Chaque jour, en moyenne, on compterait au moins 700 000 personnes sans abri dans l’Union européenne (UE), et de 3 à 4 millions au total sur une année, selon le 4e regard sur le mal-logement de la Feantsa et de la Fondation Abbé-Pierre (FAP) présenté le 3 avril. La proportion par rapport à la population totale – 0,14 % – est proche de celle des Etats-Unis. Sauf que, « en Europe, on est en augmentation constante depuis dix ans, alors qu’aux Etats-Unis, c’est en baisse constante », souligne Freek Spinnewijn, directeur de la Feantsa. Selon les organisations, le nombre de sans-abri est en hausse de 70 % depuis 2009. Cette année, le rapport zoome sur l’hébergement d’urgence. Un premier volet épingle « la gestion au thermomètre » des pouvoirs publics : à la sortie du plan hivernal 2017-2018, en France, 36 % des usagers se sont retrouvés sans solution d’hébergement. Idem en Angleterre où, selon une enquête de Homeless Link, 28 % des personnes hébergées dans les dispositifs d’urgence en cas de mauvais temps retournent à la rue à leur sortie, et 45 % perdent tout suivi.
En France comme dans la quasi-totalité des pays européens, le manque de qualité des hébergements d’urgence est pointé. Or les conditions indignes d’accueil sont une des causes du non-recours. Elles engendrent « une construction de mécanismes de défense, caractérisée par un repli sur soi et des difficultés à entretenir un lien avec les travailleurs sociaux », soulève Sarah Coupechoux, chargée d’études Europe à la FAP. Une travailleuse sociale française résume : « Tout se passe comme si l’exclusion n’était pas un passage dans la vie d’une personne ordinaire, mais un état qui la maintient hors de la commune humanité. Ce qu’elle vit n’est pas entendu comme un scandale, mais comme la panoplie classique d’une catégorie sociale. »
La mise à mal de l’inconditionnalité de l’accueil traverse tous les pays de l’Union, même si les critères de priorisation des publics « peuvent être contradictoires ». Aux Pays-Bas, l’accent est mis sur les personnes souffrant de problèmes psychiatriques, tandis qu’en Pologne « on doit prouver qu’on est suffisamment autonome pour vivre en communauté », pointe Chloé Serme-Morin, chargée de mission à la Feantsa. Par ailleurs, les durées de séjour s’allongent. En Pologne, les personnes restent en moyenne 10 ans dans les hébergements d’urgence, devenus des lieux de vie sans pour autant être adaptés à la réinsertion sociale. Dans une moindre mesure, à Paris, la Cour des comptes note que, de 2010 à 2015, le nombre moyen de nuitées a doublé pour les personnes isolées et les couples, et est passé « de 130 à 191 nuitées pour les familles ». Là où la mise à l’abri devrait n’être qu’un tremplin, elle devient, selon la Feantsa et la FAP, « facteur de chronicisation du sans-abrisme sur le long terme ». Seule la Finlande fait figure d’exception : « L’hébergement d’urgence s’est résidualisé au profit du logement permanent à destination des personnes sans domicile. »
Dans toute l’Union, les dépenses des administrations publiques en matière de logement sont en baisse constante depuis 2008. En parallèle, le budget de l’hébergement d’urgence a triplé en France depuis 10 ans, a doublé en Irlande et est en hausse de 40 % en Angleterre. Un arbitrage financier absurde ? La Feantsa et la FAP évaluent le coût moyen d’une nuit en hébergement d’urgence en France à 43 €, contre 6 € pour une nuit en intermédiation locative.
Au Portugal, des « noyaux de planification et d’intervention pour les sans-abri », créés dans le cadre des conseils locaux d’action sociale, sont « chargés d’affecter un travailleur social à chaque personne sans domicile suivie, qui sera référent tout au long du parcours d’insertion ». A Bruxelles, le dispositif « Hiver 86.400 » cristallise plusieurs partenaires autour de l’accompagnement en journée des personnes sans abri, en complément de l’accueil de nuit du plan hivernal. Il vise à « redonner un sens à l’abri et à replacer l’accueil hivernal dans une perspective de travail de réhabilitation sociale du public sur le long terme ».