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La tension monte

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Tentatives de suicide, automutilations, grèves de la faim, émeutes… Depuis quelques mois, les incidents et les mouvements de contestation se multiplient dans les centres de rétention. Et le passage à 90 jours pour la durée maximale de la rétention risque encore d’aggraver les choses.

« SI ON S’EST MIS EN GRÊVE DE LA FAIM AUJOURD’HUI c’est aussi pour dénoncer tout ce qui se passe dans cette prison. » Le communiqué des retenus du centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes, relayé le 4 janvier 2019 par plusieurs collectifs, fait état d’une grève de la faim suivie par une vingtaine de retenus. Par leur mouvement, ils espèrent mettre en lumière leurs conditions de vie, et font état de violences policières, de vols et d’humiliations. Ils seront rejoints par les retenus du centre du Mesnil-Amelot, ceux d’Oissel et de Sète. Si des grèves de la faim ont éclaté de manière sporadique dans ces lieux de privation de liberté, elles se sont rarement propagées à plusieurs centres en même temps, donnant une impression de coordination.

A la Cimade, le diagnostic est simple. La situation est le résultat d’une politique d’enfermement « massive ». « Le nombre de personnes enfermées dans les centres de rétention a beaucoup augmenté ces derniers mois, les taux d’occupation des CRA sont élevés comme on l’a rarement vu, souligne David Rohi, responsable national rétention à la Cimade. Dans les centres où nous intervenons, on note des augmentations de placements de 20 à 40 % par rapport à l’année 2015. »

Au centre de Vincennes, qui peut accueillir jusqu’à 220 retenus, le taux d’occupation atteint régulièrement les 99 %. Ces derniers mois, l’Assfam-groupe SOS, association d’aide aux étrangers qui intervient dans le CRA, relève une augmentation du nombre d’allégations de violences policières qui ont mené à des saisines du procureur. Une dizaine d’enquêtes ont été diligentées, dont certaines ont été classées sans suite. D’autres sont encore en cours. « C’est un centre de rétention où il n’y a pratiquement jamais de places vacantes, une personne qui n’occupe plus sa chambre parce qu’elle a été éloignée ou libérée est immédiatement remplacée par une autre qui vient d’être interpellée », explique Céline Guyot, responsable du pôle juridique d’Assfam-groupe SOS.

Pour les deux associations, les tensions sont vives, non seulement en raison du nombre de retenus placés, de la promiscuité, mais aussi en raison de la perspective de passer trois mois en rétention, quand la durée maximale était de 45 jours avant janvier 2019.

Un taux d’encadrement insuffisant

« Les incidents ou grèves de la faim qui se sont produits depuis le début de l’année sont restés limités et ne peuvent être imputés à l’augmentation de la durée maximale de rétention, considère de son côté le ministère de l’Intérieur. […] Pour 4 582 placements en janvier 2019, 958 événements ont été enregistrés contre 1 086 en janvier 2018 pour 3 673 placements. »

Un avis partagé par Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile, qui estime que le recul n’est pas encore suffisant pour analyser les effets de la loi. « Les difficultés sont inhérentes à ce type de lieu : on y retrouve des personnes qui relèvent de situations extrêmement différentes, des personnes qui présentent des signes de décompensation, des troubles psychiatriques… Cela n’a jamais été un lieu de très grande tranquillité », estime-t-il, ajoutant néanmoins que ces tensions se sont cristallisées ces derniers mois. Selon lui, l’accompagnement vers l’accès aux droits fait dans ces centres est devenu de plus en plus complexe avec l’arrivée de ces profils différents, d’un nombre toujours plus important de personnes placées, alors que les taux d’encadrement restent les mêmes.

La Cimade comme l’Assfam, ont assisté ces derniers temps à l’augmentation des personnes présentant des troubles psychiatriques, dès leur arrivée, ou suite à leur enfermement, alors que seul le centre de rétention du Mesnil-Amelot compte dans ses équipes médicales un psychologue et un psychiatre. « Ces personnes sont de plus en plus enfermées en isolement dans les CRA, car c’est comme cela que la police aux frontières (PAF) gère les conséquences de cette politique avec des profils qui n’ont rien à faire dans les centres de rétention, regrette David Rohi. Ces personnes-là sont exposées du fait de leur enfermement, les autres personnes enfermées avec elles sont exposées à des dangers, et tous les intervenants (associations, policiers, personnels médicaux) sont confrontés à un climat de tensions et à des risques psychosociaux qu’on n’a jamais observés. »

Un climat anxiogène

Surtout, tous soulignent l’atmosphère anxiogène qui règne dans les CRA, plus difficile à supporter que l’univers carcéral. « En prison, le temps est encadré, et vous savez quand vous sortez », souligne Céline Guyot. « Ce qui revient souvent dans nos échanges, ce sont leurs angoisses, explique Paul Chiron, intervenant juridique en rétention pour la Cimade, au CRA de Rennes. La très grande majorité des retenus ne sont pas avertis de la date de leurs vols. Le fait de savoir que demain matin une brigade de policiers va peut-être passer vous expulser, cela met les nerfs à rude épreuve. Quand ils entendent du bruit, ils ne savent pas si c’est pour eux ou pour un autre… Cette angoisse use les personnes d’autant qu’il n’y a rien à faire en centre de rétention, autre que réfléchir à sa possible expulsion. » De fait, des tentatives de suicides et des actes d’automutilation ont été rapportés dans plusieurs des 24 centres de rétention que compte la France.

Face à cette situation, et en vue de préparer l’augmentation de la durée maximale de rétention, certains centres de rétention tentent de s’organiser et de faire venir des associations. Contacté pour tenir des ateliers « socio-culturels », le Genepi, association étudiante qui intervient en prison, a marqué publiquement son refus d’intervenir en CRA, arguant qu’ils ne pouvaient œuvrer pour la réinsertion de personnes susceptibles d’être expulsées de force. Au CRA de Rennes, des activités seront bientôt mises en place par la PAF.

« Les autorités françaises ont initié un projet destiné à améliorer les équipements de loisirs et de créer des activités de loisirs dans tous les centres de rétention : installation de city stades, d’agrès, de consoles de jeux, abonnements à des chaînes de sport, indique le ministère de l’Intérieur. Les CRA accueillant des familles accompagnées d’enfants ont également été invités à renouveler leurs équipements de puériculture et à les enrichir avec des jeux pratiqués en intérieur ainsi que des installations extérieures (toboggans, balançoires). » En 2019, 5,3 millions d’euros seront investis dans les travaux de rénovation des CRA, et 1,7 million d’euros dans les activités récréatives. De quoi faire baisser la tension dans les centres de rétention ? Rien n’est moins sûr. « L’allongement de la durée de rétention vise à exercer une pression sur les personnes enfermées pour qu’elles craquent, pour celles qui ne donnent pas leur identité par exemple, indique David Rohi. Mais à quel prix ? L’administration fera peut-être quelques expulsions de plus, on n’en est même pas sûr. On sait que les ressorts sont ailleurs : ils sont du côté des négociations bilatérales avec les pays de destination qui délivrent ou non des laissez-passer consulaires, ou de davantage de régularisations en amont. »

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