Mesdames les ministres, Mesdames les parlementaires, Mesdames et Messieurs les responsables de fédérations, Mesdames et Messieurs les directeurs d’Ehpad,
Vous voici réunis dans cette salle de la Maison de la Chimie. Moi, je suis au milieu de vous. La nana avec son chignon en vrac, son pull rose et son sac de collégienne, au milieu du sixième rang, coincée entre un directeur d’Ehpad et une dame à l’air sévère, c’est moi, Flore, aide-soignante. Comme vous, je viens d’écouter le discours d’Agnès Buzyn. J’aimerais piquer le micro pour vous répondre. Ne partez pas tout de suite, ça ne sera pas long, promis !
La ministre vous a dit être fière de votre dévouement. Elle vous a dit sa reconnaissance et son admiration. Il y a eu des frémissements de plaisir dans la salle. Elle a enchaîné sur l’« Ehpad bashing », le qualifiant d’« injuste » et de « contre-productif ». A ce moment précis du discours, j’ai senti qu’elle avait fait mouche. A ma droite, le directeur d’Ehpad a acquiescé. A ma gauche, la femme à l’air sévère a opiné du chef. Moi, je me suis ratatinée sur mon siège.
L’« Ehpad bashing », injuste ? Etait-il injuste que des soignants alertent sur leurs conditions de travail ? que des familles s’inquiètent pour leurs proches ?
Contre-productif ? Les reportages, les livres ont permis une chose : ouvrir les yeux. Ils ont montré l’urgence de la situation. Ils ont fait réfléchir, ont amorcé le débat.
Ma profession n’a pas été épargnée. Celle des directeurs d’Ehpad, non plus. Comme vous, j’ai été offusquée par certaines paroles, indignée par certaines situations. Mais, au fond, est-ce qu’il ne fallait pas un électrochoc pour nous faire réagir ?
L’Ehpad, j’y passe ma semaine, et un week-end sur deux. L’Ehpad, c’est mon boulot, mon salaire, mon planning. Ce sont mes collègues, les résidents, les familles. J’aime mon métier. Mes tâches peuvent sembler ingrates à certains, mais je préfère n’en retenir que leur finalité : le confort et le bien-être des gens dont je prends soin. J’ai le bon rôle, finalement.
Mais parfois, oui, j’avoue, je suis fatiguée. Parfois, en plein milieu du service, je regarde discrètement la pendule d’argent qui ronronne au salon, qui dit « oui », qui dit « non », qui me dit : « je t’attends ». Et puis je pense à ma collègue agent de service hospitalier, qui a improvisé une recette d’eau gélifiée avec du jus de pomme et du sirop de menthe. Je pense à mon collègue infirmier, qui chantonne doucement en faisant les pansements d’escarre. Je pense à notre cadre, qui jongle avec les plannings sans jamais se départir de son sourire. Je pense à notre directrice, dont la porte du bureau est toujours ouverte. Certains disent que c’est pour mieux nous voir. D’autres disent que c’est pour qu’on puisse aller la voir.
Je pense aux résidents, qui ne sont pas ici par choix, mais parce que chez eux, c’était devenu trop compliqué. Je pense aux familles, qui ont fait de leur mieux, et qui attendent de nous qu’on fasse de même.
Vieillir est une chance, a dit Agnès Buzyn.
Nous sommes tous dans le même bateau.
La vieillesse est un naufrage, a dit Chateaubriand.
Le bateau s’appelle Titanic.