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Nantes au chevet des plus vulnérables la nuit

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Dans le cadre de son plan d’action « Ville la nuit », la mairie de Nantes présentait, jeudi 28 février, une série de propositions pour répondre aux besoins nocturnes de deux publics vulnérables : les travailleurs du sexe et les sans-abri. Fruit d’une démarche « d’aller vers » peu habituelle pour une collectivité, l’opération doit permettre de mieux prendre en compte la voix de ces personnes.

INSTAURER UN CONSEIL DE LA NUIT, C’ÉTAIT UNE PROMESSE DE CAMPAGNE de la candidate socialiste Johanna Rolland, élue maire de Nantes en 2014. Née de la volonté de déminer les conflits d’usage entre fêtards et riverains, cette instance participative s’est d’emblée attachée à entendre l’ensemble des noctambules : ceux qui travaillent et ceux que la nuit fragilise et met en danger, les sans-abri et les personnes en situation de prostitution. Deux populations particulièrement vulnérables et souvent réduites au silence : « La nuit, les souffrances sont démultipliées, les besoins en hygiène et en sécurité sont forts, explique Marie-Annick Benâtre, adjointe « santé, précarité et grande pauvreté » à la ville de Nantes. Il était important d’entendre ces publics vulnérables et de construire ensemble des réponses à leurs besoins. » Presque deux ans après le début de la concertation, démarrée en mai 2017, la ville de Nantes rend donc sa copie(1) et propose 35 actions concrètes : des initiatives nouvelles comme des propositions déjà engagées mais nécessitant d’être mieux connues. Des réponses sur les temps de la nuit mais aussi du jour, autour de trois problématiques : les besoins fondamentaux, l’accès à la santé et aux droits et la cohabitation avec les usages de la nuit.

Un engagement fort

Parce qu’elles sont essentiellement d’origine étrangère –  Nigérianes pour la plupart –, souvent en situation irrégulière, les personnes se prostituant à Nantes sont les plus éloignées des dispositifs sociaux. Et à ce titre, les propositions formulées à leur encontre marquent un engagement fort de la ville. Celle-ci les invite à s’emparer des dispositifs d’accès à la culture et aux sports. Elle convie les associations à la « Coordination santé précarité » co-animée avec l’agence régionale de santé (ARS) pour renforcer les partenariats avec les structures de soins. Elle veut favoriser la prise en charge du stress post-traumatique au sein de son futur centre dédié aux violences faites aux femmes. La collectivité s’engage aussi à mettre en place un temps d’échange entre la police nationale, la brigade des mœurs et les associations. Une manière de « sensibiliser les agents à l’accueil de ce public allophone et à l’accompagnement en cas de violence » et de modifier la perception du rôle de la police. Par ailleurs, le nombre de sacs blancs distribués pour jeter les préservatifs usagés sera augmenté. « La mairie nous avait proposé de jouer les intermédiaires pour diffuser ces sacs. On l’a fait, sans garantir leur utilisation. Les femmes se sont senties concernées. Et elles le seront encore plus maintenant qu’elles ont rencontré les services municipaux », explique Maïwenn Henriquet, intervenante santé à Paloma, une association créée en 2017 par Médecins du monde pour poursuivre son travail de promotion de la santé auprès des travailleurs du sexe.

La ville s’engage aussi sur le front de la sécurité. Elle envisage d’accompagner les associations dans la construction de « fiches réflexes » sur les conduites à tenir en cas de danger. Avec le collectif Culture Bar-Bars, qui structure les cafés-concerts, elle a développé un dispositif intitulé « café citoyen ». Identifiés par un logo spécifique, 27 établissements (à ce jour) garantissent un accès gratuit à l’eau, aux toilettes et offrent un lieu d’écoute, voire de repli en cas de danger. Un partenariat engagé aussi financièrement avec Le Carillon, réseau de solidarité entre commerçants, habitants et sans-abri. Plus généralement, le nombre de toilettes publiques, gratuites et accessibles 24h/24h sera doublé et cartographié. En matière d’aide alimentaire, la ville prévoit d’améliorer la coordination de l’offre et de mettre en place des ateliers de cuisine grâce à une convention avec la Banque alimentaire. Autre demande récurrente : le besoin de recharger son téléphone portable. Pour y répondre, la mairie va équiper 100 abribus de prises USB. Et pour faciliter l’accès à Internet, elle déploiera du wifi public sur cinq lieux qu’elle veut rendre plus visibles. Et pour lutter contre la stigmatisation, c’est aussi ses agents que la ville veut former à la fois sur la précarité et sur les dispositifs d’aide.

