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La qualité de vie au travail : l’affaire de tous

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Pour porter ses fruits, la stratégie de promotion de la qualité de vie au travail (QVT) dans les établissements médico-sociaux (Ehpad et établissements accueillant des personnes handicapées) nécessitera une révolution des pratiques managériales et une forte implication des équipes dans les démarches.

« LE SECTEUR MÉDICO-SOCIAL A CONNU DE PROFONDES MUTATIONS ces quinze dernières années qui ont aujourd’hui un impact sur la qualité de vie au travail ressentie par les professionnels du secteur médico-social ainsi que sur leurs conditions de travail et, par conséquent, sur la qualité de l’accompagnement proposé aux personnes accueillies et du soutien aux familles. » Ce constat figure dans l’instruction du 17 juillet 2018 relative à la mise en œuvre d’une stratégie de promotion de la qualité de vie au travail dans les Ehpad et les structures accueillant des personnes handicapées. Partant de là, les agences régionales de santé (ARS) ont reçu des consignes pour faire de ce sujet une priorité.

Si la qualité de vie au travail (QVT) est désormais sur toutes les lèvres, le concept a un caractère fourre-tout. Comme le souligne Julien Pelletier, responsable de la priorité “qualité de vie au travail” à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), « la forte plasticité de la notion, et son caractère multidimensionnel, peut être propice à une certaine confusion ». « Le risque majeur réside dans la tentation de réduire la qualité de vie au travail à une vague notion de bien-être au travail, de confort, qui serait atteint via des programmes cibles de “promotion de la santé” ou de facilitation de la vie des salariés. […] Pour le dire autrement, il importe de s’intéresser au travail : activité, organisation et contenu, et non simplement à ses effets psychologiques sur les personnes », insiste l’Anact.

Selon l’accord national interprofessionnel (ANI) signé en juin 2013 par les partenaires sociaux, « la qualité de vie au travail peut se concevoir comme un sentiment de bien-être au travail perçu collectivement et individuellement, qui englobe l’ambiance, la culture de l’entreprise, l’intérêt du travail, les conditions de travail, le sentiment d’implication, le degré d’autonomie et de responsabilisation, l’égalité, un droit à l’erreur accordé à chacun, une reconnaissance et une valorisation du travail effectué ». Les partenaires sociaux précisent aussi que « la qualité de vie au travail désigne et regroupe sous un même intitulé les actions qui permettent de concilier à la fois l’amélioration des conditions de travail pour les salariés et la performance globale des entreprises, d’autant plus quand leurs organisations se transforment ». Selon le réseau Anact-Aract (incluant les associations régionales), la QVT est une perception déterminée par trois éléments : les possibilités de s’exprimer et d’agir sur son travail ; le contenu et le sens du travail ; les conditions de travail (environnements physique, organisationnel et relationnel).

La loi « Rebsamen » du 17 août 2015 a inclus la QVT dans le champ de la négociation annuelle obligatoire des entreprises. Ce thème est ainsi devenu incontournable dans les principes de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Dans le sillage de l’ANI, la qualité de vie au travail, « levier de santé, de maintien en emploi des travailleurs et de performance économique et sociale de l’entreprise », constitue l’un des deux axes stratégiques du troisième plan de santé au travail (PST 3) 2016-2020, adopté en décembre 2015.

