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Enjeux et écueils des Saad « familles »

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Financements jugés insuffisants, baisse d’activité, pénurie de personnels… Les services d’aide à domicile accompagnant les familles confrontées à des difficultés de vie sont à la peine.L’année 2019 marque le lancement de travaux de réflexion des fédérations du secteur avec la Caisse nationale des allocations familiales et la direction générale de la cohésion sociale, afin de sortir de l’impasse.

ELLES ONT LIMITÉ LA CASSE. NI PLUS, NI MOINS. En juin dernier, les fédérations des services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) « familles » (Adessadomicile, UNADMR, Fnaafp-CSF et UNA) s’étaient mobilisées, avec le soutien de l’Uniopss, pour éviter la baisse de dotations de 2 % prévue pour le secteur de l’aide à domicile dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion (COG) signée entre l’Etat et la Cnaf (Caisse nationale des allocations familiales) sur la période 2018-2022. « Nous avons dû nous battre pour montrer la plus-value de l’activité de nos services auprès des familles. La Cnaf, qui est pourtant un partenaire historique, n’a pas toujours en tête les bénéfices immédiats de nos interventions », souligne Maud Collomb, directrice adjointe de l’Union nationale ADMR. « Nous avons obtenu le maintien des enveloppes jusqu’en 2022. Malgré cela, dans la mesure où le prix de revient de l’heure augmente chaque année – et la Cnaf a évalué cette augmentation mais à enveloppe constante –, les services seront obligés de baisser leur activité. Selon notre prospective, la baisse sera de 3 % chaque année jusqu’en 2022 », déplore Jean-Laurent Clochard, responsable du pôle « familles » de la Fnaapf-CSF. « Selon les objectifs arrêtés par l’Etat et la Cnaf, les interventions des techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF) doivent représenter en moyenne 70 % des interventions d’aide à domicile, et celles d’auxiliaires de vie sociale (AVS), 30 %. Aujour­d’hui il y a une activité des services qui se stabilise, mais pas forcément au niveau TISF, qui est pourtant le cœur du dispositif, mais plutôt au niveau des AVS », ajoute Jérôme Perrin, responsable aide et accompagnement chez Adessadomicile.

Autre sujet de préoccupation pour le secteur : les incidences de la mesure de compensation du crédit d’impôt sur la taxe sur les salaires (CITS) entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2019. Les services à domicile intervenant auprès de familles en grandes difficultés sociales dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance, de la protection maternelle et infantile et/ou de l’action sociale des CAF emploient des TISF qui sont des personnels qualifiés, avec des rémunérations de 1,6 Smic et souvent une ancienneté telles que les réductions de charge qui remplacent le CITS ne permettront pas d’éviter une perte pour les Saad. Les fédérations estiment l’impact budgétaire entre 10 % et 20 % des coûts salariaux. Dans un courrier adressé en octobre dernier au ministère des Solidarités et de la Santé, Guillaume Quercy, président de l’UNA, alertait sur les « conséquences dramatiques » pour les Saad « familles », « à l’heure où les objectifs de dépenses des conseils départementaux sont des plus contraints et où la COG signée avec la Cnaf en juillet ne prévoit pas ces charges supplémentaires ». « La réponse de Bercy est d’aller voir la ministre de la Santé. Chacun se renvoie la balle », critique Jérôme Perrin.

Complexité des critères

Alors que la demande d’accompagnement de la part des familles en difficultés sociales est croissante, les Saad « familles » peinent à donner une véritable impulsion à leur activité. En plus des difficultés budgétaires, les écueils sont nombreux. Selon l’étude menée fin 2017 par le cabinet Adjuvance pour la fédération Adessadomicile et l’Ocirp sur le non-recours aux aides sociales, les aides aux familles sont « les plus méconnues et les plus difficiles d’accès ». Seuls 37 % des familles éligibles connaissaient les aides qui leur sont dédiées, et elles n’étaient que 9 % à connaître le nom du métier de TISF. Au-delà du manque d’information des familles, les fédérations pointent du doigt notamment « un certain nombre de freins sur l’accès aux droits, du fait de la complexité des critères nationaux fixés par la Cnaf, et l’inadéquation des barèmes générant des restes à charge importants pour des familles aux revenus modestes. »