Travailler autrement

Au-delà des réponses apportées, la méthode en elle-même, portée par un principe d’« aller vers », suscite l’intérêt. Avec les sans-abri comme avec les travailleurs du sexe, une série d’entretiens a été menée, d’abord avec les acteurs qui côtoient ces publics puis avec les personnes elles-mêmes. « Il y a une véritable volonté de la ville de travailler autrement, explique Françoise Bolteau, chargée de mission « participation sociale » à la direction de l’inclusion sociale. Les comités d’usagers sont courants mais la participation y est souvent organisée de façon formelle. Là, on a souhaité sortir d’une conception très descendante de la pratique sociale. » La municipalité a ainsi rencontré 43 sans-abri à la halte de nuit, aux bains-douches et lors des maraudes de la Croix-Rouge et du Samu social. Une démarche plébiscitée. « Même si on a toujours été porte-parole des besoins des sans-abri auprès de la collectivité, ce travail permet de faire la lumière sur un monde de la nuit qui n’est pas forcément festif et rendre plus visibles ces personnes cachées du grand public », explique Adeline D’Halluin, directrice du pôle « accueil urgence » des Eaux vives. Et la démarche paraît encore plus pertinente avec les travailleurs du sexe. Méconnues des institutions, leurs situations, empreintes de représentations, sont bien souvent abordées sous l’angle de la tranquillité publique. Et si les sans-abri accèdent aux centres communaux d’action sociale, c’est rarement le cas de ces personnes majoritairement étrangères. « On confiait jusqu’à présent la question de la prévention des risques à l’association Paloma. Mais entendre ces femmes de cette manière, aller à leur rencontre, c’est vraiment nouveau », confie l’élue Marie-Annick Benâtre.

Des femmes enfin reconnues

Accompagnées par une stagiaire en interprétariat, les équipes de la direction de la santé publique ont rencontré 35 travailleuses du sexe (aucun homme n’a participé aux entretiens), lors des permanences de Paloma. En présence des élus, elles sont aussi montées à bord du Funambus, le véhicule de l’association, lors de maraudes. « La mairie s’est adaptée à nos contraintes et a fait preuve d’une véritable écoute, loin d’une démarche de communication qu’on aurait pu craindre. Elle est venue lors des accueils sans rendez-vous, en discutant pendant le temps d’attente des femmes, explique Maïwenn Henriquet, à Paloma. Et on a vu au fur et à mesure, les équipes de la mairie touchées par ces femmes, s’intéresser à leurs parcours de vie, entendre des situations dont elles n’avaient pas connaissance auparavant. De leur côté, les travailleuses du sexe ont tout de suite perçu que les discussions étaient sérieuses, avec un interlocuteur important. Et même celles réticentes à répondre au départ ont fini par prendre part à la discussion. »

Surtout, ces femmes se sont senties respectées. Dix mois après les entretiens, elles ont été invitées à une réunion de restitution à leur intention. En présence des élus et sous les ors de l’hôtel de ville. « On voulait un lieu qui symbolise l’aspect officiel de la démarche. Au Nigeria, les gens s’habillent et font des discours lors d’événements officiels, raconte Maïwenn Henriquet. Ces femmes y avaient droit aussi. Et si le processus pouvait paraître décalé pour des personnes en situation de survie, certaines ont été très émues de constater que la mairie avait tenu ses promesses en prenant des mesures concrètes. Elles ont eu le sentiment d’être enfin visibles et reconnues dans leurs besoins. A partir de là, même si tout n’est pas parfait, c’est gagné… »

Restera, tout de même, à mettre en musique ces bonnes intentions. Et si le chantier ne fait que démarrer, il butera nécessairement sur des écueils. Premiers d’entre eux et non des moindres : le manque d’hébergement, compétence de l’Etat, pour accueillir les sans-abri et les conséquences de la loi de pénalisation des clients de 2016 qui, selon Paloma, relègue les travailleurs du sexe, encore un peu plus dans l’ombre.

Des dessins pour sensibiliser

La ville de Nantes entend lutter contre la stigmatisation et sensibiliser ses habitants aux réalités vécues par ces publics vulnérables. Pour les travailleurs du sexe, un livret, communiqué auprès des agents de la ville, des commerçants et du public, reprend la synthèse des rencontres. Il expose leur situation sociale, leur objectif de survie, leur isolement, raconte le jugement moral et les situations de violence que ces personnes subissent mais aussi des solidarités dont elles peuvent bénéficier. Réticentes à l’idée de se faire prendre en photo, les femmes rencontrées à Paloma ou lors de maraudes ont été croquées par Muriel Douru. L’illustratrice nantaise donne un visage à leurs propos et rend un peu plus visible leur situation.

Notes

(1) L’avis citoyen et l’ensemble des propositions de la ville sont consultables sur https://dialoguecitoyen.metropole.nantes.fr.

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