QUAND LE PROCESSUS DE DÉSINSTITUTIONNALISATION a commencé à se mettre en place, Sylvie Cruzillac, directrice de l’IME André-Coudrier, et ses collègues n’ont pas été surpris. Cela faisait trois ans qu’ils s’y préparaient et observaient les signes avant-coureurs : « Il y a d’abord eu la nomenclature à l’acte, qui demandait de sérier les besoins des personnes en situation de handicap, se souvient-elle. Tout était comptabilisé (le temps d’aide à la toilette, à la vie sociale), puis sont venus la nouvelle réforme de la tarification à l’acte (Serafin-PH), le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM). Tout ça nous a vraiment aidés à comprendre ce qui était en train de se passer. » Portée par l’Europe et renforcée par la politique gouvernementale favorisant l’inclusion dans le milieu ordinaire au détriment d’une place dans une institution, cette lame de fond demandait une réaction.
A l’échelle de l’IME, des parents, des professionnels, et des chercheurs ont créé le collectif « D’une maison à l’autre ». « Ce sont les parents, souligne-t-elle, qui ont choisi ce nom afin de montrer leur intérêt pour cette autre maison qui accueille leur enfant. » Ensemble, ils ont alerté des élus sur les menaces qui pèsent sur les institutions médico-sociales, et ont écrit aux candidats à la présidence de la République.
D’une maison à l’autre fait partie du collectif SOS médico-social, composé de professionnels, de parents, de chercheurs et d’associations dont L’Appel des appels, Collectif avenir éducs ou Altérité, qui ont lancé la pétition « Urgence handicap danger ». Ils y rappellent que l’inclusion qui est mise en avant dans la désinstitutionnalisation « vise seulement à dissimuler les économies » que le gouvernement a « décidé de réaliser dans le secteur du handicap ». Et que le remplacement des établissements « par des plateformes d’orientation et de services ne fera que renvoyer aux familles l’intégralité de l’accompagnement d’un enfant ou d’un adulte handicapé. Risque d’isolement, perte du lien social. Quelle régression ! » Début mars, la pétition avait recueilli près de 8 000 signatures.
Ainsi le rapport sur la « situation des personnes handicapées en France » de Catalina Devandas-Aguilar a-t-il eu l’effet d’une douche glacée. La rapporteuse de l’ONU y demande notamment à la France de « transformer son système en profondeur afin de fournir des solutions véritablement inclusives pour toutes les personnes handicapées ». Comment ? En finançant « un accès de proximité aux services » et, en ce qui concerne l’éducation, en remplaçant « les instituts médico-éducatifs actuels en centres de ressources », puisque dans ces établissements « ils ne bénéficient pas d’une égalité d’accès à une éducation de qualité ». Partant du principe qu’il n’existe pas de « bons » établissements, elle exhorte le gouvernement « à adopter un plan d’action concret pour assurer la fermeture progressive de tous les établissements existants ».
Contrairement à ce que laisse entendre la rapportrice de l’ONU, tous les parents ne souhaitent pas scolariser leur enfant en dehors des établissements médico-sociaux. « Aujourd’hui âgé de 16 ans, mon fils Pablo est un grand épileptique depuis un AVC qu’il a fait à l’âge de 5 ans. S’il n’était pas dans une structure, ce serait invivable, ce serait de la maltraitance, affirme Séverine Perez, membre du collectif D’une maison à l’autre. Sans compter que je ne pourrais plus travailler, ce que j’ai fait quand il était plus petit. C’est très difficile pour la vie sociale de tous, ça rejaillit sur la vie de couple et sur la fratrie. » Pour preuve : « On a un agrément pour 42 enfants, argumente Sylvie Cruzillac. On en a 46 et on pourrait en avoir 60 tellement les situations dramatiques sont nombreuses. » Dans l’établissement, une école fonctionne avec des enseignants spécialisés détachés de l’Education nationale. « Sur 46 enfants, décrit-elle, nous en avons 25 qui sont en fauteuil, ce qui rendrait difficile les déplacements à l’école. » Les autres se rendent à l’école du quartier pour suivre des cours d’histoire, de musique et d’arts plastiques. Une heure, voire une matinée, mais pas au-delà. Ils souffrent d’épilepsie, sont fatigables, ne sont pas autonomes pour aller aux toilettes, pour manger. Il leur faut un accompagnement de tous les instants. « Tout ça, conclut-elle, ce n’est pas prévu dans l’histoire de la culture scolaire. Pour les parents, “tous à l’école”, ça signifie plus d’établissements du tout et retour à la maison. »
La Maison des répits, qui propose un accueil des enfants et des jeunes en situation de handicap les week-ends et les vacances, a ouvert ses portes le 12 janvier à Paris. Cette première maison pour jeunes Parisiens a été créée par le centre médico-social Lecourbe et la Fondation Saint-Jean-de-Dieu. « Elle rencontre un immense succès, témoigne Sandy-Laure Laviron, directrice de l’IME Les Cascades. Confrontée à une liste d’attente toujours plus longue, l’équipe a décidé de réduire le nombre de week-ends par famille de deux à un par mois. » Les familles peuvent laisser leur enfant du vendredi soir au lundi matin, nuits comprises. La maison dispose de 15 places d’hébergement et de 5 places d’accueil de jour.