On parle beaucoup de « désinstitutionnalisation », terme qui est apparu dans la santé mentale dans les années 1980. A l’époque, il s’agissait de remettre en question les institutions fermées privatives de liberté et de subjectivité. Ce mouvement était européen, il a été important en Italie avec l’antipsychiatrie ou en Angleterre avec les communautés thérapeutiques. En France, nous avons assisté à la tentative de faire éclater les institutions. Très vite, il y a eu un débat entre les tenants de la désinstitution – qui consiste à supprimer les institutions pour que chacun vive, travaille ou étudie près de chez lui dans le milieu ordinaire – et ceux qui défendaient la désinstitutionnalisation – qui se définit par l’éclatement des grandes structures, l’ouverture forte dans la communauté et davantage de droits pour les usagers. Et c’est la désinstitutionnalisation qui a gagné. Depuis les années 1980, les institutions, quelles qu’elles soient, ont éclaté pour donner lieu à de plus petites structures davantage ouvertes sur l’extérieur. L’aboutissement juridique de ce mouvement s’est concrétisé avec la loi de janvier 2002, qui parle de choix de vie, d’ouverture sociale, d’inclusion optimale, de droits des usagers, d’individualisation des parcours, y compris dans un service collectif.
Aujourd’hui, on feint de penser que les institutions sont lourdes, fermées sur l’extérieur, sans itinéraire de vie, sans choix. Alors qu’ il n’y a que 20 % des institutions qui sont fermées. Le mouvement d’ensemble est un mouvement d’ouverture, que ce soit sur l’habitat, l’emploi ou la formation. Le discours sur la désinstitutionnalisation n’est pas émancipateur, il vise juste à diminuer le niveau de financement du coût de protection sociale des personnes handicapées, c’est toute la logique de l’architecture du rapport « Piveteau ». On part dans l’idée que les institutions sont fermées, répressives, et le milieu ordinaire le nouvel Eldorado, et surtout compatible avec tous les besoins.
Or l’inclusion, c’est l’inscription dans les droits fondamentaux comme le droit au travail. Si une personne ne peut pas accéder au travail dans le milieu ordinaire et si elle a envie de travailler et qu’elle peut le faire en ESAT [établissement et service d’aide par le travail], pour moi c’est ça, l’inclusion. En Angleterre, il y a une dizaine d’années, une enquête a été réalisée à la demande d’un syndicat d’enseignants sur le bilan de la suppression des établissements spécialisés qui avaient été remplacés par l’intégration dans les classes. Le bilan était clair : l’inclusion non adaptée s’apparentait à de la maltraitance, il fallait rouvrir d’urgence les institutions.
L’intégration scolaire a été valable pour des handicapés moteur ou sensoriels, mais pour les handicapés mentaux, c’est plus compliqué. Moi, ce que je défends, c’est une diversité de solutions qui soient complémentaires, réversibles et amènent vraiment du parcours. Quand vous dites qu’il n’y a qu’une solution – l’inclusion –, vous faites de l’exclusion ! D’ailleurs, les moyens sont-ils vraiment disponibles pour accompagner chaque personne handicapée comme le veut la démarche « Réponse accompagnée pour tous « ? Des parents sont inquiets et veulent une prise en charge adaptée pour leur enfant autiste. Ils disent : « Attention, nous ne voulons pas qu’il aille trois demi-journées par semaine dans une institution spécialisée ou à l’école et que, le reste du temps, nous devions l’accompagner chez le psychomotricien, l’orthophoniste ou le kiné. Nous ne pourrons plus travailler, nous n’aurons plus de vie. » Ce qu’ils veulent, c’est une bonne structure spécialisée, avec une école et des paramédicaux, pour une prise en charge rapide en cas de problèmes. Au nom de la désinstitutionnalisation, même aux gens qui auront besoin d’une maison d’accueil spécialisée pour les handicaps les plus lourds, on dira : « Mais non, il faut que vous viviez chez vous, vous aurez quelques prestations et on vous fera un accueil séquentiel une semaine par trimestre. » Avec le risque qu’en classe certains doivent faire face à de la violence institutionnelle ou à celle de leurs petites camarades.