Leurs caractéristiques n’ont pas énormément varié depuis trente ans. La variable la plus discriminante est le genre : les détenus sont très majoritairement des hommes. Au 1er janvier 2018, la proportion de femmes incarcérées était de 3,7 %. Ils sont également jeunes, bien que la moyenne soit passée de 28 ans en 1980 à 31 ans l’année dernière. Cette tendance traduit plusieurs facteurs : la volonté de limiter l’entrée de très jeunes adolescents en prison, l’augmentation de la répression des infractions à caractère sexuel, qui concernent souvent des hommes plus âgés, la possibilité de faire juger les infractions longtemps après les faits, l’allongement des durées de détention… Les justiciables incarcérés sont plutôt issus de milieux sociaux défavorisés ou très modestes et n’ont pas été longtemps à l’école. Une enquête de 2014 montre que 76 % d’entre eux ne dépassent pas le niveau CAP, que 43 % n’ont aucun diplôme et que 10 % sont en situation d’illettrisme. Les détenus n’ont souvent pas de travail au moment de leur incarcération. Ils sont surtout de nationalité française mais, avec un taux de 22,4 % début 2018, les étrangers sont surreprésentés. L’incarcération n’est pas officiellement liée à leur état d’enfants d’immigrés ; toutefois, il y a un lien direct, en particulier quand on fait intervenir les conditions de vie ou les « garanties de représentation » qui pèsent sur les jeunes sans emploi stable et ayant des difficultés à obtenir un logement.
Cette sous-représentation traduit une différence sociale de tolérance envers les conduites déviantes selon le sexe. Cela a toujours été le cas. Mais depuis la dernière moitié du XXe siècle, les sanctions ont été aggravées pour des pratiques typiquement masculines comme les agressions sexuelles. A l’inverse, des pratiques majoritairement féminines comme l’établissement de chèques sans provision ou l’avortement ont été dépénalisées et, depuis 2016, la France ne pénalise plus les prostituées mais leurs clients. La loi du 15 juin 2000 – qui évite l’incarcération avant jugement des personnes exerçant l’autorité parentale sur un enfant de moins de 10 ans – a contribué également à réduire le nombre de femmes emprisonnées. Une étude sur le département des Yvelines pointe que, sur 14 % de femmes arrêtées par la police, 10 % sont condamnées et seulement 4 % incarcérées. Globalement, la société a tendance à psychologiser ou psychiatriser le comportement délictueux d’une femme. Par exemple, si un homme porte délibérément atteinte à un nourrisson, on dira que c’est un criminel ; pour une femme, on dira plus facilement qu’elle est malade.
Pour les faits les plus graves, un magistrat n’hésitera pas à enfermer à titre provisoire un notable de la région, mais, pour des faits plus bénins, la différence sociale entre les individus sera capitale. Par exemple, pour une altercation avec les forces de l’ordre après une infraction au code de la route, un jeune homme sans qualification ou sans emploi et hébergé chez une amie a de fortes chances d’être envoyé en détention provisoire parce que, sans domicile fixe, la justice considère qu’il risque de « s’évanouir dans la nature » et elle veut le garder sous contrôle jusqu’à son procès. Pour la même infraction, un homme du même âge mais diplômé, fonctionnaire ou cadre supérieur habitant un appartement à son nom, sera, en général, libre de rentrer chez lui. Il devra seulement se présenter sur convocation à l’audience du tribunal. Pour lui, l’éventuelle peine de prison sera plus souvent assortie de sursis. Le plus démuni écopera au minimum d’une peine de prison ferme égale à la durée qu’il a déjà passée en détention provisoire. Voilà pourquoi il y a tant de pauvres en prison. On y envoie plus facilement les plus démunis. Le code de procédure pénale prévoit la liberté sous caution avant un jugement, cela demande des moyens financiers. A tous les niveaux, des tris s’opèrent : les jeunes ne sont pas traités comme les plus âgés, les personnes sans emploi comme les travailleurs, les étrangers comme les nationaux, les hommes comme les femmes…
Les flux d’incarcération varient en fonction des inflexions de la politique pénale, mais, globalement, le nombre de personnes envoyées en prison est assez stable, entre 70 000 et 90 000 chaque année. En revanche, et c’est moins connu, la durée moyenne d’enfermement a doublé en quarante ans, passant de quatre mois et demi à neuf mois. Un phénomène induit à la fois par une diminution des courts séjours et par une augmentation des longues peines. Donc, plutôt qu’être liée au fait que le nombre d’incarcérations a doublé, la surpopulation carcérale de ces dernières décennies est davantage liée à celui que les détenus restent en prison deux fois plus longtemps qu’autrefois. En 2018, parmi les détenus, 39 % étaient incarcérés pour atteinte à la personne, 31 % pour atteintes aux biens et 30 % pour des infractions diverses (circulation routière, trafic de stupéfiants, outrage à l’autorité de l’Etat…).
Il y a en moyenne autant de détenus qui entrent en prison que de détenus qui la quittent. Au début du XXe siècle, en France, les sorties concernent environ 80 000 détenus par an, soit 220 par jour. Malheureusement, il y a peu d’études sociologiques sur eux. Mais avec un passé carcéral, on le sait, il est difficile de trouver du travail, malgré les efforts des équipes de travailleurs sociaux et l’existence de quelques services spécialisés et de nombreuses associations, d’autant plus méritantes qu’elles disposent souvent de peu de moyens. En général, en sortant, le détenu est plus démuni qu’en entrant. Le risque est fort de se retrouver de nouveau incarcéré, y compris pour le plus docile. Une étude réalisée dans trois prisons pour hommes de deux Etats du nord-est des Etats-Unis s’est intéressée aux liens entre l’adaptation à la prison et l’adaptation à la vie à l’extérieur après la sortie. Elle note que les systèmes de punitions-récompenses préparent mal les détenus à leur sortie, et que ceux qui sont le mieux intégrés à la vie de la prison sont aussi ceux qui ont le plus de difficulté à trouver du travail. Paradoxalement, les détenus qui s’en sortent le mieux sont ceux qui étaient les plus rebelles. L’hypothèse est qu’ils ont gardé leur autonomie et leur libre arbitre malgré l’enfermement.
depuis 1990, Philippe Combessie est professeur à l’université Paris-Nanterre, où il dirige le laboratoire Sophiapol (sociologie, philosophie et anthropologie politiques). Son livre Sociologie de la prison (éd. La Découverte) est réédité pour la quatrième fois.