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Un Samu social en milieu rural

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Depuis l’été 2017, un camping-car vient à la rescousse des personnes en difficulté dans les zones rurales. Trois travailleurs sociaux les écoutent, les orientent et les accompagnent, si nécessaire, dans leurs démarches. Une béquille indispensable dans une région où la pauvreté augmente.

Vendredi, 9 h 45. A la sortie de la gare de Rang-du-Fliers (Nord-Pas-de-Calais), un camping-car attend. Sur la porte, six lettres sont écrites en grand – « PAMELA » –, mais rien à voir avec le nom d’une diseuse de bonne aventure, l’acronyme signifie « point d’accueil mobile d’écoute, de liaison et d’accompagnement ». A l’intérieur, Thomas Delannoy, moniteur-éducateur depuis 2014, et Morgane Top, conseillère en économie sociale et familiale (CESF). Créé par le Foyer international d’accueil et de culture (Fiac) de Berck-sur-Mer, le dispositif a été mis en service en juin 2017. Depuis, du lundi au vendredi, les deux travailleurs sociaux sillonnent l’arrière-pays montreuillois pour venir en aide aux personnes démunies. Sur le tableau de bord, un cahier est ouvert, dans lequel sont notées les distances : « On parcourt 100 à 200 km par jour », pointe l’éducateur. Aujourd’hui, c’est lui, la casquette vissée sur la tête, qui conduit. Direction Hesdin, une commune de 2 200 habitants de la région Hauts-de-France où, à moins d’une heure des plages de la côte d’Opale, un tiers de la population est pauvre.

10 h 30. Après quarante-cinq minutes de route sous la pluie, le véhicule stationne au bout d’un parking, près de la gare. Un message sur le mur indique que celle-ci est fermée et que les trains sont remplacés par des bus. C’est là, toujours au même endroit, que Pamela assure une permanence hebdomadaire le vendredi. L’équipe ne sait jamais à l’avance combien de personnes vont passer. « Parfois, on accueille six ou sept personnes, parfois deux, mais à Hesdin, en général, on voit pas mal de monde, les gens savent que nous sommes là et viennent », signale Morgane Top en ouvrant la porte du camping-car. Nicolas, lui, est déjà arrivé. Pour cet adolescent de 18 ans qui a longtemps vécu en famille d’accueil, ce point de rencontre itinérant est un repère. Depuis l’été dernier, il y vient tous les vendredis. Ce matin, à peine arrivé, il fait directement chauffer de l’eau dans la kitchenette pour préparer un café à tout le monde. « J’ai l’habitude », dit-il. Après avoir été à la rue pendant plusieurs semaines, puis hébergé par le 115, il dort désormais chez un copain des environs. C’est par une affiche qu’il a connu le dispositif. « Morgane et Thomas m’aident à faire mes démarches », glisse-t-il en sortant de son sac à dos plusieurs chemises cartonnées vertes dans lesquelles il range ses papiers.

Comme tous les jeunes de moins de 25 ans, Nicolas ne peut pas bénéficier du revenu de solidarité active (RSA). Une situation délicate lorsqu’on n’a personne sur qui compter. « On lui a débloqué le fonds d’aide aux jeunes attribué par le département en cas d’urgence, mais c’est maximum 160 € une fois par an. A part ça, il n’a rien », souligne Thomas Delannoy, qui l’épaule maintenant pour qu’il obtienne la garantie « jeunes », offrant une possibilité de formation aux jeunes de 16 à moins de 26 ans en situation de précarité. Nicolas veut être paysagiste : « J’attends, c’est long, mais j’ai bon espoir. » L’éducateur aussi y croit : « Il se débrouille bien. » Et d’ajouter que Nicolas n’a pas hésité, il y a quelques mois, à faire des kilomètres à vélo tous les jours pour aller ramasser des betteraves et se faire un peu d’argent. Des jeunes en galère, le dispositif en voit passer « pas mal ». « Ne serait-ce que pour faire une photo de carte d’identité, il faut débourser 25 € ! », indique Thomas Delannoy.

Isolement géographique

En matière de précarité, les deux professionnels n’en sont pas à leur coup d’essai : lui a travaillé avant au Samu social, et elle dans un centre d’hébergement d’urgence. Surtout, l’expérience leur a montré que les problèmes sont démultipliés là où les gens sont isolés. Certes, des dispositifs d’aide existent : il y a sept services intégrés de l’accueil et de l’orientation (SIAO) dans le département du Nord-Pas-de-Calais. Mais beaucoup d’usagers passent à travers les mailles du filet du fait de l’éloignement géographique. C’est pareil avec les services publics, principalement implantés en ville. « Certains demandeurs d’emploi sont obligés de faire trois quarts d’heure de route pour se rendre à Pôle emploi. Sans permis de conduire ou sans voiture, quand il n’y a aucune ligne de bus, c’est compliqué », souligne l’éducateur.

