Je vous ai déjà parlé de Tata Françoise ?
Tata Françoise, je l’aimais pas. Elle était gentille, pourtant. Quand elle venait à la maison, elle m’amenait toujours un petit truc. Un puzzle, un livre plein d’images, une toupie… Et pendant qu’elle s’installait à la cuisine avec maman, je passais des heures à jouer avec mon nouveau cadeau. J’étais content, maman aussi, tata Françoise aussi. Et puis, un jour, je suis entré dans la cuisine au mauvais moment. Elle parlait avec maman, elle me tournait le dos, elle ne m’a pas vu. Et j’ai entendu cette phrase : « Pourquoi tu le mets pas dans un centre, avec d’autres enfants comme lui ? »
Comme moi, ça voulait dire trisomique.
Genre, comme s’il existait des centres pour chacun. T’es blond, hop, tu vas chez les blonds ! T’es gros, hop, tu vas chez les gros ! T’aimes pas les épinards, hop, tu vas chez ceux qu’aiment pas les épinards ! Un centre pour chacun, et chacun dans un centre !
Moi, Florian, mon truc spécial, c’était que j’étais triso. Du coup ça risquait d’être compliqué pour me trouver un centre. De toute façon, pour mes parents, c’était niet. Pas de centre pour Florian !
A la maison, pourtant, c’était compliqué. A l’école aussi. Dans la rue aussi. En famille aussi. En fait, partout, c’était compliqué. Parce que j’étais pas pareil. Parce que les gens me regardaient. Parce que je comprenais pas toujours. Mais en centre, non, vraiment, ils voulaient pas.
Un jour, on en avait pourtant visité un. C’était grand, beau. La directrice était gentille. Tout se passait bien, jusqu’à ce qu’elle me montre un enfant que je ne connaissais pas et qu’elle l’appelle « ton copain ». J’avais tiqué. C’était pas mon copain. C’était un inconnu. Le seul truc que nous avions en commun, c’était d’avoir un chromosome en plus. Mais ça faisait pas de lui un copain. J’aimais les voitures et Sophie Marceau. Lui, si ça se trouve, il aimait les trains et Emmanuelle Béart. C’était comme si on disait à un blond que tous les blonds étaient ses copains. C’était complètement idiot.
« C’est pas mon copain ! »
Je n’ai pas parlé, j’ai crié. Je suis pas allé dans ce centre. Je suis resté dans ma maison, dans mon école, avec mon orthophoniste, mon docteur, mon kiné… Mes parents couraient tout le temps. C’était compliqué pour tout le monde. Mais, au moins, nous étions ensemble. En famille. Chez nous.
Plus tard, quand j’ai commencé à travailler, je suis quand même allé dans un centre. Parce que c’était devenu trop compliqué, justement.
L’Esat était loin de chez moi, alors je partais pour la semaine et je rentrais le week-end. Au début, j’ai bien aimé, ça changeait de la maison. Y avait plein de nouvelles têtes. Et y avait Sophie. Au foyer, j’avais ma chambre, je mangeais bien, les éducateurs étaient plutôt sympas… Mais j’étais pas chez moi. J’étais jamais seul. Jamais tranquille. Jamais libre.
Le matin, c’était toujours pareil. Un bol de café. Un verre de jus de fruits. Pomme, orange ou raisin. Pain, beurre, confiture. Mais pas la bonne confiture de cerises de mémé. De la confiture en barquettes, fraise, abricot, ou groseille. Toujours pareil.
Le soir, extinction des feux à 23 h. Chacun dans sa chambre, et pas de bruit s’il vous plaît !
Toujours les mêmes têtes, les mêmes journées. Foyer-boulot-foyer. Toujours la même vie.
J’ai tenu un an, et je suis rentré à la maison.
Et maintenant ? On a trouvé un Esat plus près de chez nous. Je pars le matin, je rentre le soir. J’ai MA vie. Ce n’est pas la vie de tout le monde, mais c’est la mienne. Et elle me plaît.