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Coordinateur de parcours : une nouvelle fonction à part entière

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« Un ajusteur de l’offre et de la demande. » C’est ainsi que le psychosociologue Jean-René Loubat traduit la fonction de « coordinateur de parcours ». Une profession qui apporte une nouvelle expertise dans l’accompagnement des usagers.

« Les orientations inclusives qui s’affirment au sein de toutes les sociétés ouvertes et développées tentent d’assurer la cohérence et la continuité des diverses interventions nécessitées par les situations de handicap dans le milieu même des personnes concernées. Cependant, accompagner un parcours requiert d’en suivre les aléas, sinuosités et péripéties… Cette nouvelle approche – née tout de même dans les années 60 en Amérique du Nord et mise en œuvre depuis dans de nombreux pays –, plus écologique, conduit à repenser la notion historique d’établissement – voire à l’abandonner progressivement – pour opérer davantage en réseau, en partenariat avec de multiples acteurs, si possible du droit commun.Cela pose par là même la nécessité d’une coordination de parcours au sein de véritables plateformes de services(2) capables de proposer une palette diversifiée et modulable de prestations. Le “coordinateur de parcours” assure l’ajustement entre le projet de vie et les besoins de la personne bénéficiaire et les services qui lui sont proposés en réponse, ainsi que la liaison opérante entre les divers intervenants impliqués dans le temps (parcours) et dans l’espace (territoire), en concertation naturellement avec les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et dans la continuité de leur action. Bref, c’est une interface, un pivot, un relais, un fil rouge, en une formule : un ajusteur de l’offre et de la demande.

Il s’agit bien là d’une nouvelle expertise qui est en train d’émerger fortement et qui ne peut se dissoudre dans le rôle d’éducateur référent traditionnel ou d’assistante sociale, même si naturellement elle ne réinvente pas tout et s’inspire en partie de rôles préexistants. En effet, la formule rituelle (maintes fois entendues depuis trente ans) : “On le fait déjà” ne saurait masquer le profond changement de posture qu’impliquent le recentrage sur la personne et la logique de parcours qui l’exprime. Il serait fallacieux de penser qu’il ne s’agit là que du simple prolongement naturel de métiers préexistants sous prétexte de faire l’économie d’un plus vaste aggiornamento du secteur de l’action médico-sociale…

Beaucoup d’opérateurs avancés l’ont compris et recrutent (et forment) pour cette raison des coordinateurs de parcours. Cette fonction de coordination s’apparente à ce que les Américains appellent “Case Management”, vocable qui pénètre peu à peu l’Hexagone – y compris l’action médico-sociale. Les principaux objectifs du case management sont d’élever le niveau de qualité du service rendu aux destinataires, de diminuer les risques de soumission de leur part et de favoriser leur autodétermination(3), d’obtenir une collaboration plus effective, d’améliorer l’efficience par de meilleurs processus et donc de réduire les coûts pour la collectivité.

La fonction de coordinateur de parcours ressemble à une forme de coaching social personnalisé. Elle pourrait d’ailleurs, à terme, s’exercer hors un seul opérateur : soit de manière mutualisée entre divers opérateurs sur un territoire donné, soit au sein d’organisations spécifiques de services à la personne, d’organisations non gouvernementales ou d’associations de défense des consommateurs ou représentatives des bénéficiaires, soit encore de manière libérale pour le compte direct de bénéficiaires, comme cela peut être déjà le cas dans d’autres pays européens.

Etre coordinateur de parcours s’avère une fonction à part entière(4) car elle exige une posture et un positionnement singuliers – comme pour tous les acteurs à qui l’on confie une part de sa destinée – qui requiert à la fois de l’empathie, de la distance, de la discrétion et un rapport privilégié (médecins, psychothérapeutes, avocats, coachs, experts-comptables, prêtres…). De ce fait se posera rapidement la question d’un “balisage déontologique” de cette fonction originale.

Une fonction qui suscite de plus en plus de vocations

Bref, nous avons affaire à une fonction passionnante qui suscite de plus en plus de vocations parmi les professionnels de l’action sociale et médico-sociale ou d’autres horizons. Aussi les formations se multiplient-elles : l’ISPED de l’université de Bordeaux et l’IAE de Bayonne proposent en collaboration un diplôme inter-universitaire qui en est à sa seconde promotion, Espace Sentein réalise également une formation spécifique, mais beaucoup d’autres organismes sont sur les rangs. La formation ne saurait pourtant suffire à aplanir toutes les difficultés : cette nouvelle fonction requiert des qualités personnelles et donc un profil mais s’apprend également sur le tas, d’où l’intérêt d’une supervision (à doses raisonnables) qui accompagne, outille et traite les questions de diverses natures posées par les coordinateurs en poste.

Aussi enthousiasmante soit-elle, cette fonction peut se heurter à quelques freins institutionnels : tout en évoquant tous azimuts la nécessité de la coordination, la puissance publique botte cependant jusqu’alors en touche quant au statut de cette nouvelle fonction… L’obsolète convention 66 ne la conçoit pas et celle de 51 la banalise. Les coordinateurs de parcours, auxquels on demandera de plus en plus de compétences et de responsabilités, ne manqueront pas de s’interroger sur l’évolution de leur propre parcours professionnel et sa reconnaissance financière. Surtout lorsque les professions de niveau III (ES, AS, CESF, EJE) accèderont au niveau II (en juin 2021)…

D’autre part, du fait même qu’elle va de pair avec un changement de paradigme (logique de parcours et d’inclusion), cette fonction de coordination entraîne une nécessaire réingénierie organisationnelle. En effet, les accompagnements devant dépendre des projets de vie, des attentes et besoins des personnes bénéficiaires – et les coordinateurs étant là pour veiller précisément au bon ajustement des attentes et des réponses –, celles-ci doivent évoluer et se moduler davantage grâce à une disposition en plateformes de service. Cette réingénierie re-questionne les autres fonctions et les interactions avec ces dernières. De qui dépendent les coordinateurs de parcours ? Quelles relations avec les cadres ? Comment s’articulent-ils avec les autres professionnels qui accompagnent les bénéficiaires ?

Bref, l’installation de coordinateurs de parcours requiert au plan managérial une véritable pédagogie du changement passant par de l’information, des explications et de la formation. Surtout si l’on songe que nombre de professionnels de proximité n’ont pas réactualisé leurs formations initiales dans un univers d’activité où tout est en mouvement.

Contact : jean-reneloubat@wanadoo.fr

Notes

(1) Consultant libéral en ressources humaines et ingénierie sociale auprès des opérateurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux et président d’honneur du think tank Parcours & Innovations.

(2) Concevoir des plateformes de services en action sociale et médico-sociale – J.-R. Loubat, J.-P. Hardy, M.-A. Bloch – Ed. Dunod, 2016.

(3) Suivant en cela les principes de l’Independent Living Movement : reconnaissance de l’expertise et de l’autodétermination de la personne. Rappelons que ce mouvement est né aux Etats-Unis en 1960 et est actuellement représenté en Europe par l’European Network for Independent Living.

(4) Voir Coordonner parcours et plans personnalisés en action sociale et médico-sociale – J.-R. Loubat – Ed. Dunod – 2017 ; Coordination et parcours. La dynamique du monde sanitaire, social et médico-social – M.-A. Bloch, L. Hénaut – Ed. Dunod, 2014.

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