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L’école inclusive : progrès ou régression sociale ?

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Principal de collège, Pascal Guillot retrace l’évolution de l’accueil scolaire des enfants en situation de handicap, passant de l’intégration, où l’enfant devait s’adapter, à une logique inclusive, où c’est à l’école de le faire. Et il interpelle sur le besoin impératif de former les enseignants.

DEPUIS LA LOI DE 2005, ON NE PARLE PLUS D’INTÉGRATION SCOLAIRE MAIS D’INCLUSION des élèves en situation de handicap. C’est que le chemin parcouru fut long depuis l’ancienne loi de 1975, et bien plus discriminant encore avant l’adoption de cette dernière.

Penchons-nous un instant sur la sémantique de ce mot “handicap”, pour en cerner la substance originelle. Le mot apparaît pour la première fois en Angleterre il y a plusieurs siècles. Le hand in cap décrit alors un jeu de hasard, littéralement la “main dans le chapeau”. Trois parieurs engageaient une somme égale, et le sort désignait le vainqueur de la mise.

Au XVIIIe siècle apparaît la course de chevaux à handicap. Elle consistait à différencier les poids que porteraient les chevaux afin d’égaliser les chances de chacun. Ainsi les meilleurs purs-sangs étaient plus chargés et les moins bons, moins chargés.

Par extension, la médecine définira le handicap comme un désavantage physique ou mental subi par une personne. La loi de 2005 en donnera un champ définitionnel précis : “Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant.”

Les définitions posées, on est en droit de s’interroger sur les contours du champ lexical du mot “handicap”. En effet, son contenu a beaucoup varié au fil du temps, selon les philosophies et leurs promoteurs ; dogmes militants et associatifs chez certains, enjeux de société pour d’autres, peurs et ignorance pour beaucoup d’entre nous, au vu de trois périodes historiques, avant 1975, de 1975 à 2005 et de 2005 à nos jours.

L’intégration s’est développée en France à la suite de la loi d’orientation de 1975, qui donnait désormais priorité à une scolarité en école “ordinaire”, ou tout au moins au plus proche du milieu de vie ordinaire. Pour autant, l’école n’était pas contrainte d’accueillir les élèves handicapés.

La cohabitation de deux systèmes éducatifs

C’est ainsi que, pendant un siècle (depuis la création des classes de perfectionnement en 1909 et son pendant psychométrique des chercheurs Alfred Binet et Théodore Simon), deux systèmes ont fonctionné. D’un côté, l’éducation “spéciale” puis “spécialisée”, avec ses nombreuses structures ou classes – et sa longue liste de sigles (SES, Segpa, IME, IMpro, IR, Ithep, Ulis, UPI, Clis, Mecsa…) – et les plateaux techniques propres à chacune d’elles. De l’autre, l’école ordinaire, qui a longtemps produit et continue aujourd’hui à produire de l’injustice sociale sous l’angle de l’égalité des chances.

Avec l’intégration, les enfants doivent s’adapter à l’école ordinaire grâce à des dispositifs adaptés ou spécialisés. Dans la logique inclusive, c’est à l’école de s’adapter pour apporter une réponse scolaire au plus près des besoins de chaque élève.

Qu’en fut-il de cette belle philosophie de l’intégration ? Tout d’abord minimale et minimaliste, elle consistait simplement à intégrer physiquement, en permettant aux enfants handicapés de partager des locaux avec les autres enfants, sans pour autant que cette cohabitation mette réellement en relation les uns avec les autres. Plus tard, l’intégration fut plus largement sociale, les enfants handicapés partageant certaines activités avec les autres autour des repas, de la récréation et de la classe. Pour atteindre enfin, au sein des classes ordinaires, un niveau d’intégration davantage pédagogique, en engageant les enfants handicapés dans les mêmes activités d’enseignement que les autres élèves. Mais ne soyons pas naïfs. Le principe de réalité nous rattrape, comme à chaque fois.