« Le dispositif sur l’aide à domicile CAF est très complexe en termes de fonctionnement, de critères d’intervention, et il n’est plus adapté à la réalité des difficultés actuelles rencontrées par les familles, au fonctionnement des CAF et des associations, explique Maud Collomb. Les nouveaux conseillers CAF ont du mal à comprendre et à maîtriser l’ensemble de ce dispositif, ce qui freine les relations partenariales locales. Il y a des CAF très investies qui voit les effets de l’aide à domicile aux familles, l’impact positif de nos interventions, et d’autres qui ont une vision plus comptable et gestionnaire. » Jérôme Perrin reconnaît lui-aussi que les critères d’intervention assez compliqués, le nombre d’heures limité à six mois et les nombreuses pièces justificatives demandées aux familles ne facilitent pas la visibilité du dispositif. « Certaines CAF font preuve de bonne volonté et respectent la circulaire, mais elles sont aussi à l’écoute des problématiques des familles dans des cas particuliers », ajoute-t-il. « La Cnaf a relancé un programme de formation en interne sur le mécanisme de fonctionnement de ce dispositif. Cela a des effets positifs, et on souhaiterait donc qu’il soit accéléré et étendu, souligne Maud Collomb. Pourquoi les enveloppes ne sont pas consommées ? Pourquoi sont-elles mal utilisées ? On souhaite y travailler avec la Cnaf, ce qui nous permettra de donner un peu d’air au financement. » Par ailleurs, un observatoire national piloté par la Cnaf devrait permettre de retracer l’attribution et le non-recours aux aides, « pour améliorer l’efficience du système, conformément aux engagements pris dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestions 2013-2017 ».

Diagnostic d’une pénurie

Véritable talon d’Achille des Saad, le manque de professionnels diplômés empêche les associations de répondre aux demandes des familles. Fer de lance de l’intervention auprès des familles, les TISF se font rares sur certains territoires et les organismes de formation peinent à trouver un nombre de candidats suffisants pour le sessions. « Le nombre de diplômés croisé avec la pyramide des âges vieillissante du public titulaire du diplôme d’Etat TISF fait qu’il y a un vraie pénurie pour nos services actuellement », reconnaît Hélène Lemasson-Godin, directrice ressources humaines du réseau UNA.

Concrètement, la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile (BAD) compte 6 241 TISF, soit 6 % des 230 000 salariés de la branche. « On se les dispute entre associations. Et on recrute de plus en plus de faisant-fonction, tels que des conseillers en économie sociale et familiale, des moniteurs-éducateurs. Les textes nous y autorisent, et cette solution permet de faire l’activité, mais à un moment cela risque de tuer le métier de TISF », craint Jérôme Perrin.

Lueur d’espoir pour le secteur : une étude avec la Cnaf et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et les fédérations des Saad « familles » sera menée cette année pour identifier et diagnostiquer les multiples raisons à l’origine du problème d’attractivité du métier de TISF et de recrutement pour les associations. « L’objectif est de repérer si le référentiel du diplôme d’Etat de TISF correspond dans les compétences qu’il permet d’acquérir aux besoins des employeurs et des publics aidés. Il s’agit également de comprendre les raisons pour lesquelles il y a des problèmes de recrutement et de fidélisation des personnels », détaille Hélène Lemasson-Godin, directrice des ressources humaines du réseau UNA.

