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Promeneur du Net, un nouveau métier

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Soutenu par la Cnaf, le dispositif « Promeneurs du Net » permet la mise en œuvre d’un accompagnement éducatif des jeunes là où ils se montrent très présents : sur la Toile, et notamment au sein des réseaux sociaux. Une approche qui a été adoptée par le club de prévention Avenir des cités, dans le Pas-de-Calais.

UN OUTIL PEUT ÊTRE CANTONNÉ À UN RÔLE D’HABILLAGE COSMÉTIQUE. Il peut aussi être utilisé comme un réel levier de transformation des pratiques. Avec le dispositif « Promeneurs du Net », soutenu par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf)(1), qui propose la mise en place d’une présence éducative sur la Toile pour accompagner les jeunes, le club de prévention spécialisée Avenir des cités a décidé de rebattre en profondeur les cartes de son champ d’action. Jusqu’ici physiquement situé dans les secteurs sensibles des communes minières de Harnes, de Billy-Montigny et de Sallaumines (Pas-de-Calais), dont les anciens terrils et le chômage de masse barrent l’horizon à l’est de Lens, son secteur d’intervention s’élargit désormais à l’envers invisible de ce décor qu’est la rue « numérique », pavée de réseaux sociaux où circulent aujourd’hui les adolescents. « Depuis plusieurs années, le “travail de rue”, notre cœur de métier, qui consiste à aller vers les jeunes les plus en rupture ou en passe de le devenir, perd du terrain. Il y a une vraie difficulté des éducateurs à les rejoindre, explique Sadek Deghima, chef de service éducatif du service de prévention spécialisée. Près de 80 % des 11-17 ans sont présents sur le Net au moins une fois par jour et 48 % d’entre eux se connectent sur les réseaux sociaux plusieurs fois par jour. Happés par les écrans, ils sortent beaucoup moins de chez eux. » Au point d’interroger certaines collectivités départementales sur l’avenir de l’action de ces professionnels…

Pour l’équipe d’Avenir des cités, pas question de s’en tenir au constat. La prévention spécialisée s’est toujours démarquée par sa souplesse depuis sa création au début des années 1960. « A nous de nous adapter aux nouveaux lieux où sont les jeunes et à prendre pied sur ce terrain vide jusqu’ici de toute présence éducative ! », poursuit le responsable, qui s’est « naturellement » positionné en octobre dernier avec son service pour entrer dans le dispositif expérimental proposé par la caisse d’allocations familiales (CAF) du Pas-de-Calais, en partenariat avec l’union régionale des centres sociaux et l’Education nationale, et en cours de généralisation dans les CAF de France (voir interview page 38).

Les choses ont d’abord changé pour Nicolas Dubois, 27 ans, le plus jeune éducateur spécialisé de la petite équipe (quatre éducateurs et un chef de service), qui s’est porté volontaire. Aux deux journées initiales de formation consacrées au détail de la législation sur ce champ et aux usages numériques des jeunes s’ajoutent quatre rencontres annuelles avec les membres de sa promotion (parfois des travailleurs sociaux, le plus souvent des animateurs jeunesse et de centres sociaux) et la participation à un réseau départemental d’échanges de pratiques et de soutien. Avec l’accord de son employeur, signataire de la charte du réseau qui fixe les contours, les principes et les règles de fonctionnement de la démarche, le professionnel assure sur son temps de travail une permanence virtuelle de deux heures par semaine, les mercredis et jeudis, entre 13 h et 14 h. Pour ce faire, il est équipé d’un ordinateur portable et branché sur les réseaux sociaux. Fenêtres ouvertes sur ses comptes « pro » Facebook, Messenger, Instagram, Twitter et bientôt Snapchat, où apparaissent clairement son prénom, sa fonction et sa structure, « Nicolas Avenir des cités » répond aux questions de plus d’une centaine de jeunes « amis ». Il les oriente, commente leurs publications, partage les prochaines activités prévues par le club (teasers vidéo ou audio à l’appui), poste des messages de prévention et tient une veille des infos qui circulent sur le secteur d’intervention de son équipe. Une méthode cadrée et précise. « C’est une autre manière d’entrer en relation et de communiquer avec les ados », précise l’éducateur, né avec les nouvelles technologies. « La médiation de l’écran désinhibe certains jeunes et permet d’évoquer des sujets dont ils ne pourraient pas nous parler en face à face, ni même par texto ou par téléphone. On est sur le même terrain qu’eux, au plus près des demandes et besoins, plus crédibles. Mais il ne s’agit pas d’être dispo à H 24 ! Ni de rester sur la Toile : la finalité, c’est de revenir du virtuel au réel et de raccrocher les jeunes à la vie relationnelle », insiste Nicolas Dubois, dont l’activité d’éducateur-promeneur reste en dehors des créneaux d’intervention sur le terrain, en fin d’après-midi et en soirée.

