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Le modèle français mis à mal

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Réunis lors de la journée du Réseau des acteurs de l’habitat le 20 mars, les représentants du monde HLM ont partagé leurs inquiétudes quant à l’avenir du parc social. La trajectoire gouvernementale fait craindre une baisse de la construction, une diminution des fonds propres des bailleurs, et la dégradation des conditions de vie des locataires. Une crise que beaucoup analysent comme un changement de paradigme.

TOUS LES VOYANTS SONT AU ROUGE. Avec la loi de finances pour 2018, suivie de la loi « Elan » puis de récentes mesures du gouvernement touchant au logement social, les organismes HLM sont en alerte. A la journée du Réseau des acteurs de l’habitat du 20 mars, tous témoignent d’une crise aggravée dont les impacts commencent à se faire sentir. Dominique Hoorens, directeur des études économiques et financières de l’Union sociale pour l’habitat (USH), introduit le colloque par un calcul des effets, sur trois ans, de la loi de finances pour 2018. Entre la réduction de loyer de solidarité (RLS), le gel des loyers, ou encore le désengagement de l’Etat du financement du Fonds national des aides à la pierre (Fnap), compensés par les bailleurs, une perte de 6 milliards d’euros serait à déplorer pour leurs fonds propres.

La principale crainte concerne les ventes de logements. Initialement, le gouvernement visait 40 000 transactions par an ; depuis, les objectifs chiffrés ont été abandonnés, mais la vente en blocs reste une priorité. Guillaume Gilquin, responsable du service des études à la Banque des territoires, tire de son dernier rapport « Perspectives » l’hypothèse que « les ventes aux personnes physiques et aux sociétés de ventes HLM pourraient doubler d’ici 2022 ». De quoi compenser des mesures comme la RLS et l’augmentation de la TVA ? Si « à court terme » le niveau de construction resterait « élevé », l’horizon à long terme est moins réjouissant. « La production de logements sociaux diminuerait de 38 % d’ici 20 ans pour retrouver le niveau du milieu des années 2000 », indique-t-il. La baisse du budget des bailleurs aura également des conséquences sur la maintenance. Une diminution de la rénovation thermique de 20 % sur 20 ans est envisagée. Inquiétant au vu de la moyenne d’âge avancé du parc social : 39 ans.

Parallèlement, on constate la paupérisation des demandeurs de logement social. Selon Dominique Hoorens, « 57 % des locataires du parc social et 73 % des demandeurs sont dans les trois derniers déciles de revenu par unité de consommation ». Jean-Louis Dumont, président de l’USH, se manifeste dans le public : « Pour Bercy, l’humain n’existe pas ! Les services à la personne n’existent pas ! Pour Bercy, il y a des gens qui ont de l’argent, vous, les organismes HLM… On est sur une bataille économique. Ayez bien en tête que vous êtes détenteur d’une valeur qui s’appelle l’immobilier », ironise-t-il. Avant de trancher : « La vente s’est toujours pratiquée là où il y avait une possibilité d’accéder à la propriété. La vente en blocs est une autre politique : c’est mettre à mal le logement pour tous. » Celle-ci peut être contraire aux objectifs de mixité sociale. « Regardons dans les plans prévisionnels des bailleurs : où sont situés les logements les plus vendables ? Dans les territoires les plus attractifs, souvent ceux où il y a le moins de logements HLM… », soulève Stéphane Peu, député de Seine-Saint-Denis (PCF). « Cela va avoir un effet pervers sur la mixité sociale dans notre pays. »

Besoin d’accompagnement

Toutes ces évolutions sont en œuvre alors que la demande de logements HLM a « augmenté de 12 % par rapport à 2015 », relève Dominique Hoorens. Elle atteint aujourd’hui le seuil de 2,1 millions de demandes. Avec cette hausse émerge une exigence d’accompagnement. « Un investissement supplémentaire va nous être demandé pour accompagner de plus en plus les ménages, les personnes vieillissantes, les sortants d’hébergement… », juge le directeur des études de l’USH. Un responsable d’un organisme HLM à Chambéry s’inquiète : « Avec la fermeture des hôpitaux psychiatriques, la baisse des places en structures pour les personnes dépendantes, ou encore le maintien à domicile plus long, nous devrons faire beaucoup d’efforts pour que nos immeubles absorbent les chocs sociétaux. »

Un changement de paradigme ?

La restructuration du secteur, basée sur des regroupements obligatoires à l’horizon 2021 pour les bailleurs possédant moins de 12 000 logements, est présentée dans la loi « Elan » comme une solution pour amortir la baisse de budget. Christophe Pallot, directeur » stratégie d’entreprise et organisation » à Habitat et territoires conseil, évoque les 40 projets de regroupements en cours, pour une centaine d’organismes. Le problème étant qu’« on ne dispose pas d’études documentées pour déterminer si les regroupements ont des effets d’échelle vertueux. Pour le moment, ces projets génèrent surtout des coûts de restructuration… » Même Pierre Quercy, chargé par le ministre Julien Denormandie d’une mission d’accompagnement de la réorganisation du tissu HLM, le reconnaît : l’hypothèse selon laquelle « il faut regrouper pour diminuer les coûts, ce n’est pas évident » et cette réforme « n’est pas la panacée ».

Ces trajectoires augurent-elles de la fin d’un modèle de logement social ? Dominique Hoorens se veut plus ou moins optimiste : « Des faillites, il n’y en aura pas : les organismes vont s’adapter à la nouvelle donne, il y aura des recompositions, des mécanismes de solidarité. Mais ce qui va trinquer, ce sont la maintenance, les dépenses, l’investissement… » Autrement dit, les locataires et demandeurs vont être en première ligne face à la baisse de l’offre et à la dégradation des logements. Une « dimension plus lucrative » avec de nouveaux investisseurs, des aides au logement en péril, la « disparition des subventions de l’Etat » dans les aides à la pierre… Ces petites révolutions s’imbriquent-elles « comme un puzzle » pour desservir un autre modèle de logement social ? Ou ne font-elles que déséquilibrer l’actuel ?

Les participants à cette journée semblent unanimes sur la seconde option. Y compris des personnalités politiques de bords opposés. Dominique Estrosi Sassone, sénatrice LR des Alpes-Maritimes, observe « un réel bouleversement du modèle économique du logement social. Que peut-il y avoir après ? Une volonté de privatisation du logement social via sa financiarisation ? » Les logements sociaux vendus au prix du marché rapportent « une plus-value qui normalement devrait revenir à la nation. Or la vente HLM sera systématisée parce que ce sera une condition de survie, et peut faire que le logement social ne sera qu’un objet financier ». Assis à ses côtés, Stéphane Peu l’admet en souriant : « Je partage presque tout ce qu’a dit Dominique Estrosi. On introduit une insécurité sociale sur le logement qui contribue à créer un climat d’anxiété pour les classes populaires. »

Seul face à ces réquisitoires, le député de l’Indre François Jolivet est l’unique représentant de la majorité LREM : l’absence du ministre Julien Denormandie a été excusée. « On s’est toujours senti intouchables : le logement social n’avait jamais été contributeur au redressement des comptes publics de l’Etat », commence celui qui fut directeur d’un office public de l’habitat. Quelques rires nerveux fusent après sa phrase de conclusion : « Le monde HLM a vécu des choses bien plus graves dont il s’est relevé. »

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