Les pratiques intégratives non spécialisées étaient suffisantes et pertinentes pour les enfants dont le handicap, s’il était compensé convenablement, n’entravait pas un parcours scolaire ordinaire. Pour les enfants qui, présentant une déficience sensorielle ou motrice, pouvaient assister aux mêmes enseignements que tous les autres élèves de leur classe d’âge, pour peu qu’il y ait eu un aménagement réel des locaux, la mise à disposition de matériels informatiques spécifiques ou l’aide d’un auxiliaire de vie scolaire. Ainsi, le dispositif était opérationnel, parfaitement efficace dès lors que l’écart entre les besoins particuliers et ceux des autres élèves considérés comme étant dans la “norme” n’était pas trop important, sous l’angle des capacités cognitives et sociales de chaque individu. C’est que, en effet, la situation fut bien illusoire pour les élèves qui devaient avancer et progresser avec une différence importante entre leurs capacités et celles des autres enfants de la classe, supposés, eux, dans la norme. Et là est toute la question ! Comment amplifier cette compensation pour réduire cet écart si injuste ?

Historiquement, cette compensation n’a jamais été aussi ambitieuse et efficace que lorsque l’on confiait cette tâche à des enseignants spécialisés, hautement formés et habités pour la plupart d’entre eux par une forme d’humanisme militant, qui force encore aujourd’hui le respect. L’enseignant français “ordinaire” est resté, quant à lui, monovalent et disciplinaire, attaché exclusivement à sa matière universitaire. On doit impérativement inclure dans son parcours de formation initiale des apports scientifiques et philosophiques, afin qu’il puisse répondre naturellement et efficacement aux besoins spécifiques de certains de nos élèves, qu’ils relèvent d’un enseignement ordinaire ou spécialisé.

La menace d’une “déspécialisation”

Avec l’inclusion, on assiste, par voie de conséquence, à une “déspécialisation” de l’enseignement spécialisé, ressources humaines et techniques pourtant nécessaires à la transmission des savoirs pédagogiques ciblés, pour des publics “ciblés”. Or, bien sûr, ces enseignants spécialisés sont toujours là. Ils continuent à enseigner dans des structures ou des classes implantées dans les écoles ordinaires. Leur disparition serait catastrophique. Ils sont assurément une ressource vitale pour les enseignants généralistes, aussi performants soient-ils dans leur champ disciplinaire.

Le processus de l’école inclusive est en théorie révolutionnaire puisque l’enfant est a priori dans l’école ordinaire et que cette dernière doit trouver les aménagements sous toutes ses formes permettant une scolarité répondant aux besoins de tous les élèves, même ceux qui rencontrent des difficultés scolaires ordinaires. C’est le cas aujourd’hui pour les enfants rencontrant des troubles du langage (dyslexie, dysorthographie, dyscalculie…).

“Ordinaire” doit donc définitivement signifier “mêmes enseignements pour tous”. Ce sont les pratiques et les contenus didactiques, pédagogiques et évaluatifs qui doivent évoluer. Autrement dit, il s’agit maintenant de rendre le “spécialisé” ordinaire, et peut être que là, enfin, les pédagogies différenciées ou adaptées, tellement décriées par le passé, permettront à tous les enfants, quels que soient les potentiels en présence, efficients ou déficients, d’apprendre ce qui leur est enseigné. N’est-ce pas là la première mission de l’école ? Mais prenons garde aux dérives, car mal intégrer, c’est assurément désintégrer l’individu. Il en sera de même du “mal inclure”, qui conduira potentiellement à exclure. Au-delà des moyens humains imparfaits mais perfectibles, des sciences cognitives récentes ou des questions d’argent qui n’ont plus lieu d’être, sous l’angle des défis de demain, c’est une révolution philosophique dans le domaine éducatif qu’attendent les parents et les enfants de la République. L’étymologie latine du mot “intégrer” n’a jamais été aussi visionnaire. Elle nous pousse à cette réflexion clairvoyante, intégrer signifie littéralement “renouveler et rendre entier”. »

Contact : pascal.guillot1@ac-nantes.fr

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