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La frontière franco-italienne, « zone de non-droit »

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L’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) a rendu public, le 21 février, son rapport basé sur deux ans d’observation à la frontière franco-italienne. Entraves au droit d’asile, non-prise en charge des mineurs et autres pratiques illégales y sont épinglées.

« L’ESPACE SCHENGEN EST MORT À CET ENDROIT. Les traités internationaux que la France a signés aussi. C’est une zone de non-droit. Et c’est systématique, quotidien, à la vue de tout le monde. » Loïc Le Dall, membre de l’Anafé à Nice, n’a pas de mots trop virulents pour qualifier la politique migratoire appliquée à la frontière franco-italienne. Si cette frontière s’étale sur plus de 500 kilomètres, « de Menton à Vintimille […] les constats sont les mêmes ». Ainsi est introduit le rapport de l’Anafé présenté le 21 février. Basé sur deux années d’observation (2017-2018), le rapport est intitulé « Persona non grata, Conséquences des politiques sécuritaires et migratoires à la frontière franco-italienne ». Il décrit les pratiques illégales et les violations des droits des étrangers dans la région frontalière, ainsi que le travail de solidarité inédit qui s’y est peu à peu construit.

La fermeture de la frontière a été mise en place fin 2015, d’abord à l’occasion de la COP 21, puis au motif de la lutte antiterroriste à la suite des attentats du 13 novembre. Depuis, le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures y est sans cesse renouvelé. « L’objectif principal est de faire obstacle aux personnes migrantes », estime Laure Palun, co-directrice de l’Anafé. Dans un avis daté de juin 2018, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) se déclare « profondément choquée par les violations des droits des personnes migrantes constatées et par les pratiques alarmantes observées sur ces deux zones frontalières où la République bafoue les droits fondamentaux, renonce au principe d’humanité et se rend même complice de parcours mortels. » Des mots dont Ophélie Marrel, conseillère juridique à la CNCDH, relève qu’ils ne sont pas dans le « vocabulaire habituel » de l’institution.

L’Anafé décrit des entraves graves au droit d’asile. « L’irrespect des droits des personnes étrangères s’est instauré comme mode de fonctionnement », mentionne le rapport. Sont recensés des refoulements illégaux « à la chaîne » par la police aux frontières (PAF), ou encore la création de « nasses dans les zones limitrophes au sein desquelles les personnes exilées se retrouvent retenues ». S’agissant des contrôles et des refus d’entrée, ceux-ci prennent la forme de « procédures expéditives notifiées en quelques minutes seulement, sans information sur les droits et sans interprète ». En violation, donc, des dispositions légales ; et sans possibilité laissée aux personnes de déposer leur demande d’asile.

Ces refus d’entrée et refoulements en Italie n’empêchent pourtant pas les exilés de retenter la traversée, selon Loïc Le Dall : « On voit des personnes qui essaient de passer 15, 20 fois. » Le jeune homme constate qu’une fois les obstacles administratifs et les entraves de la PAF surmontés, les personnes migrantes obtiennent souvent leur statut de réfugié, « passant d’“ennemis d’Etat” à “protégés de la nation” ».

Mineurs non pris en charge

Une autre problématique importante dans la région est celle des lieux privatifs de liberté non reconnus comme tels par l’administration, mais où les personnes restent de fait retenues le temps de leur notifier des refus d’entrée. Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère, raconte une visite dans des locaux de la PAF à Menton, au cours de laquelle la police aurait nié leur caractère privatif de liberté. « Or, si, ce sont bien des lieux de privation de liberté ! Et dans des conditions indignes : des grillages, une cour sans même une chaise, une pièce qui ouvre sur des sanitaires où sont mélangés majeurs et mineurs… »

Les mineurs isolés font l’objet d’une attention toute particulière portée par les associations et les magistrats. En tant qu’enfants en danger, ils ne peuvent faire l’objet de mesure d’éloignement et relèvent de la protection de l’enfance. Pourtant, l’obligation légale de leur prise en charge n’est pas respectée. Preuve en est dans les documents annexes au rapport de l’Anafé, où figurent les photographies d’un document de refus d’entrée. On y constate la grossière modification au stylo par la police aux frontières de la date de naissance d’un jeune Erythréen, le faisant basculer de mineur de 16 ans à majeur de 18 ans. Un exemple parmi d’autres de falsification de documents, en toute illégalité.