Démarche participative

Augmentation de l’absentéisme, sinistralité élevée, turn-over important, maladies professionnelles (troubles musculo-squelettiques et risques psycho-sociaux), taux d’inaptitude élevé, déficit d’attractivité des métiers… Nombreux sont les indicateurs des ressources humaines au rouge dans le secteur médico-social, qui subit également de fortes contraintes de performance. La démarche QVT n’entend pas opposer la performance et la préservation de la santé, mais mieux articuler ces deux dimensions. Toutefois, la qualité de vie au travail ne peut se développer sans impliquer les équipes, sans créer des espaces de discussion sur le travail et mener des diagnostics partagés. « Elle vise à tester des nouvelles manières de travailler, à considérer les professionnels comme les experts de leur travail et à s’appuyer ainsi sur leur capacité à identifier les ressources permettant de progresser collectivement », rappellent la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et l’Anact. Le secteur est-il prêt à faire sienne cette démarche participative ? Selon les résultats de la deuxième enquête « Mon observatoire du développement durable » menée dans les ESMS entre mai et septembre 2018, à l’initiative des pouvoirs publics, de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap) et des fédérations(1), les enjeux de qualité de vie au travail sont identifiés par l’ensemble des structures (89 % des répondants). Pour autant, la santé et la QVT semblent moins bien prises en compte en 2018 qu’en 2017, notamment pour les structures de services à domicile et de services pour les personnes en situation de handicap. « Presque la moitié des structures répondantes (46 %) indique mettre en place des dispositifs donnant la capacité aux salariés de s’exprimer et d’agir sur leurs conditions de travail. Cette proportion est encourageante, mais marque un niveau de maturité plus faible que l’an passé (en recul de 21 % par rapport à 2017) », précise le rapport de l’observatoire, qui continue : « Il y a proportionnellement moins de structures (42 % en 2018, contre 63 % en 2017) qui coconstruisent l’organisation du travail avec leurs employés, qui forment la direction à ces enjeux et les évaluent dans une démarche d’amélioration continue. Relativement peu de démarches sont suivies et évaluées (13 %). L’amélioration du bien-être au travail, l’intégration de la bientraitance et les actions en faveur du dialogue social semblent être souvent menées conjointement par les structures. La baisse de la maturité sur ces trois enjeux paraît corroborer cette analyse. »

Le cluster, nouvelle méthode de travail

A la suite des travaux réalisés en 2017-2018 par la commission nationale « Qualité de vie au travail dans les établissements médico-sociaux », la DGCS a défini une stratégie nationale pour promouvoir la mise en place de démarches QVT dans les Ehpad et les établissements pour personnes handicapées. « Il ne saurait être question de formaliser une démarche type de QVT car cette question doit être travaillée au plus près des réalités quotidiennes de chaque entité et doit être endossée par les équipes elles-mêmes pour être efficace », précise-t-elle.

Pour accompagner les établissements dans le déploiement de cette démarche, la stratégie fixe un objectif pluriannuel de mise en place de trois « clusters » spécifiques aux ESMS dans les régions métropolitaines et d’au moins un dans les DOM. Cette nouvelle méthode de travail avait déjà été mise en place dans 164 établissements du sanitaire et du médico-social depuis 2016. « Les établissements arrivent au bout du modèle descendant, dont les enjeux échappent en partie aux acteurs. La démarche propose de sortir des cadres et postures habituels en testant une nouvelle méthode de travail. L’expérimentation propose un cadre, qui repose sur la possibilité de partager avec des pairs, dans et hors les instances, dans et hors l’établissement, sur la base du volontariat… La démarche repose sur une dynamique de type essai-erreur, qui permet de construire de nouvelles règles partagées et non imposées », expliquent la DGCS et l’Anact.

Évolutions managériales

La stratégie nationale insiste également dans ce domaine sur « l’importance stratégique des pratiques de management ». « La capacité à s’exprimer et à agir des salariés est l’un des déterminants de la QVT, peut-être le plus fondamental », insiste-t-elle. Les cadres doivent maîtriser et appliquer les concepts de management adaptés permettant de travailler avec les professionnels des établissements sur l’organisation du travail : « Les agents, de quelque niveau qu’ils soient, pour s’impliquer pleinement, doivent se sentir écoutés au sein des équipes de travail. Cela passe non seulement par l’organisation de temps de participation, mais également et plus fondamentalement par le fait d’assurer, par des techniques managériales appropriées, un environnement respectueux de l’expression et des propositions constructives, s’inscrivant dans une régularité d’organisation de ces espaces de d’échange et de résolution de problème », précise la stratégie nationale.

