier, on en mourait. Aujourd’hui, la peur est toujours là. Et demain, qu’en sera-t-il ?

La minute de Flo

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur