Il y a une multiplication des situations de rupture conjugale qui font que des familles se retrouvent en situation monoparentale pour un temps indéterminé. Or on constate une difficulté flagrante : la production du logement social depuis ces 15 dernières années n’est plus à même d’accueillir des ménages à très faibles ressources. L’Etat n’a pas été à la hauteur : les prix de sortie ne peuvent être encaissés que par deux revenus, pas par un seul. Par ailleurs, l’occupation du parc social est en phase de lourd vieillissement. Il y a 30 ans, il était possible de recevoir des jeunes avec des délais d’attribution qui le permettaient. Désormais, les files d’attente se sont allongées, l’âge moyen d’accès au parc social a considérablement progressé. Il y a donc un vieillissement de l’occupation pour deux raisons : on reste plus longtemps dans le parc social parce que l’on est captif, sans avoir les moyens d’accéder au parc privé ; et l’on y entre beaucoup plus tard à cause des délais d’accès plus longs.
Clairement oui. La loi de finances, surtout, a accéléré des tendances lourdes que l’on constatait depuis 15 ans mais contre lesquelles nous arrivions à opposer un peu de résistance. Là, il y a une brutalité profonde qui a comme seul objectif la privatisation du parc, et sa financiarisation. C’est-à-dire que l’Etat va laisser sa place à des capitaux privés. Le risque de laisser des investisseurs privés rentrer dans le parc est que, s’ils ne sont pas contraints à l’intérêt général, ils exigeront une valorisation de leurs capitaux : on sera dans une marchandisation du parc HLM. L’exemple allemand est flagrant : ils ont fini par tirer le signal d’alarme en se rendant compte que, bien souvent, ils avaient affaire à des investisseurs prédateurs. Nous avions un modèle de logement social très observé, et c’est au moment où l’Angleterre et l’Allemagne se rapprochent le plus de celui-ci que nous enclenchons une véritable bombe à retardement : le processus de vente en blocs… Un investisseur a besoin d’avoir la rentabilité de son capital. Je ne vois donc pas comment il n’y aura pas, à un moment, une violence sur le locataire qui voudra se maintenir dans les lieux alors que l’investisseur n’attendra qu’une seule chose : qu’il parte pour revendre le logement auprès du marché. L’enjeu, à la fin, ce sera : le prix du marché ou le maintien dans les lieux.
Je suis très inquiet. La frustration va être énorme, et toute violence contribuera à la création d’une nouvelle violence. Les familles demanderont des comptes… Nous, le corps intermédiaire, le tissu associatif, nous ne pourrons pas faire tampon. Les conditions de vie vont se dégrader, cela commence dès maintenant : on voit déjà les tensions sur les territoires. L’horreur, ça va être la comparaison d’un site par rapport à un autre site : comme le bailleur n’aura pas les capacités d’entretenir tout le patrimoine d’un seul coup, il devra faire des arbitrages. Les locataires auront raison de demander : pourquoi eux, et pas nous ? On va accroître l’individualisation et les comportements de jalousie ou de dénigrement. De toute façon, ces baisses vont engendrer des fractures territoriales, amoindrir le vivre-ensemble, et mettre en concurrence les publics pauvres entre eux, devant l’incompréhension d’obtenir un même service pour tout le monde.
L’avenir serait la régulation des prix dans le privé, et le financement du logement social par l’Etat, sa mission régalienne. Il y a bien des solutions : la mise en place de l’encadrement des loyers, le réinvestissement de l’Etat, et le maintien du modèle protégé qui repose sur l’épargne populaire. C’est ainsi que l’on remet la machine en marche pour sortir de la crise. Les recettes ne sont pas compliquées : il faut investir sur la question de l’habitat, qui sert de principal amortisseur social.