Recevoir la newsletter

D’une chambre à l’autre

Article réservé aux abonnés

Elle s’appelle Elina.

Tête penchée, yeux baissés, elle semble traverser la vie à petits pas. Doucement, en silence. Elle est un peu étrange. Elle ne parle pas beaucoup et semble avoir peur de tout. Tout le contraire de moi, incorrigible bavard et cascadeur invétéré.

Moi, je la regarde, je la contemple, je crois que je l’aime.

Elina, c’est mon double et mon contraire. Je suis trop seul, elle est trop entourée. Je suis désoeuvré, elle est débordée. J’aimerais voyager, elle aimerait s’installer.

Elina vient de loin. Elle a déjà vu et vécu trop de choses. Trop de morts, trop de deuils.

Le monde d’Elina était vaste. Un petit village, au pied de la montagne, en Tchétchénie. De sa fenêtre, elle voyait la vallée et, au loin, le mont Teboulo. Maintenant, elle ne voit que la grisaille d’une zone commerciale quelconque, loin de tout, et surtout tellement loin de chez elle.

Sa maison n’était pas très grande. Mais elle était accueillante. Il y avait toujours une place pour l’invité de passage. Il y avait des rires et de l’amour. Maintenant, c’est à peine s’il y a assez de place pour s’asseoir quelque part. Une chambre minuscule. Deux lits collés l’un contre l’autre.

Elle dort avec sa mère et sa petite soeur. A côté d’elles, son petit frère, Khasan. Le père, lui, n’est pas là. Il est resté en Tchétchénie. Il ne viendra pas. Les morts ne reviennent pas.

Entre la petite maison au pied du mont Teboulo et l’hôtel, il y a eu la guerre, la mort et l’exil.

Et maintenant, elle est là. Au milieu de nulle part.

Elle s’occupe de tout, Elina. Elle aide sa mère à faire les démarches. Elle traduit, téléphone, écrit. Elle aide son petit frère à faire ses devoirs. Elle explique, corrige, lit. Elle s’occupe de la plus petite. Elle cajole, berce, console. Tout le poids du monde sur ses épaules toutes frêles.

Et elle, elle, Elina… ne regarde plus par la fenêtre depuis longtemps. De toute façon, rien n’est aussi beau que ses montagnes. Rien n’est aussi doux que la langue de son pays.

Elle, Elina, elle s’est habituée à l’exil et aux fenêtres sans horizon. D’un hôtel à l’autre, d’une chambre à l’autre, tout est pareil finalement. Les douches minuscules, les toilettes qui fuient, les lits qui grincent. Les plats tout préparés qu’il faut réchauffer au micro-ondes, parce qu’on n’a pas accès à la cuisine. Les valises qu’on ne défait plus, parce que ça ne sert à rien. Tôt ou tard, il faudra repartir, ailleurs, plus loin. De toute façon, il n’y a jamais assez de place dans les placards. Les interdits. Pas le droit de parler, de rire, de chanter, de jouer, de courir… A peine le droit de vivre, et encore, à condition de ne pas faire de bruit.

Seule. Parce qu’à l’hôtel, ils donnent le code wifi aux touristes mais pas à eux. Eux, les étrangers, les réfugiés, les migrants. Eux, qui ne font que passer, qui ne sont pas là pour visiter le pays mais pour y vivre. Eux, qui s’entassent dans les petites chambres, qui se serrent dans les petits lits. Eux, qui vivent au milieu de tant de monde, et qui sont si loin du leur. Sans le fameux sésame du wifi, comment rester en contact avec la famille, comment garder ce lien ténu, fragile, et pourtant indispensable, avec ceux qui ont été des voisins, des amis ?

Elle s’est habituée à tout ça, Elina. Pas le choix. Les années ont passé, le souvenir du mont Teboulo s’estompe peu à peu, les visages de ses grands-parents sont devenus flous… Il lui reste une petite boîte en métal, dans laquelle elle a soigneusement conservé quelques photos, des petits cailloux, et une mèche de cheveux de son père.

Son errance n’est pas la mienne, mais finalement, on se ressemble. D’une chambre à l’autre, d’un horizon à l’autre, moi, Floyd, elle, Elina, notre rêve est le même : vivre, enfin !

La minute de Flo

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur