LES PERSONNES RETENUES DANS LES CENTRES DE RÉTENTION ADMINISTRATIVE (CRA) bénéficient du droit fondamental à la protection de la santé, consacré par la Constitution de 1946, qui implique la sécurité sanitaire, un égal accès aux soins ainsi que leur continuité. Force est de constater, à la lecture de l’avis de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, rendu public le 21 février, que celui-ci n’est pas entièrement respecté dans les 24 CRA visités deux ou trois fois chacun dans le cadre de son enquête.
Elle pointe une « hétérogénéité » dans les pratiques professionnelles au sein des unités médicales présentes dans chaque CRA, qui en devient « préoccupante », car certaines sont « susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux des personnes retenues ». Ainsi, l’examen médical reste aléatoire à l’arrivée dans le centre, l’accès aux équipes médicales dépend de l’autorisation des policiers, des personnes souffrant de troubles psychiques sont placées à l’isolement. La procédure de protection contre l’éloignement, qui peut être invoquée pour motif médical, souffrirait quant à elle d’un manque de transparence : certains médecins ont évoqué des « consignes » pour restreindre les certificats concernant certaines pathologies ou certaines catégories de personnes, notamment les demandeurs d’asile en procédure « Dublin ».
Une situation liée, selon Céline Guyot, responsable du pôle juridique de l’Assfam (Association service social familial migrants)-groupe SOS, au transfert de compétences, en ce qui concerne l’évaluation des demandes de séjour pour raisons médicales, des médecins des agences régionales de santé (ARS) à ceux de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Publié en novembre 2018, le rapport de l’OFII sur le droit au séjour pour raisons médicales révélait ainsi une baisse significative des taux d’avis favorables à la nécessaire continuité des soins en France. Toutes pathologies confondues, les taux sont passés de 77 % en 2014 à 52 % en 2017. S’agissant de la protection contre l’éloignement du territoire, seules 19 % des demandes sont acceptées en rétention administrative.
« Avant la loi [du 7 mars 2016], dès qu’on avertissait qu’on était sur des pathologies lourdes, le service médical posait un diagnostic et celui-ci était assez suivi par les médecins des ARS : des incompatibilités avec la rétention étaient souvent prononcées et respectées par les préfectures, se souvient Céline Guyot. […] Avec le passage à l’OFII, il n’y a aujourd’hui pratiquement plus de libérations pour traitement médical et les avis du médecin du centre de rétention sur les incompatibilités avec la rétention ne sont plus suivis par les préfectures. »
Ce qui a entraîné, avec des flux de personnes placées toujours plus tendus, l’augmentation des personnes souffrant de pathologies lourdes (VIH, tuberculose, hépatites), ou de pathologies psychiatriques en CRA. « Lorsque les cas sont particulièrement problématiques, nous montons des dossiers, mais ils n’aboutissent pas toujours, regrette Céline Guyot. […] Il arrive que les juges ne suivent pas notre argumentaire parce qu’on n’aura pas réuni tous les éléments. Ils suivent davantage les avis de l’OFII ; or ceux-ci mentionnent rarement le fait que la pathologie ne peut pas être soignée dans le pays d’origine. »
« Il y a un maintien en rétention de personnes pour lesquelles un autre type de solution pourrait être possible, comme les assignations à résidence ou les hospitalisations », poursuit Céline Guyot.
Or l’hospitalisation d’office en psychiatrie d’une personne maintenue sous le régime de la rétention entraîne d’autres difficultés, notamment celle de l’absence d’accès aux droits : « Certains droits sont accessibles en CRA et prévus par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le droit d’accès à une association, à un avocat, de contacter le consulat. Faire valoir ces droits est impossible quand on est dans hôpital psychiatrique », souligne Paul Chiron, intervenant juridique en rétention, au CRA de Rennes.
Un groupe de travail interministériel composé de professionnels exerçant dans les CRA et des deux ministères est déjà à l’œuvre sur ce dossier. En place depuis 2012, il n’a finalement produit aucune proposition de texte en sept ans. Invités à réagir à l’avis du CGLPL, les ministères de la Santé et de l’Intérieur ont assuré que ces travaux seront relancés au premier trimestre 2019, afin notamment d’adapter la réglementation qui prévaut dans les CRA aux évolutions législatives récentes (augmentation des places, allongement de la durée de rétention). « Une attention particulière sera portée au développement d’une offre de soins en santé mentale in situ ou en lien avec les établissements de santé spécialisés situés à proximité des CRA », a fait savoir la ministre de la Santé. Il s’agira également de réfléchir à la question du dépistage de certaines pathologies, aux articulations entre les différents services de l’Etat et à la clarification du rôle du médecin des unités médicales des CRA par rapport à l’OFII.