Pour sa part, l’Aract Auvergne-Rhône-Alpes souligne : « Le cœur de la QVT, c’est le travail ! Améliorer le travail et permettre aux salariés d’être force de proposition produit des effets bénéfiques pour eux-mêmes mais aussi pour les patients-résidents et les établissements. La QVT est une démarche de conduite de changement, non pas un nouveau projet social “parachuté” dans l’établissement et déconnecté du fonctionnement quotidien. » Et d’ajouter : « La QVT […] est une façon de regarder autrement l’activité, son organisation, et tous les projets qui lui sont liés. C’est l’occasion d’envisager et de conduire collectivement le changement en mobilisant largement les professionnels sur les conditions de réalisation du travail pour l’ajuster, le réajuster, l’anticiper afin de promouvoir une organisation du travail qui favorise à la fois la performance et la qualité des conditions de travail. » Les partenaires sociaux seront « fortement incités » au niveau national, par le biais des conventions négociées avec la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), à inscrire la QVT comme un axe prioritaire des programmes de formation continue, aussi bien pour les cadres que pour le personnel soignant et médico-social, « afin que chacun puisse s’approprier les démarches de QVT », indique l’instruction du 17 juillet 2018.

Dans le cadre de la concertation « grand âge et autonomie » qui vient de s’achever, l’atelier « Métiers » a formulé une série de propositions en faveur de la qualité de vie au travail. « Pour améliorer la perception de la qualité de vie au travail des professionnels, trois leviers principaux identifiés sont à travailler : le contenu du travail, les conditions et l’environnement de travail, et la capacité d’agir et à s’exprimer. » Les conclusions de l’atelier soulignent également le besoin de faire évoluer les pratiques d’encadrement et de management pour les rendre « cohérentes avec les nouvelles attentes des personnes et des professionnels », ainsi que « la nécessité impérative de mettre en place des organisations davantage axées sur la coopération que sur l’autorité hiérarchique, et des modalités managériales orientées plutôt sur la gestion de projets et la mobilisation transversale de ressources que sur l’intervention successive de compétences intervenant de façon cloisonnée ». Cet atelier propose en outre d’évaluer les résultats des innovations organisationnelles du secteur pour en tirer des enseignements susceptibles d’être modélisés et généralisés, « en mettant en particulier l’accent sur toutes les expériences favorisant l’autonomie professionnelle et le travail coopératif et proposant aux professionnels eux-mêmes d’être les sources des solutions identifiées aux difficultés d’organisation rencontrées ».

Le bilan de l’ANI

A partir d’une étude de 100 accords d’entreprise ainsi que d’expérimentations de terrain, l’Anact fait le point, le 21 février, sur la dynamique de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle(1). Le rapport montre que si des avancées significatives ont été réalisées sur le versant sociétal de la QVT, avec de nouvelles pratiques et des accords concernant l’égalité professionnelle, l’articulation des temps ou encore le télétravail, les améliorations sont « plus ténues (ou moins patentes ou moindres) » en matière de santé au travail. « Quant à l’objectif d’approche décloisonnée et de performance globale porté par l’accord de 2013, il semble encore éloigné, malgré des initiatives intéressantes », note l’Anact. « Les rapports de causalité entre l’organisation du travail (charge, autonomie, variété des tâches, efficience…), la santé (absentéisme, risques psychosociaux, tensions sociales…) et les métiers (compétences, employabilité, mobilité…) ne sont, la plupart du temps, pas évoqués dans les accords analysés », ajoute-t-elle.

Notes

(1) FHF, Fehap, FHP, Unicancer, Nexem, Uniopss, Fnehad, Synerpa, Fnaqpa.

(1) « Un cap à tenir. Analyse de la dynamique de l’accord national interprofessionnel “Qualité de vie au travail – Egalité professionnelle” du 19 juin 2013 ».

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