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Vieillir LGBT : la fin de l’invisibilité ?

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Plus d’un million de personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) sont âgées de 60 ans et plus en France. Pourtant, les associations de défense des droits LGBT déplorent que la question du vieillir LGBT soit encore trop peu prise en compte dans les Ehpad et l’aide à domicile.

« Les personnes âgées LGBT qui résident dans des établissements d’accueil pour personnes âgées, ou qui bénéficient d’accompagnement à domicile, sont contraintes, encore aujourd’hui et pour des raisons multiples, de cacher ce qu’elles sont. Dans ce contexte, cette population peut vivre de façon particulièrement violente des présupposés ou des attitudes de rejet à son encontre. Seuls des changements concrets de culture, d’organisation et de pratiques peuvent faire progresser les questions relatives à l’orientation sexuelle et à l’identité sexuelle ou de genre dans les institutions de prise en charge. » L’Autre Cercle, l’une des principales associations LGBT françaises, dont l’objet est de lutter contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre dans le monde du travail, propose, depuis 2014, une charte d’engagement et d’accueil du « Vieillir LGBT » à destination des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), des communes et des organismes travaillant avec des personnes âgées. Cette charte a pour objectif d’assurer un lieu de vie inclusif pour des personnes LGBT vivant dans les structures pour personnes âgées ou bénéficiant d’un accompagnement à domicile. La fondation hospitalière Sainte-Marie a été la première à la signer, en juin 2014. Plus récemment, en décembre 2017, le Groupe Korian, leader du secteur des Ehpad commerciaux, a signé la charte d’engagement. « Ce n’est pas suffisant. On avait imaginé cette charte à l’époque où les groupes d’Ehpad étaient insensibles à ce sujet. On a eu une période où la question du vieillissement des personnes LGBT faisait l’objet d’un anonymat total et d’une invisibilité », souligne Catherine Tripon, porte-parole de la Fédération nationale de l’Autre Cercle. « Les Invisibles » était d’ailleurs le titre d’un documentaire de Sébastien Lifshitz, présenté au Festival de Cannes en 2012, César du meilleur documentaire en 2013, qui retrace le parcours de sexagénaires homosexuels et bisexuels.

Retour au placard

La France compte 1,3 million de personnes âgées LGBT. La communauté LGBT vieillissante est composée d’une génération née entre les années 1930 et 1950. Ces individus ont vécu la majeure partie de leur vie avec le poids social du tabou de l’homosexualité, à une époque où l’homosexualité était pénalisée [jusqu’en août 1982]. Ils ont fait face à une absence de réseau de solidarité familiale et à l’épidémie du sida. Cette génération s’est habituée à vivre dans le secret, cachée, placardisée afin d’éviter la stigmatisation et la discrimination sociale, et le rejet sur le plan familial. Avec l’avancée en âge, les personnes âgées LGBT font l’objet à la fois d’âgisme, d’homophobie et de sérophobie pour certains. Pour beaucoup, l’admission en Ehpad est un retour au placard, faute d’une sensibilisation et d’une formation suffisante des professionnels. « La situation des seniors LGBT n’est même pas une question évoquée par les acteurs de la filière gérontologique, et cette population n’est donc pas identifiée comme pouvant subir une discrimination : une population invisible ne souffre pas et n’a pas de revendications. Cette invisibilité est une stratégie de défense à un moment où l’on se sent plus particulièrement vulnérable. Son origine ? Le long apprentissage des discriminations vécues tout au long de sa vie », explique Francis Carrier, un militant de longue date de la cause gay et de la lutte contre le sida, dans le rapport 2018 de SOS homophobie. « Que ce soit à leur domicile, ou dans un établissement d’accueil pour personnes âgées, les seniors LGBT vivent un isolement plus marqué, et ce phénomène d’auto-exclusion n’est pas la seule cause de discrimination. Parler des seniors LGBT, c’est toucher un sujet qui concerne différents types de discriminations : l’âgisme, l’homophobie ordinaire ou intériorisée et les difficultés du vieillissement propre aux personnes trans qui pour l’instant n’est quasiment pas étudié », déplore le fondateur de l’association GreyPride.

En matière de réflexion sur l’accompagnement du vieillissement de la population LGBT, la France a du retard en comparaison avec l’étranger où de nombreuses initiatives ont déjà été lancées. Ainsi, au Québec, la fondation Emergence, avec le soutien des pouvoirs publics, a élaboré, dès 2009, à l’intention des Ehpad, une charte de bientraitance envers les personnes âgées homosexuelles. Aux Pays-Bas, le consortium Pink 50 +, piloté par COC Pays-Bas, la plus ancienne association de défense des droits des gays dans le monde, a mis en place avec le soutien des pouvoirs publics, « Pink Passkey », un « outil d’évaluation de la tolérance » pour les Ehpad.

En novembre 2018, Anne Hidalgo, la maire de Paris, a présenté un plan d’actions pour lutter contre les LGBT-phobies. Parmi les 32 mesures, on note le renforcement de l’inclusion des personnes âgées, en développant la démarche « GreyPride » et en formant les personnels des Ehpad, des résidences services et des services d’aide à domicile sur les questions d’orientation sexuelle et de genre. Lors du conseil de Paris du 4 juin 2018, Anne Hidalgo avait annoncé le déploiement de la démarche « GreyPride Bienvenue » dans les 16 Ehpad de la ville et la préparation d’un label pour améliorer l’accueil des personnes âgées LGBT et le respect de la sexualité dans le secteur médico-social, associatif et commercial. « GreyPride Bienvenue » est une démarche qui permettra aux personnels en Ehpad d’aborder la sexualité des personnes âgées, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, le VIH et l’accueil des personnes séropositives. « Les établissements qui s’inscriront dans cette démarche s’engageront au respect d’une charte, à mettre en place un plan de formation auprès des salariés, à être évalués dans le temps sur des critères définis par GreyPride. En retour, GreyPride proposera d’être un centre de ressources à travers une hotline, et proposera des médiations pour les situations les plus difficiles », explique sur son site Internet le collectif GreyPride. Le groupe de pilotage en charge de la construction de cette nouvelle démarche est constitué de directeurs d’Ehpad, de gériatres et d’organismes d’aide à domicile dans l’attente d’outils pour améliorer la situation de leurs pensionnaires et aider les soignants-aidants dans cet accompagnement.