Ce contexte a présidé à la mise en place de Pamela. Au départ, l’idée était d’expérimenter un Samu social de première urgence en milieu rural. A l’arrivée, si le dispositif fournit des kits santé et des produits de première hygiène et fait du dépannage alimentaire, c’est plutôt « un accueil de jour mobile qui sert de lieu d’écoute et permet de faire un diagnostic social si besoin et d’amorcer un accompagnement », explique Morgane Top. Avec son collègue, ils ont choisi un grand camping-car pour avoir la possibilité d’aménager un petit bureau entre le coin salle à manger-cuisine et l’espace toilette. Pour se faire connaître, ils ont démarché les municipalités, les associations caritatives, les missions locales, les administrations… Bref, tous les partenaires locaux avec lesquels ils sont susceptibles de travailler. Dans l’équipe, qui s’est enrichie depuis un an d’une nouvelle recrue – Benoît Guillez, éducateur spécialisé –, c’est Morgane Top qui va au contact des maires ruraux. « Le travail en partenariat est plus simple quand on rencontre nos interlocuteurs. Ils comprennent mieux ce que l’on fait et pensent plus facilement à faire appel à nous, précise-t-elle. Un jour, un maire a appelé pour nous signaler une femme qui dormait dans sa voiture. Il était inquiet car il faisait froid. La dame a refusé les hébergements d’urgence, mais est quand même venue prendre un café chaud et une douche au camping-car. »

Le problème du logement

10 h 45. Le téléphone de la CESF sonne : « Vous pouvez passer nous voir, on est à Hesdin. » Au bout du fil, une femme de 50 ans, sans enfant et quasiment sans ressources depuis que son compagnon est décédé. Hébergée chez une amie, elle cherche un toit, mais celui qu’un bailleur lui propose est inhabitable. Morgane Top passe cinq minutes à la rassurer en lui promettant de contacter le Fonds de solidarité pour le logement. Des dossiers destinés à cet organisme, elle en fait plusieurs par semaine, pour demander un logement, une caution ou l’avance d’un mois de loyer… « Le logement est un gros problème. Les marchands de sommeil profitent de la misère pour louer des appartements insalubres, et même avec les bailleurs publics on a parfois des mauvaises surprises. Heureusement, il y a aussi des propriétaires très bien qui ne réclament pas les loyers impayés », commente Thomas Delannoy.

11 h 00. Yves arrive à Pamela, catastrophé : « Je me suis fait avoir ! » Assis à la petite table qui lui sert de bureau, Thomas Delannoy ouvre le placard en bois où sont conservés les documents des personnes qu’il accompagne. Yves vient à Pamela depuis seulement deux semaines. Avant, il habitait avec sa femme en Haute-Savoie, où il était conducteur d’engin. Licencié depuis plusieurs années, à 56 ans, il vit dans un mobile home à Maresquel-Ecquemicourt, pas très loin d’Hesdin, seul avec son chien depuis sa séparation. Yves touchera bientôt sa retraite mais, d’ici là, il a décidé de vendre son mobile home : « J’ai trouvé un acquéreur pour 7 500 € mais il s’est rétracté. Le problème, c’est que le propriétaire du camping me réclame 10 % du prix de vente. Je me demande si ce n’est pas une arnaque. » Thomas Delannoy décide d’appeler ledit propriétaire. L’homme est formel : cette pratique est légale. L’éducateur l’informe alors que le mobile home d’Yves va être remis en vente mais que, cette fois, il l’accompagnera. Le téléphone raccroché, il résume la conversation à Yves, assis en face de lui : « Apparemment, tout est règlementaire. Votre erreur est qu’il n’y ait pas de date sur l’acte de vente. Je vais quand même appeler la juriste de la Fiac car, dans le monde des campings, les embrouilles sont fréquentes. Mais la prochaine fois, soyez prudent et prévenez-nous, on fera les choses avec vous. » En attendant, Thomas Delannoy va réactiver sa demande de logement social et lui rappelle l’existence des centres de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa). « J’irai les voir si ce n’est pas trop loin. Ma voiture a 300 000 km au compteur, il faut que je la ménage », prévient Yves.

