ELLE-MÊME MÈRE D’UNE JEUNE FILLE AUTISTE, Fabienne de Oliveira crée, fin 2011, l’association Israa (Innover, sensibiliser, réagir pour l’avenir des personnes autistes) afin de favoriser au mieux l’intégration des personnes autistes. « J’ai dû quitter mon emploi pour m’occuper d’elle, puis j’ai constaté un vide criant de structures adaptées quand elle a eu 20 ans. » La question latente était celle de tous les parents : « Que va-t-il arriver à mon enfant lorsque je ne serai plus là ? » En s’appuyant sur une étude-action et un état des lieux national qui attestent de cette absence de dispositifs, Fabienne de Oliveira entraîne dans son sillage d’autres parents démunis. « Mon idée était de tirer ma fille vers le haut. L’idéal, pour elle, était d’être dans un logement “classique”, où l’on puisse l’accompagner selon ses besoins. » D’abord présidente de l’association, la fondatrice en est aujourd’hui l’une des chefs de service, après l’obtention d’un Caferuis. Entre-temps est né un projet innovant, HabiTED : « Une idée toute simple, finalement », selon Fabienne de Oliveira, qui ne voit pas pourquoi les parents de personnes autistes devraient se contenter d’espérer mettre leur enfant là où on peut le prendre. Avec « un premier financement expérimental dans le cadre de l’innovation », un bailleur social attentif et une ville partie prenante, HabiTED voit le jour sous la forme d’un habitat inclusif en milieu ordinaire dédié aux personnes autistes. Commune de 14 000 habitants en territoire semi-urbain, Roncq en devient l’écrin. Comprenant dix logements T1 bis et un grand T4 pour les bureaux et les activités collectives, le projet occupe un bâtiment à lui seul, un peu en retrait du bruit de la rue, derrière un second bloc de dix logements sociaux « ordinaires ». En janvier 2016, dix jeunes adultes âgés de 20 à 30 ans ont été les premiers locataires de ces logements adaptés. Et ce mois-ci, après un départ vers un logement « classique », un premier turn-over va permettre à une personne de sortir de la liste d’attente de 25 personnes. Les familles de cette liste sont régulièrement rencontrées afin de mieux préparer la future autonomie des candidats au dispositif. « Il faut qu’ils puissent se projeter, c’est un travail qui se construit longtemps à l’avance. »
Outre le manque de structures adaptées, le succès d’HabiTED repose sur une adaptabilité et une bienveillance qui nécessitent des professionnels aguerris. En effet, les seuls critères d’acceptation sont de pouvoir prétendre à un diagnostic d’autisme, avec ou sans déficience intellectuelle. Un médecin de l’unité de diagnostic du centre ressources autismes (CRA) du Nord-Pas-de-Calais réalise en parallèle une évaluation fonctionnelle. « Il ne s’agit pas de mettre en difficulté les futurs locataires », explique Fabienne de Oliveira. Si aucune difficulté majeure n’a émergé à la construction des logements ou lors des admissions, des écueils sont apparus du côté de l’accompagnement. Sur ce point, Israa a d’abord fait appel à des services d’aide à domicile du territoire. « Mais nous nous sommes aperçus au bout d’un moment que ces services avait un personnel trop “mouvant”. Or il faut une grande stabilité pour les personnes autistes. »
Après plusieurs tentatives auprès de diverses associations de services à domicile, Israa décide de créer le sien. C’est ainsi qu’en janvier dernier TED à Dom voit le jour. Dix salariés, dont neuf intervenants (aides médico-psychologiques, aides-soignants, éducatrices spécialisés, accompagnant socio-éducatif, technicienne de l’intervention sociale et familiale), composent cette équipe « sur-mesure ». TED à Dom n’a pas été pensé seulement pour les dix locataires d’HabiTED, mais bien pour « toute famille ou toute personne avec autisme ». « Le but, en créant ce nouveau service à domicile dédié est d’être le plus adapté possible aux besoins des personnes, résume Fabienne de Oliveira. Les intervenants spécialisés opèrent, certes, sur les dix logements, mais également dans des familles extérieures qui en font la demande ». L’équipe se réunit tous les quinze jours et intervient toute la journée auprès des locataires d’HabiTED. « Au début du projet, des intervenants passaient matin et soir. Mais nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas suffisant pour nos locataires les plus angoissés. Et nous avons aussi quelques locataires sans activité. » Cet accompagnement « renforcé » et individualisé permet une plus grande sérénité des esprits. L’équipe se doit d’être précise dans ses observations, chaque locataire disposant d’un protocole d’intervention avec des objectifs propres. Ce planning d’intervention est revu chaque semaine, pour mieux s’adapter aux besoins. « Nous avons dix profils différents, donc c’est au cas par cas. Certains ont des angoisses avant la nuit, d’autres ont besoin d’accompagnement aux repas, aux toilettes… » Mais durant la journée la majeure partie des locataires se trouvent à l’extérieur, en milieu ordinaire, en entreprise adaptée, en établissement et service d’aide par le travail ou en chantier d’insertion. Quant aux nuits, l’association a fait le pari d’une mutualisation des compétences : un foyer d’hébergement pour personnes handicapées se trouvant à côté, le veilleur de nuit alterne sa surveillance.
Pour la plupart, les locataires d’HabiTED sont bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés, éligibles à l’aide personnalisée au logement et complètent la prise en charge des accompagnements grâce à la prestation de compensation du handicap (PCH), qui sert à payer les sept intervenants spécialisés. Cette autonomie leur permet à tous de payer leur loyer, qui est celui de n’importe quel logement social. Ce système structuré d’habitat inclusif se veut sécurisant pour les locataires. « Ils n’ont pas envie de partir, sourit Fabienne de Oliveira. Certains ont beaucoup progressé sur le plan de l’autonomie grâce aux accompagnements et interactions sociales. Partir sera évidemment leur choix. En attendant, ils se sentent bien ici, et c’est ce qui importe. » Israa ne compte pas s’en arrêter là, et pousse plus loin l’inclusion. Un nouveau projet est en cours, prévu pour 2021 : neuf logements, cette fois-ci totalement compris dans un bloc de 27 logements. « Nous ferons encore plus attention aux logements eux-mêmes (couleurs, lumière, tout ce qui touche au sensoriel). HabiTED a ouvert des portes. » La mairie, qui avait réalisé pour HabiTED un fort travail de sensibilisation auprès des habitants, n’aura sans doute pas à le refaire. Ce qui reviendrait, à terme, à ce que ces habitats inclusifs soient tout simplement… inclus.
FIN 2011. Naissance de l’association Israa, qui compte désormais 11 administrateurs et 10 bénévoles.
JANVIER 2016. Lancement d’HabiTED, immeuble d’habitat inclusif composé de 10 T1 bis et d’un T4 pour les temps collectifs (avec aujourd’hui 10 locataires âgés de 20 à 30 ans et 25 personnes sur liste d’attente).
FINANCEMENT. 35 000 € sur les trois premières années (fonds départementaux de l’innovation, puis subvention pluriannuelle du département). Financement qui se poursuit aujourd’hui au-delà des trois ans, accompagné d’un bilan annuel au département. La PCH permet de payer les sept intervenants spécialisés.
JANVIER 2019. Création de TED à Dom, service à domicile d’Israa dédié aux personnes autistes, composé de 10 salariés dont 9 intervenants spécialisés.
2021. Projet de neuf nouveaux logements, inclus dans un collectif de 27 logements.