Nous posons cette question à travers les droits de l’enfant alors que nous fêtons cette année les 30 ans de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). Il s’agit de se rappeler le cadre fixé par le législateur qui a insisté sur le traité le plus ratifié au monde, celui de la CIDE. De ce postulat de départ, nous souhaitons réinterroger le dispositif de protection de l’enfant, car ce texte doit pouvoir guider nos pratiques professionnelles. Et force est de constater que ses principes fondamentaux sont parfois difficiles à appliquer, ici et ailleurs, au regard du contexte dans lequel évoluent nos institutions.
Concrètement, le contexte budgétaire est tendu, même si nous nous accordons à dire que la protection de l’enfance représente 8 milliards d’euros par an, cela n’a jamais été si haut. Mais parallèlement à cela, les dispositifs de protection de l’enfance sont bousculés par l’arrivée des mineurs non accompagnés (MNA) et les contrats « jeunes majeurs » difficilement rendus possibles, et ce par faute de moyens sur certains territoires. Tout cela amène à des iniquités territoriales et à une protection de l’enfance à double vitesse, c’est ce qui y est ressenti de plus sur les différents territoires.
Si l’année dernière à Biarritz, les assises avaient traité du projet pour l’enfant, et portaient donc sur une question technique, cette année, la thématique est politique. Preuve en est notamment avec l’organisation d’une table ronde qui parlera des problèmes d’iniquités territoriales et, peut-être, d’une protection de l’enfance à double vitesse qui s’installe au fur et à mesure des années. Ces assises seront aussi très politiques du fait des intervenants. Il y aura notamment Xavier Iacovelli, sénateur qui a mis en place le groupe de travail sur la protection de l’enfance, Marie Derain, secrétaire générale du Conseil national de protection de l’enfance (CNPE), ou encore Josiane Bigot, présidente de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (Cnape). On va ainsi être sur une séquence extrêmement politique pour observer ce qui se passe aujourd’hui. La situation des mineurs non accompagnés sera certainement évoquée car ils sont venus percuter tout le système de protection de l’enfance, un phénomène qui amène à ce qu’aujourd’hui on se repose un certain nombre de questions sur ce dispositif de protection.
Avec ces assises, nous souhaitons remettre sur la table tous les enjeux éthiques, culturels, socio-économiques et organisationnels. Ainsi, le premier jour, on va commencer par décortiquer la CIDE et analyser comment la France se positionne, car sur certains sujets, comme celui des contrats « jeunes majeurs », il y a une vraie dérive depuis plusieurs années.
Alors qu’en France, on peut mettre en place des mesures « jeunes majeurs » entre 18 et 21 ans à la fois du côté judiciaire et du côté administratif, dans les faits, du côté judiciaire, il n’y en a plus car les juges ne prononcent plus de mesures de protection jeunes majeurs (PJM) parce qu’elles ne sont plus financées par la protection judiciaire de la jeunesse. Et de l’autre côté, il y a des départements qui ont des façons de faire totalement différentes lorsqu’il s’agit des contrats « jeunes majeurs ». Il y a ceux qui mettent en place des contrats comme la loi et le code de l’action sociale et des familles l’autorisent, c’est ce qui se faisait il y a plusieurs années un peu partout ; il y a des départements qui ne mettent quasiment plus de contrats en place, en disant que ce n’est pas un financement obligatoire, c’est ce que l’on appelle les « sorties sèches ». Et il y a les départements « entre deux », de plus en plus nombreux, qui conditionnent la mise en place des contrats « jeunes majeurs » ; il faut ainsi avoir un projet très particulier et peut-être un parcours avec un placement – alors qu’un enfant peut être pendant 18 ans dans un parcours de protection de l’enfance sans avoir été placé et pour autant avoir des besoins à sa majorité – ou encore il faut avoir une famille avec peu de ressources… Ces départements mettent en place des critères quelquefois cumulatifs pour conditionner le contrat « jeune majeur ». Une situation incohérente alors que la France a ratifié un traité au niveau européen, le socle des droits sociaux européens, dans lequel il est stipulé qu’entre 18 et 25 ans, si un jeune a des difficultés au niveau du logement, de l’éducation, de la santé ou autre, on doit lui venir en aide. Or, dans la réalité, aujourd’hui, selon les départements, vous n’avez pas le même type de réponse, ce qui entraîne une inégalité des chances. Les contrats « jeunes majeurs » devraient être une mission plus régalienne et on devrait avoir le même type de réponse sur l’ensemble du territoire.
