Recevoir la newsletter

“Je peux me regarder dans le miroir”

Article réservé aux abonnés

Parce qu’elle a dénoncé les actes de maltraitance dont étaient victimes les enfants polyhandicapés de l’IME de Moussaron (Gers), Céline Boussié a perdu son emploi. La lanceuse d’alerte témoigne de son combat dans Les enfants du silence afin que les droits des personnes handicapées soient respectés.

CÉLINE BOUSSIÉ A ENCORE LES LARMES AUX YEUX QUAND ELLE ÉVOQUE SON HISTOIRE. Mais elle ne regrette rien : « Cela m’a coûté cher, pourtant, je préfère être à ma place plutôt que de n’avoir rien dit. Le matin, je peux me regarder dans le miroir, c’est inestimable ! » Sa faute ? Avoir dénoncé les mauvais traitements infligés aux enfants, adolescents et jeunes adultes polyhandicapés de l’institut médico-éducatif (IME) de Moussaron, à Condom (Gers), où elle travaillait.

Engagée en 2008 comme monitrice remplaçante dans cet établissement privé financé par des fonds publics qui accueille 80 pensionnaires, cette mère de deux enfants remarque d’emblée certains dysfonctionnements. « Au début, j’étais à la pouponnière et je m’étais aperçue qu’en les lavant, les tout-petits dont les membres sont recroquevillés pouvaient facilement se brûler en touchant le mitigeur d’eau, qui était très chaud et sans protection, raconte-t-elle. C’était pareil avec les radiateurs, qui pouvaient brûler la main des enfants s’ils la posaient dessus. » Elle s’aperçoit aussi que personne ne fait boire les enfants nourris par sonde. Quand elle s’en étonne, on lui répond qu’ils sont hydratés par l’eau servant à rincer la tubulure… Au début, elle met ses observations sur le compte de son manque de formation et d’expérience. Mais ses doutes augmentent lorsqu’elle change de service et qu’elle doit s’occuper des résidents les plus lourdement polyhandicapés. Là, elle se retrouve dans des pièces dont il se dégage une odeur insupportable, un mélange d’urine, de crasse et de sperme. Comme il n’y a pas de toilettes, les jeunes font leurs besoins dans des seaux, en rang d’oignons. « J’étais tétanisée, c’était l’horreur, s’insurge-t-elle. La promiscuité était telle que certains, parmi les plus grands, se masturbaient devant tout le monde. Ce sont des êtres humains, pas des animaux. »

Maltraitance institutionnelle

Céline Boussié interpelle sa direction… en vain. Pire, elle découvre que certains jeunes sont attachés à des lits à barreaux trop petits – une contention imposée en dépit des règles et sans que les parents en soient informés –, que d’autres sont dans des box en plexiglas, que des enfants peuvent être enfermés quinze jours dans le noir en guise de punition, que beaucoup sont sous neuroleptiques… La monitrice essaie de communiquer avec les enfants : « J’avais appris à une petite fille à dire deux mots, “dinde” et “pintade”. Ce n’est pas glorieux, mais elle éclatait de rire à chaque fois. On m’a dit que c’était inutile de leur parler, qu’ils ne comprenaient rien. »

Autre acte de maltraitance : le manque de soins. Ainsi, le cas d’une mère, Sabrina, obligée de conduire sa fille Maylis à l’hôpital car elle trouve que celle-ci sent mauvais quand elle vient la voir. « Quelque chose était en train de pourrir dans son nez », signale la monitrice devenue aide médico-psychologique (AMP). Et d’évoquer aussi la mort de Naïma à la suite d’une crise d’épilepsie non prise en charge, et celle de Mahel, qui a fait une fausse route alors que sa mère avait demandé qu’il ne soit pas alimenté par sonde la nuit. En 2010, Céline Boussié craque et se retrouve en arrêt en maladie. Elle songe à démissionner, mais ne veut pas abandonner ses pensionnaires. En mai 2013, elle alerte l’agence régionale de santé (ARS) du Gers, qui transfère le dossier à celle de Midi-Pyrénées, dont le rapport fait clairement état de « maltraitance institutionnelle ». Avertie, la ministre de l’époque déléguée aux personnes handicapée, Marie-Arlette Carlotti, place un administrateur provisoire à la tête de l’établissement et dépose une plainte pour abus de confiance, laquelle sera classée sans suite. La lanceuse d’alerte devient alors la bête noire de sa direction. Il faut dire qu’elle n’est pas la première à avoir tiré la sonnette d’alarme : trois éducateurs l’avaient fait avant elle, sans succès. Deux ont même été condamnés pour diffamation. « Leur vie a été bousillée », lâche Céline Boussié. D’autres sont partis sans mot dire : pas moins de 18 salariés de l’IME ont démissionné entre 2010 et 2011. Mais, pour l’essentiel, ses collègues ne l’ont pas soutenue. « La loi du silence est entretenue par la peur », souligne celle qui a osé parler. A part l’IME, il n’y a guère d’emplois dans le coin. Or le risque de perdre son travail, d’être décrédibilisé et de subir des brimades est élevé pour les lanceurs d’alerte, a fortiori quand celle-ci concerne sa propre entreprise. La salariée n’a pas échappé à la règle : surveillance de ses horaires, impossibilité de prendre des vacances à Noël avec ses deux filles, repos du mercredi après-midi supprimés, stigmatisation, harcèlement… Finalement, elle sera licenciée en mai 2014. Un licenciement qu’elle a contesté et qui sera jugé devant les prud’hommes le 21 mars prochain.

Plus jamais ça

En septembre 2017, elle a déjà gagné une manche contre son employeur. Celui-ci avait porté plainte pour diffamation publique deux ans plus tôt, à la suite d’une interview qu’elle avait donnée sur Europe 1 et LCI en tant que présidente de Handi’Gnez-vous (association qu’elle a créée pour briser le silence sur les maltraitances). Le tribunal de Toulouse l’a relaxée. Aujourd’hui, à 44 ans, Céline Boussié est secrétaire adjointe bénévole à la Maison des lanceurs d’alerte, créée à Paris. Elle n’a pas retrouvé de travail et perçoit l’allocation spécifique de solidarité, mais continue à se battre. « L’institution a fait croire que c’était moi qui ne savait pas m’occuper des enfants, mais la présidente du Groupe Polyhandicap France me soutient depuis le début », affirme Céline Boussié, qui invite les familles à se battre à ses côtés. Certains parents de l’IME et d’autres structures le font, pas tous : « Les parents se taisent, faute de pouvoir trouver une place ailleurs pour leur enfant. C’est la perversité du système. » Neuf plaintes ont été déposées par des parents contre l’IME de Moussaron, mais aucune n’a abouti à une condamnation. L’ancienne direction est partie et, en 2018, le groupe Clinipole a repris les rênes de l’établissement.

L’ex-AMP pense toujours aux pensionnaires qu’elle a laissés là-bas : « Les personnes polyhandicapées sont des êtres humains comme tout le monde. On traiterait de manière aussi indigente des enfants dits “normaux”, ça ferait un tollé général. Mais parce que ce sont des enfants handicapés, personne ne dit rien. » Son rêve ? Que de tels agissements ne se produisent plus jamais dans aucun établissement médico-social. Pour cela, elle aimerait mettre en place une plateforme indépendante de contrôle pouvant intervenir dans les établissements à la demande des familles et des professionnels…

Présidente

de l’association Hand’ignezvous, l’aide médicopsychologique Céline Boussié retrace son histoire dans Les enfants du silence (éd. Harper Collins).

Portrait

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur