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De retour en protection de l’enfance : premiers constats…

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Inspecteur ASE chargé de la protection de l’enfance dans un département de Bretagne, Guy Le Calonnec s’inquiète de l’état du secteur, entre grande souffrance et folie…

« Cadre responsable de la protection de l’Enfance, j’ai suivi attentivement la période qui a précédé la loi du 5 mars 2007, tant dans ma profession que dans mes activités annexes et militantes. Une mobilité géographique dans le Morbihan en 2011 m’a éloigné durant cinq années de cette politique publique. J’ai retrouvé cette fonction en septembre 2016 dans un autre département breton, à la suite d’une nouvelle mutation. Si mes reflexes me sont revenus très vite, j’ai rapidement perçu que les tensions inhérentes à cette mission sensible n’avaient pas disparu. Bien au contraire ! Découvrant une activité en milieu rural, soit-disant plus calme, j’ai constaté que le contexte social de plus en plus dégradé perturbe d’autant plus gravement les familles vulnérables.

L’augmentation des placements

Ce département a parié sur une organisation territorialisée des missions de l’aide sociale à l’enfance (ASE), intégrées à l’“action sociale” départementale exercée en proximité des familles pour prévenir les difficultés parentales et les maltraitances. Malgré ce choix, il reste confronté à cette augmentation des placements d’enfants, dans un climat permanent de tension. Dans un premier temps, j’ai la nette impression que la prévention, pourtant instituée par la loi de 2007, est en échec. Je constate aussi que les professionnels se sentent beaucoup plus débordés et expriment une souffrance au travail de plus en plus massive. Ils ne portent plus l’“éthique” de la prévention, qui consiste à trouver des solutions alternatives au placement d’un enfant. La violence des urgences prend la place sur la pensée et le signalement avec placement devient le reflexe du “sauve-qui-peut”.

De fait, le nombre de mesures judiciaires non exercées est en augmentation. Les juges crient au scandale et les inspecteurs de l’ASE finissent par se soumettre à cette réalité avec fatalisme… Dans ce quotidien traumatisant pour tous les acteurs (parents, mineurs, professionnels et partenaires), je me demande qui va le plus mal aujourd’hui ? Les enfants ou les institutions censées intervenir pour leur apporter du soin lorsque cela est nécessaire ?

Des partenaires défaillants

La crise de la pédopsychiatrie s’est aggravée et l’arrêt des prises en charge des situations complexes est programmé, laissant place à une grande solitude.

Je me souviens de l’interpellation insistante d’une éducatrice référente d’un jeune souffrant de graves troubles du comportement. Elle souhaitait que j’intervienne auprès de l’agence régionale de santé, un peu comme Zorro, pour empêcher la sortie d’hôpital de ce jeune. Me sentant plutôt comparable à Don Quichotte, si j’avais eu ce “pouvoir”, je n’aurais pas hésité une seconde.

En y regardant de plus près, depuis le début de cette mesure, l’ASE était considérée par le milieu psychiatrique comme un hébergement. Dans cette situation, le juge des enfants n’avait jamais rencontré le jeune, alors âgé de 12 ans, et l’avait confié à la garde du département à la suite d’un signalement de l’hôpital, qui n’arrivait pas à “soigner” cette violence exprimée dans le milieu familial. Il a fallu, dans ce contexte de crise, que je rappelle à ce partenaire que l’ASE a aussi pour mission de formuler un projet pour l’enfant (PPE), lequel doit, entre autres, garantir sa protection, son éducation, ses droits et les soins dont il a besoin. J’ai cru rêver… mais, malheureusement, ce type de situation n’est pas isolé, et mes collègues cadres restent confrontés à ce partenariat difficile avec la pédopsychiatrie.

De même, le secteur médico-social, spécialisé dans la prise en charge du handicap, répond de moins en moins à sa mission. Dans un contexte de manque récurrent de places, les déscolarisations augmentent, les familles s’impatientent, les conflits intrafamiliaux éclatent et le recours au placement à l’ASE devient l’alternative à une situation de danger provoquée par la défaillance des institutions…

Les gendarmes s’y mettent ! Interpellé par la mère d’un adolescent de 16 ans qui refusait son placement, le capitaine de gendarmerie ne comprenait pas que l’éducateur ASE ne puisse pas “forcer” ce jeune à accepter une mesure judiciaire décidée par un juge…

Que signifie ce “glissement de compétences”, qui donne l’impression d’un système fonctionnant à l’envers ? La réponse est certainement plus complexe que la question, mais elle devrait éclairer la crise, non seulement du manque de moyens, mais aussi des valeurs éducatives, que les institutions publiques semblent ne plus pouvoir porter en se renvoyant la balle de façon permanente.

Le nombre de placements augmente, de même que la pénurie de solutions d’accueil. Le risque de la course à la place expose les départements, de plus en plus contraints par la réduction des dotations d’Etat, à une gestion hasardeuse qui néglige les besoins des enfants et des adolescents fragiles. L’exemple de l’accueil en hôtel sans suivi éducatif en est un exemple criant ! La faiblesse du contrôle sur le suivi du secteur habilité est une autre réalité, qui risque de coûter plus cher à la collectivité sans effet attendu sur le bien-être des enfants.