Un contact plus direct

En quelques semaines à peine, le professionnel a pu contacter une dizaine de nouveaux jeunes, souvent décrocheurs, amis d’amis fréquentant le « club de prév’ » ou repérés grâce à des partenaires locaux (assistants sociaux, collèges, services jeunesse). Elément assez rare dans le paysage de la prévention spécialisée pour être également signalé : parmi ce nouveau public, des jeunes filles se sont manifestées, elles qui sont d’habitude si difficiles à approcher dans la rue, où jamais elles ne s’arrêtent ni ne squattent, à la différence des garçons. C’est ainsi que Leïa(2), 17 ans, dont le service de prévention connaissait le grand frère, a osé franchir le pas : « Communiquer par Facebook, c’est plus facile. J’y vais dès que je peux car j’ai pas forcément de crédit sur mon téléphone. A l’internat, pendant la semaine, ça me permet de garder un lien avec Nicolas si j’ai besoin. Il m’a aidé à distance pour mon CV, suit mes différentes démarches. Je peux lui demander aussi d’organiser des sorties le samedi, c’est un soutien pour moi. » Avec les réseaux sociaux, le ton est plus direct, immédiat, et le support plus accrocheur. « Cela bouscule l’accompagnement. Les projets d’activités (concerts, ciné, tournois de futsal) se mettent en place plus rapidement, observe le benjamin de l’équipe de prévention. On peut aussi garder des liens dans la durée et reprendre contact plus facilement avec les jeunes après des mois sans nouvelles. » Au sein de l’équipe, les collègues, moins à l’aise avec les outils, ont apprécié que Nicolas Dubois ouvre la voie. Sans pour autant le cantonner au rôle de « geek de service », dont le métier serait à part. « Il s’agit clairement d’un poste d’observation complémentaire, qui requestionne les pratiques et amène beaucoup de réflexivité, souligne Sadek Deghima. Il y a une manière d’être sur le numérique : jusqu’où on intervient ? que faire des éléments inquiétants que l’on a repérés ? Quelles actions engager ? C’est une compétence nouvelle à acquérir. L’idée est de l’inscrire dans une pratique de service. » Puis le chef de service éducatif insiste sur la nécessaire implication de toute l’équipe dans le dispositif pour sa réussite.

Xavier Heintze, 47 ans, « binôme » de Nicolas dans les corons de Billy-Montigny et de Sallaumines, ne cache pas les réticences « générationnelles » qu’il a pu avoir : « Je n’étais ni convaincu du côté pro de la chose, ni rassuré », explique celui qui a débuté sa carrière à l’ère prénumérique, formé dans l’ombre à une intervention nécessairement discrète. Depuis octobre, et le partage chaque jeudi, en réunion de service, des éléments repérés lors des veilles numériques, il évoque un changement de regard : « Marquer notre présence sur les réseaux sociaux est une porte d’entrée essentielle pour connaître, être reconnus, et prendre conscience de nouvelles problématiques. » C’est ce jeune qui a été filmé en train d’injurier un chauffeur de bus de l’agglomération et a fait l’objet de violentes réprimandes, jusqu’à des menaces de mort, sur les réseaux sociaux. C’est cet autre ado qui s’est photographié un joint aux lèvres et l’a partagé dans un post public. C’est cette mère qui insulte en ligne un gamin qui s’est « embrouillé » avec sa fille dans la cour de l’école, avant que la famille de ce dernier s’en mêle… Autant de scènes qui prennent une ampleur inédite et peuvent tourner au tragique. « Sur les réseaux, ça part en mouche et ça “chauffe” très vite, à partir de trucs souvent anodins. Une histoire partie du collège finit dans le quartier, et inversement. Il y a tout un travail à faire, une matière à capter avant la dérive et sur laquelle il faut savoir rapidement rebondir en équipe », estime Nordine Lagragui, un autre éducateur de l’équipe. Pour Sadek Deghima, l’enjeu professionnel est triple : la visibilité, la lisibilité et l’accroche des publics.

