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“Les femmes autistes ne sont pas entendues”

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« Femmes avant tout » est le thème du colloque organisé le 14 mars à Paris par l’Association francophone de femmes autistes (Affa). Pour Marie Rabatel, sa présidente, l’objectif est de sensibiliser professionnels et grand public aux spécificités de l’autisme au féminin, notamment au retard de diagnostic.
Quelles sont les particularités de l’autisme chez les femmes ?

La différence entre les hommes et les femmes ne se trouve pas dans les troubles du spectre autistique [TSA], qui sont les mêmes quel que soit le genre (gêne dans les interactions sociales, comportements stéréotypés, intérêts restreints…), mais dans leur expression. Les femmes ont une plus grande capacité à camoufler leurs difficultés pour s’intégrer et ont, en apparence, un meilleur fonctionnement social, moins de problèmes de communication ou de comportements répétitifs que les hommes. Leur éducation fait aussi qu’elles se conforment plus facilement à ce qu’on attend d’elles. Les représentations sociales influent également : un petit garçon qui reste seul dans son coin et ne parle pas va attirer l’attention, une petite fille qui fait la même chose va juste être considérée comme une enfant timide. Le problème est que les outils de diagnostic sont appropriés au dépistage de l’autisme chez les garçons mais qu’ils ne le sont pas forcément pour les filles, dont les spécificités autistiques sont plus discrètes. Par exemple, les hommes atteints de TSA sont plus souvent hyposensibles. Les femmes, au contraire, sont hypersensibles, mais cela est potentiellement interprété comme un trait de caractère féminin. C’est pareil pour les troubles associés. Chez les hommes, les TOC [troubles obsessionnels compulsifs] et les TDAH [troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité] dominent, alors que chez les femmes, l’anxiété et la dépression – deux pathologies très répandues dans la population générale – l’emportent. Chez les femmes, on ne perçoit pas toujours les troubles autistiques de l’extérieur mais ils sont bien là, à l’intérieur.

Quelles sont les conséquences de cette situation ?

Plus invisibles, les femmes autistes sont sous-diagnostiquées, ou plus tardivement. Il est compliqué d’obtenir des chiffres fiables mais, à l’Association francophone de femmes autistes, nous accueillons beaucoup de femmes de plus de 40 ans, voire de plus de 60 ans, qui ont passé leur vie à masquer leur handicap. Sauf que, à force de s’être suradaptées à leur environnement pour compenser et avoir une conduite acceptable, elles sont en état de fatigue majeure, une sorte de burn-out social. A l’errance médicale s’ajoute le risque de diagnostic erroné. Nous rencontrons beaucoup de femmes ayant été traitées pour une schizophrénie, un trouble bipolaire, une anorexie… Elles ont des parcours psychiatriques lourds, une médication inadaptée. Moins bien diagnostiquées que les hommes, les femmes sont moins bien accompagnées.

Pourquoi avez-vous créé une association de femmes autistes ?

Nous l’avons créée car la parole des femmes n’est pas entendue dans la communauté autistique, où on parle de l’autisme en général. Or il y a des spécificités propres à notre sexe, notamment en ce qui concerne la maternité, les douleurs des règles, les violences… L’autisme au féminin constitue une double discrimination : nous avons les mêmes problématiques que les autres femmes mais elles sont démultipliées du fait de notre trouble, et quand celui-ci n’est pas bien diagnostiqué, c’est encore pire. Certaines mamans se retrouvent dans des situations catastrophiques face aux enseignants ou à l’aide sociale à l’enfance, qui les menace de leur retirer l’autorité de leur enfant quand une information préoccupante à leur sujet a été signalée. Elles peuvent avoir des comportements paraissant inadaptés aux yeux des autres et être prises pour des mères défaillantes, incapables de s’occuper d’un enfant. Nous avons beaucoup de cas comme ça. Le sous-diagnostic des filles expose également à des problèmes de scolarité et à du rejet. Personnellement, j’ai été poussée dans les escaliers, harcelée par mes camarades de classe, qui pensaient que j’étais une attardée mentale. C’est très douloureux. Notre association et le colloque que nous organisons le 14 mars entendent aussi sensibiliser le monde du travail. Les personnes autistes travaillent de manière très pointilleuse, très concentrée. Mais notre handicap n’étant pas forcément visible, beaucoup de femmes perdent leur emploi à la suite d’incompréhensions avec leur employeur ou leurs collègues, mais aussi à cause du surmenage. Le cerveau d’une personne autiste ne trie pas l’information, il reçoit tous les stimuli en même temps. Il lui faut donc déployer une énergie considérable pour distinguer entre les deux et s’adapter aux différents contextes. Au bout d’un moment, nous n’en pouvons plus. Personnellement, quand les choses ne se voient pas, j’ai du mal à les mentaliser. J’ai essayé de me fondre dans la masse jusqu’à épuisement total. De même, j’avais beau être avec les gens, j’avais toujours l’impression d’être à côté. Parfois mon entourage ne le comprend pas bien mais, aujour­d’hui, je n’ai plus envie de compenser. Si la société acceptait la différence, ce serait déjà une grande avancée.

De nombreuses femmes en situation de handicap physique ou psychique sont victimes de violences… est-ce le cas pour les autistes ?

Les femmes autistes ont une vulnérabilité accrue aux agressions sexuelles. Elles ont du mal à décoder les intentions d’autrui et à repérer les situations dangereuses pour s’en protéger. Une étude, rendue publique lors du congrès de L’encéphale qui s’est tenu à Paris en janvier dernier, indique que 88 % des femmes souffrant de troubles du spectre autistique déclarent avoir été exposées à une ou plusieurs violences sexuelles, quel qu’en soit le type (viols, attouchements, baisers forcés…) 51 % signalent avoir subi une pénétration par la contrainte. Dans 47 % des cas, l’âge de la première agression sexuelle est inférieur à 14 ans, et à 9 ans dans 31 % des cas. Il y a des filles qui, étant non verbales, sont des proies idéales, elles ne parleront pas. Et si elles expriment leurs souffrances autrement, on aura tendance à mettre ça sur le compte de l’autisme. A l’adolescence, il y a aussi des jeunes filles autistes qui se mettent en danger sans s’en rendre compte pour recevoir des miettes d’affection et ne pas se sentir rejetées comme cela arrive souvent. Un viol est traumatisant pour n’importe quelle victime, mais les répercussions sont majorées chez les autistes. A cause de leur hypersensorialité, tous les détails, toutes les images sont démultipliés. J’ai moi-même été victime de viols, c’est très compliqué de trouver une prise en charge adéquate. Peu de professionnels sont formés aux traumatismes et encore moins à l’autisme. Il y a urgence à aider les femmes autistes à prendre conscience de leurs vulnérabilités. Pour cela, il faut qu’elles sortent du bois et ne restent pas seules.

L’AFFA,

Association francophone de femmes autistes, publie en ligne un guide pour protéger ces femmes de la mani­pulation mentale (à lire sur https://bit.ly/2VIQByh).

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