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Femmes à la rue, une insécurité accrue

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La spécificité des femmes sans-abri, longtemps restées invisibles, commence tout juste à être prise en compte par les pouvoirs publics. Si davantage de centres spécifiques sont créés, la question soulève de multiples enjeux de prise en charge sanitaire et sociale qui tardent encore à être réellement compris.

« ON AVAIT L’HABITUDE DE DIRE QU’IL N’ÉTAIT PAS BON D’ÊTRE UN HOMME À LA RUE parce que la priorité était donnée aux femmes seule ou avec enfants. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. » Pour Houda Merimi, référente médicale France à Médecins du monde, la gestion des budgets destinés à l’hébergement a eu un impact sur la situation des femmes et des familles précaires : elles sont aujourd’hui beaucoup plus présentes dans les rangs des sans-abri qui passent la nuit dans les rues, faute de place dans les centres d’hébergement, les hôtels et les autres structures d’accueil.

Les femmes à la rue sont longtemps restées invisibles : peu présentes dans les centres d’hébergement, peu visibles dans l’espace public, elles étaient peu prises en compte dans les statistiques et, par conséquent, par les politiques publiques. En 2012, une enquête de l’Insee en partenariat avec l’Ined ne comptabilisait que 38 % de femmes sans domicile (à la rue, dans un logement procuré par une association, à l’hôtel, ou dans un centre d’hébergement collectif), dont 5 % de femmes sans-abri. Or, la Nuit de la solidarité organisée à Paris en février 2018 a pour la première fois permis de poser des chiffres sur cette nouvelle réalité : plus d’un sans-abri rencontré sur dix était une femme. Mieux, elle a permis de mettre au jour des comportements et des réalités différentes selon le genre. En effet, les lieux que les femmes choisissent pour leur mise à l’abri « traduisent des stratégies d’invisibilité […] et confirment la difficulté de les recenser », selon l’analyse qui a été faite des résultats du décompte, et qui reconnaît le caractère « a minima » de ces chiffres.

A la lecture de cette analyse, des différences spécifiques semblent émerger entre les femmes et les hommes en grande précarité. Elles semblent d’abord moins avoir accès à un accompagnement social : seule une femme sur dix dit être suivie par un travailleur social (12 %) alors que c’est le cas de près de trois hommes sur dix (28 %). Elles sont aussi moins nombreuses à avoir accès aux prestations sociales. Mais selon les acteurs associatifs, c’est surtout le risque plus grand d’être victime de violences sexuelles qui ressort. « La précarité des femmes est plus importante en matière d’infections et de violences sexuelles », souligne Houda Merimi. « Des services sexuels tarifés ou non sont également utilisés comme monnaie d’échange contre un hébergement plus stable », complète Camille Gutton, responsable de l’observatoire de l’accès aux droits et aux soins à Médecins du monde. Ce serait la raison pour laquelle ces femmes désertent les structures d’hébergement classiques qui sont pour la plupart mixtes. « Ces femmes ont subi beaucoup de violences, de viols, de traumatismes, donc elles se cachent », explique Dominique Versini, adjointe à la maire de Paris, chargée de toutes les questions relatives à la solidarité.

Les femmes évitent les lieux mixtes

A la Maison dans la rue, un espace solidarité insertion (ESI) qui accueille en journée 2 300 personnes, les femmes se font rares. Elles représentent moins de 10 % des inscrits et ne font souvent que passer. « Quand les femmes voient qu’il y 90 % d’hommes, elles repartent tout de suite, explique Emmanuelle Faivre, cheffe de service. Certaines viennent seulement pour refaire leur carte AME ou CMU, ou pour prendre une carte pour manger. Quand ce sont des femmes assez jeunes, on les renvoie vers des haltes jeunes, ou un ESI où il n’y a que des femmes. On préfère qu’elles ne restent pas ici. » La situation est similaire dans la plupart des ESI, pourtant mixtes. « Les femmes auront beau être prioritaires, s’il n’y a que deux ou trois centres qui leur sont réservés, cela ne suffit pas en termes de places », poursuit-elle.

Partant de ce constat, la mairie de Paris a récemment ouvert plusieurs structures : la « halte Femmes » de l’Hôtel de Ville, qui accueille une cinquantaine de femmes, une autre dans la mairie du Ve arrondissement en reçoit une quinzaine. Un troisième lieu devrait bientôt ouvrir. Un bain-douche, situé dans le XIIe arrondissement, sera d’ici fin mars réservé aux femmes tous les après-midi, et géré par le Samu social de Paris. « On est en train de mettre en place un réseau de lieux pour les femmes, avec du personnel majoritairement féminin. Ce sont des lieux très protégés où elles peuvent venir sans craintes. Même s’il n’y a pas forcément de dangers, elles ont un ressenti d’insécurité », souligne Dominique Versini. Pour l’adjointe à la maire de Paris, mener une politique d’accompagnement spécifique envers les femmes précaires est essentiel, notamment en amont. Des aides ont été mises en place envers les familles monoparentales, qui sont quasi exclusivement des femmes seules avec enfants et dont un tiers vivent sous le seuil de pauvreté. Depuis 2016, une sage-femme de la protection maternelle et infantile (PMI) va à la rencontre des femmes enceintes à la rue et les oriente. « Les femmes enceintes n’ont pas de suivi de leur grossesse, ce qui a pour conséquences des accouchements prématurés catastrophiques, de réels risques pour leur vie », regrette Dominique Versini.

Au-delà de la prise en charge sanitaire, c’est à une prise en charge psychologique de ces femmes qu’appelle Médecins du monde. « On a des besoins en santé mentale exprimés tous genres confondus, explique Houda Merimi. Mais ils s’expriment plus fortement chez les femmes : nous voyons des femmes enceintes de grossesses non désirées, qui ont une fragilité psychique, une souffrance en rapport avec l’origine de cette grossesse, parfois issue de violences sur le parcours migratoire ou sur le sol français. »

Pour Françoise Khenser, responsable de la Halte Femmes de l’Hôtel de Ville, il faudrait non seulement plus de structures mais aussi les doter de consultations d’infirmières, de médecins et de psychiatres pour les femmes en rupture de soins psychiatriques. « Il faut des psychothérapeutes spécialisés en psycho-trauma dans nos centres, estime-t-elle également. Chez nous, elles ont accès à des consultations avec des infirmières qui vont retracer leur parcours médical et migratoire. Certains parcours ont été jalonnés de violences : administratives, sexuelles… Si on ne travaille pas sur l’ensemble des difficultés de la personne, elle ne pourra pas aller de l’avant. »

Intégrer un « regard genre »

L’important, pour Médecins du monde, est également d’intégrer un « regard genre » dans la prise en charge des personnes précaires. « On comprend que d’être une femme expose plus que les hommes aux violences liées au genre, aux prestations sexuelles tarifées en échange de plus de stabilité et aux phénomènes de grossesses non désirées, explique Houda Merimi. C’est une démarche qu’il faudrait intégrer de manière transversale dans toutes les structures auxquelles les femmes peuvent avoir accès. Il faut que les professionnels de la santé et du social soient sensibilisés à la précarité pour qu’ils puissent être attentifs aux signes et aux mots et pour pouvoir déployer tous les moyens de prévention, de mise à l’abri nécessaires pour les femmes. »

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