Des questions de cadre juridique se posent, bien sûr, car il n’y a pas de réglementation spécifique. « En réalité, cette médiation numérique repose sur des principes clairs de respect de l’anonymat, de libre-adhésion, de confidentialité et de non-mandat, qui font déjà partie de notre cadre de travail et rassurent nos interlocuteurs : les jeunes, les institutions et les familles qui commencent à nous suivre. Le but n’est pas la surveillance des jeunes mais bien leur accompagnement. Lorsque les échanges deviennent compliqués sur la Toile, on demande rapidement un entretien individuel », indique Nicolas Dubois, qui préfère aujourd’hui ne pas réagir directement dans les forums. Autre sujet : les éléments sensibles ou illégaux diffusés sur les réseaux sociaux. Comme cet adolescent défilant dans une manifestation de gilets jaunes filmé en train de casser… « La radicalisation n’a pas été un sujet chez nous jusqu’à présent, précise le jeune professionnel. Ce que l’on repère, ce sont surtout des choses du quotidien que l’on reprend avec les jeunes en soulignant l’impact que peut avoir un post ou une image sur le reste de leur vie. Si cela dépasse nos compétences, on passe le relais. »

Décloisonner les pratiques

La force du dispositif Promeneurs du Net est d’apporter « un large réseau professionnel, au-delà de nos partenaires classiques, ce qui permet de décloisonner les pratiques et d’actualiser nos connaissances », observe Nordine Lagragui. Le rapprochement le plus significatif pour l’équipe se vit avec les collèges de secteur autour d’une problématique particulièrement à vif : celle du rapport des jeunes avec l’information sur les réseaux sociaux et de ses conséquences. « Les ados gobent tout ce qu’ils lisent sur la Toile, sans filtre, et font suivre à leurs amis sans réfléchir, témoigne Xavier Heintze. Les collèges sont très demandeurs de notre appui pour des interventions en classe ou des actions relais dans le prolongement de celles menées par l’établissement, à la fois sur l’éducation aux médias et sur la lutte contre le harcèlement. » Devant l’urgence de la situation, une première action devrait voir le jour début mars autour des fakenews. Intitulé « Info-Intox », le projet a été élaboré par Nicolas Dubois avec la médiatrice cinéma de la communauté d’agglomération de Lens-Liévin. Conduit sur dix séances jusqu’en juin, il vise à « faire fabriquer par les jeunes des fakenews à partir de montages d’images issues du Web et de tournages de courts métrages afin qu’ils puissent en démonter les mécanismes et les pièges », indique Myriam Van Agt, la médiatrice.

Proposé dans un premier temps à une quinzaine de jeunes volontaires repérés par les centres animation jeunesse du secteur, il devrait essaimer dans les collèges et d’autres communes. Leur production sera diffusée dans les cinémas du cru, accompagnée de quiz et de débats animés par les jeunes eux-mêmes. L’occasion d’insister aussi sur le côté potentiellement créatif et éducatif des nouvelles technologies… De même, un autre projet pourrait rapidement se concrétiser avec la compagnie de bus autour de la question des transports en commun et des codes pour les utiliser.

Cette capacité à passer de l’observation à l’élaboration d’actions et à les communiquer distingue assez notablement Avenir des cités de la trentaine de structures impliquées aujourd’hui dans le Pas-de-Calais, selon Lydie Licour, la coordinatrice départementale du réseau Promeneurs du Net, qui cherche à développer le partage d’expériences entre pairs et à créer une « matrice » d’interventions et de dispositifs d’animation à laquelle ceux-ci puissent se référer. Déjà, l’équipe de prévention réfléchit à l’extension de la permanence virtuelle de deux à trois heures – et pourquoi pas en soirée ? Une progression que pourrait faciliter l’équipement du service en tablettes d’ici le début du printemps, grâce au soutien de la fondation de la Caisse d’épargne et de la CAF du Pas-de-Calais (Fonds publics et territoires), pour offrir plus de mobilité au dispositif. La permanence de Nicolas Dubois pourra avoir lieu dehors et les ­nouveaux écrans servir de précieux vecteurs, à la fois de liens et de nouveaux projets – comme les jeux interactifs autour de la sensibilisation sur l’usage des drogues, les conduites addictives…, qui pourraient être proposés dans la rue et dans les collèges. Doté désormais d’une page Facebook officielle et d’un compte Twitter réalisés par « son » promeneur du Net, le service compte inscrire cet engagement dans son nouveau projet d’établissement, dont la réécriture aura lieu cette année pour les cinq ans à venir. Et le partager aux jeunes professionnels du social dès leur formation initiale : au printemps prochain, Nicolas Dubois et Sadek Deghima interviendront en ce sens au centre de formation au travail social de l’Afertes de la commune d’Avion, dans le Nord-Pas-de-Calais.

Notes

(1) Voir notre Décryptage dans les ASH n° 3000, p. 36.

(2) Le prénom a été modifié.

Reportage

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