On a connu différentes étapes ces dernières années dans notre champ. Tout d’abord, le cap donné par le gouvernement n’est pas assez clair, et ce depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Alors qu’à l’époque de François Hollande, il y avait un ministère des Familles et de l’Enfance, il a été supprimé, puis, finalement, le 25 janvier dernier, on a eu la nomination d’Adrien Taquet en charge de notre champ spécifiquement.
Deuxième élément, ces derniers mois, la protection de l’enfance a été de plus en plus mise en avant, malgré l’absence de ministère, soit par les anciens placés eux-mêmes ou encore par un reportage diffusé en janvier, même s’il était un peu à charge, soit par les fédérations elles-mêmes. Le Cnaemo a ainsi écrit directement au président de la République pour demander à la fois un cap clair et un pilote.
C’est précisément l’inadéquation des moyens qui pose problème, car ils sont mal répartis sur le territoire. Les délais d’attente pour la prise en charge d’une mesure de protection, par exemple, peuvent être de 18 mois, voire 2 ans, sur certains départements, alors que dans d’autres endroits, il n’y a absolument pas de délais d’attente. Aujourd’hui, on est en capacité de dire qu’a peu près sur la moitié des départements en France, il y a de l’attente et sur l’autre moitié, il n’y en a pas, c’est néanmoins très variable selon les bassins de population. Personnellement, je le constate quotidiennement car je dirige les services de milieu ouvert dans le Calvados, je vois ainsi des secteurs, notamment les grandes villes, où il y a une forte attente alors qu’en milieu plus rural, j’ai très peu d’attente, voire l’inverse, c’est-à-dire que je n’ai pas assez de mesures pour les travailleurs sociaux. C’est la répartition des moyens qui pose problème, bien qu’il n’y ait jamais eu autant d’argent sur la protection de l’enfance. Et je ne vous parle même pas des territoires ultramarins, où l’on est dans des délais d’attente encore plus importants, avec des contrats « jeunes majeurs » difficiles à mettre en place et des schémas « enfance famille qui ne sont pas écrits.
Nous avons l’ambition de faire avancer les choses, ou du moins de mettre cartes sur table et de faire cheminer les uns et les autres ; et ce alors que depuis trois ans, nous constatons que le public de ces assises s’élargit. Les professionnels de la protection de l’enfance sont rejoints par des élus, des agents des départements, il y a même des députés et des sénateurs qui sont inscrits.
Face à ce public et durant ces assises, nous souhaitons faire la démonstration que « oui, il y a des difficultés mais tout ne va pas mal non plus ». Il y a aussi des enfants qui ont bénéficié de ce type de mesures et qui, grâce à celles-ci, ont réussi à s’en sortir ; c’est pourquoi un parrain et une marraine connus, qui sont passés par la protection de l’enfance, vont être annoncés et présentés durant ces assises.
De nombreux acteurs de la protection de l’enfance ainsi que les anciens de l’aide sociale à l’enfance (ASE), notamment au sein de l’association Repairs !, demandent que les contrats « jeunes majeurs » soient obligatoires afin d’en finir avec les « sorties sèches ». Une proposition de loi visant à étendre la prise en charge obligatoire jusqu’à leurs 21 ans, portée par la députée Brigitte Bourguignon (LREM), devait être discuter à l’Assemblée nationale. Mais, depuis juin 2018, cette proposition n’est toujours pas au programme de l’Hémicyle. Néanmoins, dernièrement, la députée s’est vu confier par le Premier ministre une mission temporaire ayant pour objet l’accompagnement des jeunes majeurs sortant de l’ASE. Faut-il y voir un recul ou une avancée alors que le gouvernement a dit ne pas soutenir ce projet de loi ? Réponse fin juin avec la remise des travaux de cette mission temporaire, mais aussi avec la présentation tant attendue de la nouvelle stratégie pour la protection de l’enfance que le nouveau secrétaire d’Etat Adrien Taquet nomme à présent « pacte pour l’enfance ».