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Désinstitutionnalisation à marche forcée

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Les injonctions viennent de toutes parts – de l’Europe, du gouvernement, de l’ONU… Tous s’entendent pour remplacer les institutions par des solutions alternatives en milieu ouvert. Sur le terrain, parents et professionnels s’alarment et commencent à pointer du doigt les effets de mesures d’inclusion génératrices d’exclusion.

« NOTRE FILLE AUDREY A 19 ANS, EST AU­TISTE et demande une surveillance constante, explique Diane Faciolle. Juste faire les courses avec elle peut s’avérer très compliqué. » La désinstitutionnalisation à l’œuvre dans le médico-social la panique. Surtout depuis que Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée du handicap, veut arrêter de financer des institutions et développer des services d’accompagnement en milieu ordinaire. « Trouver un établissement a été un parcours du combattant, se souvient-elle. Si Audrey n’était pas accueillie dans un IME [institut médico-éducatif], je devrais m’en occuper 24 heures sur 24. Avoir une prise en charge pluridisciplinaire dans un établissement médico-social de qualité est une très bonne solution. »

Pourtant, la démarche « Une réponse accompagnée pour tous » (RAP) a été généralisée à tous les départements le 1er janvier 2018, après avoir été expérimentée dans 24 territoires. Elle consiste à bâtir un plan d’accompagnement global pour ceux qui seraient sans solution en assemblant différentes prestations disponibles localement. Un patchwork qui risque d’être fragilisé par la multiplication des intervenants. Le RAP s’inspire du rapport « Zéro sans solution » coordonné par Denis Piveteau en 2014, dont l’objectif est de « permettre un parcours de vie sans rupture » : « Le contraire de la rupture, ce n’est pas tout et tout de suite, mais toujours quelque chose avec une main tendue », peut-on lire dans le rapport. Sandy-Laure Laviron, directrice de l’IME Les Cascades, qui accueille de jeunes polyhandicapés, redoute que cela ne consiste à proposer des temps partiels pour tous : « Au lieu de bien s’occuper d’un enfant, s’inquiète-t-elle, on s’occupera de trois, la prise en charge sera incomplète et tout le monde sera insatisfait. »

Cohérence de l’accompagnement

Elle insiste sur la particularité de l’accompagnement des jeunes polyhandicapés : « Avec eux, il faut que les choses soient répétées pour être acquises. » L’accompagnement est personnalisé. « Pour identifier les points sur lesquels ils pourront réaliser des progrès, nous nous basons sur leur bilan neurologique. » Le niveau de développement des 27 jeunes âgés de 5 à 20 ans accueillis dans l’établissement est comparable à celui d’un enfant de moins de 3 ans. S’il fallait les scolariser, serait-ce dans une maternelle par rapport à leur âge mental ou au collège par rapport à leur taille ? « Il faudrait jeter des ponts avec l’école, complète-t-elle. Pourquoi ne pas proposer des jumelages entre un établissement scolaire et un IME ? Il faudrait leur proposer des activités qui aient du sens pour eux, de la musique, des arts plastiques ou du sport. Cela pourrait être rassembleur et changerait le regard porté sur les personnes handicapées. »

Les scolariser en milieu ordinaire reviendrait à les mettre à l’écart, car la rencontre avec d’autres élèves ne pourrait pas se faire. Pour communiquer avec eux, toute l’équipe, qu’il s’agisse des éducateurs ou des paramédicaux, s’est formée à diverses approches – comme le Makaton, qui consiste à associer à la parole des signes et des pictogrammes. « Le fait d’être ensemble entre pairs est important pour eux, remarque-t-elle, ils s’aident mutuellement. L’inclusion, c’est ça aussi, avoir des liens avec les autres. » Ils vont au théâtre, à la piscine, au gymnase, à la bibliothèque, et bénéficient des soins d’un kiné, d’un ergothérapeute ou d’un psychomotricien au sein de l’établissement. Des prestations qui risquent de leur faire défaut s’ils doivent trouver eux-mêmes ces professionnels dans le milieu ordinaire. Les parents sont bien en droit de s’inquiéter de l’accompagnement que leurs enfants pourraient avoir hors des établissements, quand ils voient la difficulté d’intégrer les élèves en situation de handicap dans des classes. Pourtant, ce processus d’intégration a été amorcé dès 1989. Une étude réalisée à la rentrée 2018 par Autisme France et Info droit handicap estime qu’entre 12 000 et 15 000 élèves qui y ont droit n’ont pas d’auxiliaire de vie scolaire (AVS) et que cela empêche entre 2 000 et 3 000 d’entre eux de se rendre en classe.

ESAT en danger

Côté travail, même doutes et mêmes réserves. Directrice de l’Esat (établissement et service d’aide par le travail) d’Aubervilliers, Sandrine Ruben explique : « Quand j’ai abordé le projet de la réforme avec les travailleurs de l’établissement, ils m’ont dit : “L’inclusion, on y est. C’est parce qu’on est dans l’Esat qu’on est inclus, on n’aurait pas notre place dans le milieu ordinaire.” » Parmi les 219 travailleurs de l’Esat, 75 % souffrent de problèmes psychiques et sont arrivés là après de nombreux circuits psychiatriques. « Dans les différents domaines où j’ai travaillé, j’avais des angoisses, raconte Aurélie. Je me suis accrochée, j’ai persisté, mais j’arrêtais à chaque fois parce que mes problèmes de santé refaisaient surface et m’empêchaient de continuer. Alors j’ai fini à l’Esat. » Celui d’Aubervilliers propose des activités d’entretien de jardins, d’espaces verts, d’entretien de locaux, de conditionnement ou de détachement en entreprise, pour travailler par exemple dans les entrepôts ou des magasins de H&M. Les emplois du temps sont aménageables en fonction de l’état de la personne et de son projet. « Certains peuvent intervenir seuls ou en équipe, une partie de la semaine à l’Esat et le reste dans une entreprise ou un magasin, précise Sandrine Ruben. Ils ont connu beaucoup d’échecs par le passé, mais ici ils arrivent à avoir une identité professionnelle qu’ils n’ont pas trouvée dans le milieu ordinaire. »

Il y a 120 000 travailleurs dans les Esat, dont 92 % sont des handicapés mentaux et psychiques qui, pour la plupart d’entre eux, ne pourraient pas travailler ailleurs. Nombre de ceux qui ont essayé l’ont mal vécu, se sont repliés sur eux-mêmes et ont arrêté de travailler. Alors pourquoi abroger la possibilité qui était offerte aux entreprises de s’acquitter de 50 % de leur obligation d’emploi en confiant des prestations de service ou de sous-traitance aux Esat, comme le prévoit la loi du 5 septembre pour la liberté de choisir son avenir professionnel ? Pour Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, c’est une façon d’inciter à l’emploi direct des travailleurs handicapés. Evelyne ne peut pas travailler en milieu ordinaire : « Trop de rendement, trop de rivalité, trop de stress et trop de rejet. » L’Esat d’Aubervilliers lui a justement proposé de tester la nouvelle prestation de location de salles à Paris. « Faire de l’accueil du public, se réjouit-elle, de la croissanterie et de l’entretien des salles, cela me correspond tout à fait ! » Un plaisir qui ne durera que jusqu’au 1er janvier 2020, date à laquelle la réforme sur l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés devrait entrer en vigueur.

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