Ouverture de droits, dossier d’aide sociale, courrier administratif, hébergement d’urgence, aide au maintien dans le logement, orientation vers les structures adaptées… Tel est le quotidien de Pamela, qui fait aussi office de domiciliation pour les personnes sans adresse. « On travaille avec un public qui ne sait pas se servir des mails ou qui n’a pas les moyens de se payer un ordinateur ou un abonnement Internet, sans compter les personnes qui n’ont pas le téléphone », prévient Thomas Delannoy. Une des premières personnes accueillies par le dispositif était un vieux monsieur illettré qui mettait son argent sous son matelas et payait tout en cash. « Il est arrivé avec un énorme dossier de factures, c’était un sacré bazar, se souvient Morgane Top. On a mis en place une curatelle pour l’aider à gérer son argent. Maintenant, il a un compte bancaire avec des prélèvements automatiques, et tout va bien. » Régulièrement, l’équipe a également affaire à des situations kafkaïennes. Ainsi, cette femme à qui la caisse d’allocations familiales (CAF) a exigé le remboursement de son allocation aux adultes handicapés depuis juillet 2017, considérant qu’elle avait fraudé. « La CAF croit qu’elle vit en couple parce qu’elle aide bénévolement un monsieur qui ne peut pas tout faire chez lui. Même le maire de son village a fait un courrier pour certifier qu’elle ne vivait pas maritalement », raconte Morgane Top, qui a sollicité un nouvel avis de la CAF. Autre histoire : celle d’une Anglaise ayant acquis la nationalité française par le mariage. N’ayant pas fait refaire sa carte d’identité, le RSA lui a été refusé alors qu’elle avait fourni une attestation prouvant qu’elle était bien française. L’intervention de Pamela lui a permis de retrouver ses droits, et elle a reçu 5 000 € d’un coup, équivalant au non-perçu depuis un an. « Pour nous remercier, un matin, elle est arrivée avec des viennoiseries. Elle avait juste besoin d’un soutien », constate Morgane Top.

Un vrai besoin

13 h 00. Habituellement, l’équipe apporte sa « gamelle » pour la pause déjeuner. Aujourd’hui, ce sera un sandwich acheté au café-restaurant du coin. « On se le fait, ce jeu ? », lance Morgane Top à Nicolas, toujours là. Celui-ci acquiesce. « A chaque fois qu’il vient, on joue au Crazy Numbers. Le temps du repas, ça lui fait passer un moment », renchérit la conseillère. Cela établit aussi un lien de confiance qui n’a pas été évident au départ, compte tenu des ruptures avec les adultes que l’adolescent a subies. En 2018, sur la centaine de personnes accueillies au camping-car, 56 % avaient entre 26 et 59 ans, des hommes pour la plupart. Patrick, Dominique, Jean… Morgane Top énumère quelques prénoms de personnes que le dispositif a « sorties de la mouise », comme Jean, qui dormait dans sa voiture et qui a désormais un toit. Elle s’étonne aussi d’avoir eu rapidement des demandes : « On se doutait qu’il y avait un réel besoin, mais on ne pensait pas que cela prendrait aussi vite. » Certains demandeurs passent une fois pour être orientés et, ensuite, se débrouillent tout seuls. D’autres ont besoin d’un soutien plus appuyé. D’autres, encore, sont à jour de leurs démarches, comme cette femme qui touche le minimum vieillesse et pour laquelle les deux travailleurs sociaux sont impuissants, sauf à lui conseiller d’aller de temps en temps aux Restos du cœur. Puis il y a ceux qui passent juste pour discuter : « Beaucoup de gens souffrent de solitude », constate Thomas Delannoy.