En 2012, la DGCS avait déjà commandé une étude sur les missions, les compétences, les modes d’intervention et l’image des TISF. « Le métier et les conditions de travail ont changé. Auparavant, les TISF avaient des plages d’intervention très longues dans les familles, de trois à quatre heures. Maintenant, cela se réduit plus fortement, notamment pour des raisons budgétaires. Les TISF interviennent plus le soir, le week-end, ce qui a généré ces quatre à cinq dernières années de vraies modifications en termes de conditions de travail. L’étude va nous permettre d’avoir des éléments de réponse objectivés avec des paroles de salariés en poste ou de jeunes en cours de formation ou qui aimeraient se former », poursuit Hélène Lemasson-Godin. Pour Maud Collomb, directrice adjointe de l’Union nationale ADMR, cette étude sera également l’occasion de mettre en lumière les nouvelles formes d’accompagnement des TISF. « Les Saad “familles” sont sollicités par des conseils départementaux pour intervenir auprès des mineurs non accompagnés. Dans le Cher et le Loir-et-Cher, des TISF interviennent à l’hôtel pour apprendre à ces mineurs les codes de la vie française, ou les aider dans leurs démarches administratives », explique-t-elle.

Attractivité salariale

Les fédérations font un constat unanime : beaucoup plus de TISF qui sortent de formation vont travailler en établissement. « L’étude nous permettra d’identifier les freins pour les étudiants, les stagiaires et les diplômés qui ne postulent pas sur le domicile », précise Hélène Lemasson-Godin. Mais l’une des raisons de cette désertion du champ du domicile est déjà identifiée : elle est salariale, la convention collective nationale (CCN 66) étant plus avantageuse que la convention collective de la BAD. « Au niveau de la branche, nous sommes en cours de renégociation du titre sur les emplois et les rémunérations, avec la velléité de pouvoir renforcer l’attractivité financière des différents métiers de la branche. On a des problématiques de recrutement de fonds, qui vont aller en se renforçant. On travaille d’arrache-pied avec les partenaires sociaux pour essayer d’avoir une politique salariale et des parcours professionnels et de qualification plus attractifs. Ce qui nous manque aujourd’hui, c’est l’appui des financeurs. Nous avons depuis des années des difficultés à faire évoluer la valeur du point dans notre branche. Nous aurons beau travailler en tant que partenaires sociaux responsables pour avoir des textes conventionnels attractifs, sans l’aval des ministères de tutelle, nous n’aurons pas la capacité de faire évoluer les grilles conventionnelles », insiste Hélène Lemasson-Godin.

Le travail de réflexion en partenariat avec la Cnaf et la DGCS devrait aider à mettre en place des outils de communication pour mieux faire connaître le métier de TISF qui, de l’avis des fédérations, souffre encore d’une image « ringardisée ». « L’action du TISF est la partie immergée de l’iceberg du travail social. Lorsqu’une association permet un retour à l’emploi ou un logement, on peut dire que X % de personnes ont retrouvé un emploi. Mais comment montrer qu’une TISF a permis à une maman en difficulté sociale de changer de comportement, de sortir à nouveau, d’accompagner ses enfants à l’école, de se maquiller ? Nous avons des difficultés à faire reconnaître, à valoriser les actions des TISF qui sont au cœur de l’intimité de familles. Et ce qui n’est pas visible aux yeux du grand public ne l’est pas aux yeux de l’Etat », constate Jérôme Perrin.

Le CNAM-CNAF Prado maternité en panne

En 2016, La Cnaf et la Cnamts ont signé en 2016 une convention de partenariat visant à coordonner leurs actions dans le cadre du programme d’accompagnement du retour à domicile (Prado), en sortie de maternité. Faute de moyens et d’une communication claire, ce dispositif Cnam-Cnaf Prado maternité, qui prévoit l’intervention d’une TISF à domicile auprès d’une mère après son accouchement, ne fonctionne pas, contrairement à son pendant « sages-femmes ». Les fédérations réclament une prise en charge à 100 % de la participation familiale par la Cnaf dans un objectif de prévention des troubles relationnels entre la mère et l’enfant. Des travaux devraient être menés avec la Cnaf pour identifier les problèmes et chercher des solutions.

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