C’est malheureusement la confirmation de ce que nous dénonçons depuis de nombreuses années : les conditions de vie dans les centres de rétention administrative (CRA) ne sont pas conformes aux droits fondamentaux des personnes retenues. Il semble qu’il y ait eu de nombreuses tentatives de suicide ces derniers temps après les grèves de la faim, mais on n’a pas encore pu le vérifier. Je suis d’autant plus inquiète de l’allongement de la durée de rétention à 90 jours en vigueur depuis le 1er janvier. Les difficultés que nous avons déjà observées vont se multiplier et être aggravées par l’augmentation de la durée de rétention. Le problème se pose moins en termes de sur-occupation, comme on peut en voir dans les prisons, qu’en termes de locaux dégradés, inconfortables, avec de la nourriture dont souvent les retenus se plaignent alors même qu’il s’agit de personnes qui n’ont pas commis d’infraction. Ils sont en séjour irrégulier mais ce ne sont pas des délinquants. Or, ils vivent dans un lieu qui ressemble beaucoup à un espace carcéral : des visites difficiles à avoir, peu d’activités, peu d’accès à la santé. Aucune activité n’est prévue pour leur faire passer le temps, ou même pour prévoir ce qui va être fait à leur sortie.
Quand la rétention administrative a été créée, elle était limitée à sept jours. D’augmentation en augmentation, on est passé à 90 jours. Et les choses ne sont pas les mêmes quand on reste dans un endroit une semaine ou 90 jours. Les responsables de centre de rétention sont eux-mêmes inquiets – on l’a entendu lors de visites en 2018 – par une durée pour laquelle les centres n’ont pas été conçus. Il semble que depuis le début du mois de janvier, les retenus sont également très inquiets à l’idée qu’ils puissent rester 90 jours dans ces lieux où il est déjà difficile de rester plus d’une ou deux semaines. Les locaux ne sont d’ailleurs pas du tout équipés pour les personnes âgées, handicapées, femmes enceintes. Quant à l’accès aux soins, il est loin d’être effectif. Les unités médicales ne sont pas assez bien équipées, elles ne règlent les problèmes de santé que dans l’urgence, et pas dans la durée. Il n’y a aucun repérage, ni aucune prise en charge pour les troubles psychiatriques. Il n’y a pas de psychiatres, ni de psychologues dans ces centres, sauf au Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne). Et il n’y a pas de confidentialité non plus dans la façon dont les soins sont prodigués : les policiers sont souvent présents.
Si les personnes restent en moyenne 10 jours en centre de rétention, il y en a quand même qui font les 45 jours et ne sont pas ramenés dans leur pays pour autant. Tous les centres le constatent : si un retenu n’a pas été renvoyé dans son pays d’origine passé les 10 à 12 premiers jours, c’est parce que le pays d’origine ne veut pas le reconnaître comme étant l’un de ses ressortissants. Le gouvernement actuel pense qu’en retenant les personnes plus longtemps, il pourra y avoir des discussions avec les pays d’origine dans le cadre de relations bilatérales, pour qu’ils acceptent davantage de reconnaître ces personnes comme leurs ressortissants. Mais s’ils ne les reconnaissent pas au bout de 45 jours, ils ne le feront pas plus au bout de 90 jours. Il ne sert à rien de prolonger la durée de rétention. D’autres mesures comme l’assignation à résidence pourraient être envisagées, quand les juges estiment qu’il n’y a pas de signes de volonté de fuite. Dans les faits, peu d’alternatives sont prononcées. A partir du moment où la durée de rétention est doublée, il est certain qu’il va falloir une amélioration des conditions d’accueil. Pour l’heure, elles ne sont pas satisfaisantes. Il faudrait également penser à améliorer la formation des agents de police qui interviennent en CRA. Lors de nos visites, les fonctionnaires étaient plus ou moins à l’écoute. Mais nous n’avons en tout cas pas constaté de violences. Les personnels n’ont souvent pas fait le choix d’être en centre de rétention et sont mal à l’aise avec cette prise de poste. Il faut leur faire comprendre qui sont ces personnes, et qu’elles sont vulnérables, souvent en déshérence sociale et sanitaire.