Des petits pas

14 h 00. Il pleut toujours. Alain, 55 ans, appelle Morgane Top pour la prévenir qu’il ne passera pas comme prévu. Il doit aller visiter un appartement. Si tout va bien, il aura les clés dans trois jours. Pour cet ancien cadre dans un garage de luxe, la descente aux enfers a commencé après un licenciement. Le chômage, une séparation, la boisson, les dettes, les saisies, la déprime, les Restos du cœur… « Moi qui gagnais bien ma vie, je n’avais plus un euro en poche », raconte Alain. En 2016, il se retrouve à dormir dans sa voiture au fond d’un parking d’Hesdin. « Les gendarmes me connaissaient et me laissaient tranquille », dit-il. Des passants – dont un médecin – qui l’avaient repéré lui apportent à manger de temps en temps. Mais, selon lui, s’il est aujourd’hui à deux doigts de s’en sortir, c’est grâce à Pamela : « Thomas et Morgane sont venus me voir à ma voiture, ils m’ont apporté une soupe. Après, j’ai pris une douche dans le camping-car, puis deux par semaine, j’allais aux toilettes. Petit à petit, ils m’ont aidé dans mes papiers. » Les deux professionnels lui ont aussi conseillé un hébergement d’urgence à Berck-sur-Mer, mais le test n’a pas été concluant : « Il fallait se lever à 5 heures du matin et traverser toute la ville pour avoir un café. Il y avait des vols, des bagarres… Ce n’est pas mon monde. Je préférais rester dans ma voiture. » Aujourd’hui, Alain ne boit plus d’alcool et touche une allocation de solidarité de 499 € par mois en attendant sa retraite à 62 ans. Avant de raccrocher, Morgane Top le prévient que trois courriers l’attendent au camping-car. « Ce doit être des relances de PV, je passerai la semaine prochaine », répond-il. Elle le convie également à un atelier nutrition qu’elle organise à Montreuil-sur-Mer. « Cela permet de manger ensemble et de créer du lien, mais aussi de faire un point sur l’alimentation avec des personnes qui n’ont pas forcément de quoi bien se nourrir », affirme Morgane Top, qui anime par ailleurs un atelier pour aider les usagers du dispositif à gérer leur budget.

15 h 00. Morgane Top, qui est venue en voiture ce matin, part pour Guigny, une commune de 160 habitants, où elle a un rendez-vous avec le maire, Michel Colliez, pour présenter le dispositif. « Pamela est un complément aux structures qui existent déjà. On essaie d’être au plus près des besoins des personnes en difficulté », garantit-elle. En face, dans son grand bureau en préfabriqué, le maire écoute, puis explique qu’il est rare d’avoir des personnes à la rue ici : « A la campagne, il y a encore de la solidarité, et beaucoup de gens ont un jardin, ils peuvent se nourrir. » Pour autant, il est conscient qu’il puisse y avoir de la misère et de la détresse cachées dans les petits villages : « Les gens qui souffrent à la campagne n’osent pas le dire, par pudeur et par méfiance. Ils ne veulent pas être stigmatisés. Une ou deux fois, des administrés sont venus me voir, ils étaient au bout du rouleau. Je suis allé au supermarché leur remplir un Caddie. » Il évoque aussi le cas d’un couple qui vivait sur la retraite du mari, jusqu’au jour où celui-ci a quitté sa femme pour une autre, laissant celle-ci sans revenus. Les petits propriétaires, plus nombreux en zone rurale qu’en zone urbaine, ne sont pas à l’abri non plus. « A Pamela, on voit des gens qui possèdent leur maison, mais sont obligés de la vendre parce qu’ils se retrouvent au RSA et n’ont pas les moyens de l’entretenir ou de payer les charges », jure Morgane Top. Et de citer l’exemple de Paul, adulte handicapé, qui a du mal à payer les charges de la maison dont il a hérité.

De retour au camping-car, Thomas Delannoy informe sa collègue que Gwennoline est passée. En rupture familiale, la jeune Calaisienne est suivie par les deux travailleurs sociaux depuis six mois. Ils lui ont ouvert le droit à la CMU et œuvrent avec la mission locale, qui l’a adressée à Pamela pour qu’elle ait accès à la garantie « jeunes », ce qui lui permettrait de se former à la vente. Ils ont aussi déposé pour elle une demande d’hébergement en accueil de nuit. « Elle est inscrite sur liste d’attente, confie l’éducateur. Tout ce qui pouvait être fait l’a été. On amorce le processus et, après, les services sociaux gèrent le dossier. » Il assure faire parfois du « bidouillage », tant les problématiques sont complexes et les solutions pas toujours pérennes. « C’est un métier de cœur. On avance par petits pas, on colmate les brèches, mais le camping-car nous procure une liberté d’action, avoue l’éducateur. On n’est pas bridés et ce n’est pas protocolaire comme dans d’autres associations. Cela nous responsabilise et, grâce à cette marge de manœuvre, on intervient où personne n’est intervenu. »

16 h 00. Avant de partir, Thomas Delannoy note dans un cahier de transmission pour ses collègues les interventions de la journée. Nicolas range les gobelets qui ont servi au café, avant de dire « au revoir ». Soudain, la sonnerie du téléphone de l’éducateur retentit : « J’ai raté le rendez-vous que vous m’aviez pris à la maison de l’autonomie », annonce un homme qui n’arrive plus à payer son loyer depuis qu’il doit financer la maison de retraite de sa femme…

Reportage

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