Ehpad « gay friendly »

En France, les pouvoirs publics et les acteurs du secteur médico-social s’intéressent très timidement à la problématique du vieillissement des personnes LGBT. En 2012, le plan d’action contre l’homophobie de Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des Droits des femmes, préconisait que les personnes âgées LGBT soient « l’objet de l’attention de l’inspection générale des affaires sociales et des Ehpad » et que les personnels de santé soient formés à la lutte contre l’homophobie en général. Dans le cadre de la préparation de la loi sur l’adaptation de la société au vieillissement (ASV), les associations Aides, SOS homophobie et le Groupe SOS, gestionnaire de services et établissements pour personnes âgées, ont rendu, en novembre 2013, un rapport sur les conditions de vieillissement des personnes LGBT et des personnes vivant avec le VIH, réalisé à la demande de Michèle Delaunay, ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie. Le rapport reconnaît que « le vieillissement chez les personnes LGBT n’a rien de particulier en soit », mais que leur histoire personnelle et leur état de santé créent « des spécificités, des difficultés sociales, économiques et sanitaires », à prendre en compte pour « rétablir l’égalité dans l’âge ». Parmi les 23 propositions du rapport – dont une meilleure formation des personnels des Ehpad –, il est préconisé de permettre et d’accompagner la mise en place de lieux d’accueil communautaires conçus, construits et gérés par les personnes les premières concernées, en lien avec l’Etat et les associations. Des propositions restées lettre morte.

Doit-on vraiment considérer les LGBT comme un public spécifique en Ehpad ? Les initiatives de création de maisons de retraite « gay friendly » suscitent, en France, une crainte d’un repli communautaire ou d’une ghettoïsation. En 2013, une société britannique – The Villages Group – avait souhaité implanter un village destiné aux retraités homosexuels dans la commune de Sallèles-d’Aude, près de Narbonne. Le projet qui avait fait couler beaucoup d’encre prévoyait la construction de 107 maisons individuelles et écologiques, isolées du reste de la commune par une enceinte. Six ans plus tard, il n’est pas sorti de terre.

Si les maisons de retraite LGBT n’ont pas encore vu le jour en France, il existe déjà des structures de ce type en Suède, aux Pays-Bas et aux Etats-Unis, où deux nouvelles maisons de retraite LGBT+ sont en construction à New York, qui devraient ouvrir leurs portes en 2019. En Allemagne, l’habitat communautaire Beginenhof, fondé en 2007 à Berlin est destiné aux femmes âgées lesbiennes. A Madrid, en Espagne, la première maison de retraite LGBT publique a ouvert ses portes en août 2018. En Angleterre, un premier service à domicile « Alternative Care Services », spécifique aux LGBTQI+, a récemment vu le jour.

Mais la création d’Ehpad ou de résidences autonomie « gay friendly » est-elle vraiment une attente de la communauté LGBT en France ? Selon les résultats d’une enquête réalisée par l’association l’Autre Cercle, en 2015, sur « vieillir LGBT après l’activité professionnelle », 89 % des personnes interrogées souhaitaient pouvoir intégrer des structures « gay friendly », mais n’aspiraient pas, en général, à se retrouver dans des établissements réservés aux personnes LGBT. La principale demande portait sur l’égalité de traitement. Ainsi, 79 % des répondants pensaient qu’une charte pouvait être utile afin de lutter contre les discriminations au sein des maisons de retraite, 62 % qu’il faut agir pour permettre aux couples homosexuels d’intégrer ensemble un établissement et 62 % qu’il faut former le personnel.

A l’heure où le secteur du grand âge s’interroge sur les mutations nécessaires de l’offre et de l’accompagnement pour répondre aux besoins et surtout aux attentes de la génération des baby-boomers qui sera plus exigeante, la question se pose également pour les personnes âgées LGBT. Dans les années à venir, près de deux millions de personnes LGBT entreront dans le 3e et 4e âges. Ce retour vers le placard contraint qui accompagne aujourd’hui l’admission en Ehpad ne sera ni acceptable ni accepté par cette génération qui a vu ses droits et sa visibilité évolués et qui a une culture de militance pour le respect de son identité.

L’isolement social des personnes âgées LGBT

L’isolement social est aujourd’hui reconnu comme le facteur de risque le plus important pour les personnes âgées. Les personnes âgées LGBT sont confrontées à une perte progressive de leurs liens sociaux plus importante que celle connue par les hétérosexuels. Ils souffrent souvent d’isolement social en raison du rejet de leur orientation sexuelle. Aujourd’hui, 65 % des personnes âgées LGBT vivent seules contre 15 % pour les hétérosexuels de moins de 70 ans et 55 % pour les plus de 80 ans.10 % d’entre eux ont des enfants contre 80 % pour les hétérosexuels qui ont en moyenne 1,9 enfant et 5 petits-enfants.

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