Ce qu’il reste du suivi des jeunes majeurs, de plus en plus isolés et “virés” du service à leurs 18 ans, parce qu’ils ne se “plient” pas à un règlement ou ne peuvent se projeter dans un contrat, est aussi une signe évident de ce gâchis humain(1). Prenons connaissance de l’avis du Conseil économique, social et environnemental du 13 juin dernier, qui témoigne cruellement que l’argent dépensé tout au long de l’accueil d’un mineur à l’ASE se termine par un fiasco économique et social pour le jeune, faute de soutien de la collectivité et de la société tout entière(2).

La prévention également en crise

Le milieu rural est touché par la pénurie des réponses. Ce cadre de vie crée l’isolement des parents et des familles d’accueil. Les institutions sont relocalisées en centre-ville, ce qui provoque la désertification des services publics de proximité.

Le premier facteur de danger ne semble plus être les carences éducatives mais les conflits de couples. Les séparations sont de plus en plus pathogènes et violentes pour le développement des enfants… et les travailleurs sociaux semblent ne plus avoir qu’une seule réponse : le signalement judiciaire réclamant le placement des enfants. Ainsi, une forte impression d’incapacité d’agir en prévention se dégage des pratiques. L’urgence devient la règle plutôt que l’exception, et la mission d’un cadre de l’ASE positionné en proximité devient impossible. Il essaie en vain de “boucher l’entonnoir ASE” dans lequel tout le monde s’engouffre, faute de relais et de partenariats de proximité, qui manquent cruellement.

La loi du 5 mars 2007 avait l’ambition de “légaliser” un certain nombre de nouvelles mesures testées par plusieurs départements (accompagnement à domicile renforcé, placement à domicile permettant un aller-retour entre le lieu d’accueil et la famille, etc.). Ces mesures dites “innovantes” avaient l’ambition de mieux répondre aux difficultés parentales et devaient représenter une alternative au placement. Dix ans après la loi, ces nouvelles interventions ne se sont pas développées de manière homogène sur le territoire national. Le paysage des prestations est beaucoup plus varié mais en même temps plus complexe pour les professionnels et les familles.

De plus, à la crise du manque de places d’accueil s’ajoute celle d’une liste d’attente qui s’allonge du côté des interventions éducatives censées prévenir de manière adaptée la séparation des enfants de leur environnement familial.

L’“effet balancier” de l’évolution du dispositif, que les “anciens” de l’ASE connaissent bien, provoque aujourd’hui un mouvement inverse. Plusieurs départements réfléchissent à la création d’une “mesure unique” qui viendrait remplacer toutes celles existant. Si le besoin de simplifier le paysage est nécessaire, il est peu vraisemblable qu’une telle mesure soit pour autant “magique”.

Pour conclure

Le temps ne m’a pas fait changer d’avis : le mal doit être recherché dans l’“organisation désorganisée” de l’ASE, variable d’un département à l’autre, ce qui provoque un manque de lisibilité du dispositif et le fait tomber sous l’influence des cultures locales(3).

En 2005, avec Jean-Pierre Rosenczveig, qui présidait DEI France(4), nous avions invité le ministre Philippe Bas pour nous présenter un projet de loi en préparation qui devait réformer la protection de l’enfance, dans le cadre d’une journée d’étude déjà intitulée à l’époque : « La protection de l’enfance est-elle en danger ? » Une question prémonitoire ou non ? A l’exposé du sujet, quelques-uns d’entre nous avions soulevé la question du “comment” envisager cette prévention annoncée… Prévenir le danger par le renforcement de l’accompagnement des enfants dans leur famille ? Ou considérer que la prévention devait “dépister” et “punir plus vite” des parents maltraitants ?

Indéniablement, le dispositif a évolué vers cette seconde conception “sécuritaire” de la prévention. Paradoxalement, ce dispositif, censé mieux protéger les enfants de leurs “bourreaux”, ne les protège pas plus aujourd’hui qu’hier. Je partage que “le dispositif de protection de l’enfance est en difficulté”. Pire, je prétends aujourd’hui que, sur le terrain, ce dispositif est en grande souffrance et qu’il est en train de devenir fou ! »

Contact : guy.le-calonnec@wanadoo.fr

Notes

(1) « Vivre la liberté ou voyager autour de sa cage ? », G. Le Calonnec, Journal du droit des jeunes n° 252 (fév. 2006).

(2) bit.ly/2Bxb6WS.

(3) « Quels sont les principaux dangers auxquels les conditions de l’éducation des enfants sont exposées ? », G. Le Calonnec, Journal du droit des jeunes n° 251 (janv. 2006).

(4) Branche de l’ONG Défense des enfants International qui veille à l’application par la France de ses engagements internationaux au titre de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).

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