« DEPUIS PLUSIEURS MOIS, NOMBRE DE RAPPORTS, DE DÉCLARATIONS, TÉMOIGNENT d’un constat unanime : après l’hôpital général, l’hôpital psychiatrique publique français est en pleine dépression ! Ces derniers mois, les personnels soignants se sont mis en grève pour lancer un cri d’alarme et réclamer des moyens afin d’exercer dignement leur mission de soin.
Tant au niveau national qu’à l’échelon local, les manifestations de ces personnels attestent d’une période de crise qui dure, qui s’envenime. Dans la réalité des faits, beaucoup de paramètres contribuent à une telle crise : délais sans fin de prise en charge, soignants usés, voire désabusés, patients et familles qui se sentent abandonnés. Beaucoup s’accordent à situer l’origine du problème : des patients toujours plus nombreux et des moyens toujours plus contraints… “Faire plus avec moins” ! L’approche économique de cette détermination dans un esprit libéral a, depuis quelques années, accéléré le processus. Le “management” délibérément du côté de la performance, le pilotage par objectifs de rentabilité ont largement contribué à la dévalorisation du travail des praticiens, et engendré leur colère.
Le Mouvement pour l’accompagnement et l’insertion sociale (Mais) est, à divers titres, directement concerné par cette crise. Du point de vue de l’intérêt général, en tant que citoyens, nous sommes en droit d’obtenir un accès aux soins digne du XXIe siècle. Les délais de mise en place des premiers soins, les listes d’attente, les déserts médicaux compromettent ou limitent les démarches de prévention, les réponses aux premiers soins d’urgence. Cette situation nous alarme. Du point de vue de notre engagement professionnel, nous concevons l’accompagnement comme un processus social élaboré et dynamique dont le fil conducteur reste la relation : la rencontre humaine. Notre pratique professionnelle repose sur la prise en considération du sujet par une écoute qui soutient le cheminement d’un travail sur-mesure. Cette démarche nous a conduits au rapprochement incontournable avec d’autres secteurs, et plus particulièrement avec les services de soins spécialisés.
Actuellement, ce partenariat est mis à mal ! Les lieux de soins souffrent des effets délétères du “management”entrepreneurial et de l’attachement à une logique purement comptable… La quantité d’activité prime sur la qualité. Dans ce contexte, les soignants ont de plus en plus de mal à soutenir des pratiques de soins innovantes, à consacrer le temps nécessaire à la réflexion interdisciplinaire et à se coordonner avec les professionnels du secteur social et médico-social. Pourtant, nous commencions à sentir un décloisonnement des différents acteurs et une synergie d’actions, également recherchés dans le cadre des PTSM (plans territoriaux de santé mentale). Par le changement manifeste d’orientation de l’institution de soins, l’ambiance n’y est plus.
Du point de vue prospectif, il est à craindre que la transposition de rentabilité subie dans le secteur du soin produise les mêmes effets dans le secteur social et médico-social. A terme, la convergence tarifaire envisagée pour l’ensemble des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) se concrétisera par :
• des tarifs homogènes à l’ensemble des établissements d’un même secteur géographique ;
• l’application de tarifs plafonds.
Il est prévu que le contrôle et le suivi administratifs induits par la réforme s’appuient sur la généralisation des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM), outils supposément fondés sur des bases objectives pour veiller à une plus grande convergence tarifaire entre les établissements, en conciliant les nécessités de la gestion avec celles, expressément présentées comme prédominantes par les pouvoirs publics, du respect des enveloppes budgétaires disponibles dans le cadre d’une tarification “à la ressource”.
En outre, la contractualisation s’inscrit dans une réforme plus globale du financement de ces établissements, la généralisation des CPOM étant indissociable de celle des états des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD) et de leurs corolaires, les états réalisés des recettes et des dépenses (ERRD), impliquant la mise en place d’une nouvelle logique tarifaire.
En effet, l’EPRD, qui se substitue aux budgets prévisionnels, se caractérise par une inversion de la logique antérieure : la prévision des produits détermine dorénavant celle des charges. On passe d’une logique de transmission aux autorités de tarification d’un niveau de dépenses qui induit le niveau de ressources (cadre classique) à une logique de niveau d’activité qui induit un niveau de ressources, autorisant un niveau de dépenses des prestations. L’attribution d’une allocation à la prestation se substitue au financement de la prise en charge globale.
Le maître-mot de cette logique : la T2A, ou “fameuse” tarification à l’activité, mise en place depuis 2004 afin d’assurer la majeure partie des ressources des hôpitaux publics. Elle est aussi le mode de financement des établissements de santé privés. Largement plébiscitée à l’époque, elle est aujourd’hui critiquée pour la “course à la rentabilité” qu’elle a insidieusement entraînée. Elle s’est révélée inflationniste en priorisant (pour certains services) les activités les mieux rémunérées. Par ailleurs, elle a lourdement contribué, en l’accélérant, à la mise en concurrence des différents services. A la lumière de ces critiques, les services de l’Etat prévoient une réforme de ce mode de tarification, en envisageant non plus un financement à l’activité mais plutôt au forfait, voire au parcours. A suivre !
L’application de ce modèle tarifaire aux ESSMS nécessite une “machinerie” : Sérafin-PH (services et établissements : réforme pour une adéquation des financements aux parcours des personnes handicapées). Ce mode d’organisation bureaucratique nécessite de se référer à des indicateurs constants. Les besoins des personnes concernées seront regroupés en “groupes homogènes”, auxquels correspondront des “groupes homogènes de prestations”. A chacune de ces prestations serait appliqué un coût.
Cette approche déshumanise, elle œuvre à la réification du sujet en le réduisant à ses besoins. Cette approche disqualifie, elle œuvre à réduire le travailleur social à un exécutant. A standardiser les prises en charge, qu’adviendra-t-il de la personnalisation de l’accompagnement social ?
Comme dans toute application des politiques néo-libérales, la réforme vise à réguler les dépenses. Craignons que les professionnels de notre secteur connaissent les mêmes effets délétères que les professionnels soignants. Craignons surtout l’impact de cette réforme sur le devenir des personnes accompagnées. Face à l’emprise de cette logique libérale, priorisant le “prêt à porter social”, affichons notre attachement à la conception de l’accompagnement social comme du “sur-mesure”. Au modèle des prescriptions hors sol, opposons notre légitimité à défendre le principe de l’intervention de terrain ! »
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