De manière générale, aucune considération des vulnérabilités exigeant une prise en charge ne semble prise en compte dans la zone frontalière. Il en va ainsi des blessés, comme cette personne « avec une jambe cassée » refoulée avec quatre autres en Italie, le 17 mars 2018.

De même, Ophélie Marrel rapporte que la CNCDH a « constaté que les policiers ne sont pas du tout formés pour reconnaître des situations de traite des êtres humains » ; or les frontières sont un terreau privilégié pour ce genre de trafics.

« Terre d’expérimentation »

Cette région a toujours cristallisé, voire devancé, les mesures les plus restrictives en termes de politique migratoire. Pour Agnès Antoine, membre du collectif Tous Migrants, il s’agit d’une « terre d’expérimentation pour le ministère ». « Avant toute démarche, les mineurs isolés, dans les Hautes-Alpes, devaient passer par la case commissariat, avec prise d’empreintes. Et ce, avant même l’instauration d’un fichage des mineurs », explique-t-elle. Depuis, un fichier national biométrique des mineurs non accompagnés (MNA) a été instauré par la loi « asile-immigration » de 2018. Même constat pour le jour franc, un délai de 24 heures auquel avaient droit les personnes qui se voient notifier un refus d’entrée sur le territoire. Comme le signale le rapport de l’Anafé, de nombreux formulaires portaient la case pré-cochée par la PAF « je veux repartir le plus rapidement possible », ne laissant pas le droit aux personnes de bénéficier des 24 heures de délai. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté a chiffré ce non-respect du jour franc : le 27 août 2017, sur 138 refus d’entrée notifiés, 128 étaient ainsi pré-cochés. Or, la loi « asile-immigration » de 2018 est venue entériner cette pratique en la légalisant par son article 18. Depuis son entrée en vigueur au 1er janvier, le droit au jour franc est supprimé « aux frontières terrestres de la France » de même qu’à Mayotte.

Face aux violations des droits fondamentaux, les associations et les citoyens organisent des formes de résistance en portant assistance aux migrants qui tentent la traversée de la montagne. Agnès Antoine commence la lecture du texte d’un maraudeur solidaire. « Notre frontière tue. […] Cette nuit, une ombre est morte. » Dans la nuit du 6 au 7 février, un jeune Togolais de 28 ans, Dermane Tamimou, est décédé d’hypothermie. L’auteur, membre d’une fédération sportive et rodé à la montagne, ressasse l’échec de son équipe à venir en aide aux exilés ce soir-là. Il décrit « leurs pieds glacés, mains froides, et leur souffle court ». Selon lui, les jeunes fugitifs ne se sont pas laissé rattraper par « peur ». Dans l’obscurité, les citoyens solidaires sont souvent pris pour des « officiers de police ».

Malgré les poursuites judiciaires engagées contre certains bénévoles solidaires comme Martine Landry, la zone reste le haut lieu du « travail de solidarité avec les citoyens, les associations, les institutions ou élus qui se sont déplacés », considère Emilie Pesselier, chargée de mission pour l’Anafé dans la région. « Ce rapport n’aurait pas pu exister sans tout le travail inter-associatif qui a été mené à la frontière franco-italienne. » Des actions de co-observation ont été organisées, pour aboutir à des procédures judiciaires. Le parquet de Nice a fini par ouvrir début février une enquête préliminaire visant de possibles infractions de la PAF envers les mineurs isolés à Menton.

Cesser les violations de droits

Le rapport s’achève sur une série de recommandations, que synthétise Laure Palun lors de la présentation du rapport : « Il faut que les violations des droits aux frontières cessent ; qu’il soit mis fin aux privations de liberté illégales et inhumaines ; qu’il soit mis fin véritablement au délit de solidarité. » L’Anafé demande également à l’administration de ne plus entraver l’enregistrement des demandes d’asile, de respecter le principe de non-refoulement, et de prendre en charge les mineurs isolés étrangers.

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