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Sortie de crise

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Le management de transition est un marché en croissance continue. Les organismes gestionnaires du secteur social et médico-social y ont recours – avec moins de tabous – pour résoudre des situations de crises managériales ou économiques, franchir un cap difficile ou conduire les changements nécessaires.

APPARU EN FRANCE DANS LES ANNÉES 1990, le management de transition a gagné peu à peu ses galons dans le secteur social et médico-social. Redressement de situations critiques, gestion de crise (managériale, économique, de gouvernance…), intérim de direction, le management de transition permet de mobiliser rapidement des ressources managériales qualifiées et expérimentées, pour une durée déterminée. « Voici une douzaine d’années, il y avait très souvent des problématiques de successions. On avait des directeurs et des directrices tellement identifiés à l’institution que leur succession était impossible. Il fallait quelqu’un qui fasse transition entre l’“ancien” et le “nouveau monde”, pour que le nouveau directeur puisse prendre sa place », explique Pierre Salomon, consultant chez DirecTransition, cabinet qui accompagne des établissements privés ou publics dans le social, le médico-social et le sanitaire. « Ces situations existent encore aujourd’hui, mais sont toutefois devenues plus rares », précise-t-il.

Consultant associé et coordinateur de réseau d’experts du secteur sanitaire et médico-social chez Audélia Conseil, Vincent Renault cite l’exemple d’une grosse association membre de l’Unapei (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis) dont le directeur général emblématique est parti à la retraite après vingt-cinq années de bons et loyaux services. « Succéder à ce grand personnage a été très difficile, et le recrutement de son successeur s’est soldé par un échec. Les administrateurs ont alors pris conscience qu’ils ne retrouveraient pas la copie conforme de cet ancien responsable et qu’il fallait envisager de tourner une page d’un passé très apprécié. Une direction générale de transition, pendant quelques mois, a permis d’assurer le fonctionnement de l’association et d’accompagner la gouvernance pour définir le profil du futur directeur et changer d’état d’esprit dans l’approche de la direction générale. »

Situations explosives

Pierre Salomon distingue trois grands cas de crises, voire de ruptures managériales – « des cocottes minutes qui tôt ou tard explosent », selon sa formule, et qui vont aujourd’hui conduire des organismes gestionnaires d’établissements sociaux et médico-sociaux à recourir au management de transition pour régler les problématiques et assainir la situation. Premier scénario : pour des raisons de malversations financières, de choix stratégiques inadaptés, voire de problèmes de maltraitance ou de harcèlement, la direction d’un établissement est défaillante. Mais le conseil d’administration (CA) tarde à prendre conscience de la situation. Quand le directeur est mis sur la touche, l’association se rend compte alors des dégâts managériaux, financiers, organisationnels, de la perte de confiance avec les pouvoirs publics… Le deuxième cas de figure est celui du mélange des rôles. « Il s’agit d’institutions où les rôles respectifs de l’instance politique et de l’instance technique n’ont pas été respectés : un CA qui prend la place d’un directeur et qui l’empêche d’agir, un directeur qui a complètement “étouffé” son CA, ou un CA qui a fait une confiance absolue au directeur », liste le consultant. « Ces situations donnent lieu à un fonctionnement de l’institution sans contre-pouvoir. Il n’y a pas deux crises qui se ressemblent et, en même temps, toutes les crises ont des points communs. On retrouve toujours des problèmes de confusion de places : une secrétaire qui est devenue la confidente du directeur qui, dès lors, ne s’appuie plus sur l’encadrement intermédiaire, des aides-soignants qui ont “pris le pouvoir” dans un Ehpad… », illustre Pierre Salomon.

La troisième typologie est la plus fréquente : « Les évolutions techniques, réglementaires, notamment en termes de budgets et d’effectifs, font que les directeurs sont dans une posture de “gestionnaires de la pénurie”. De plus en plus, les CA ont fait appel à des directeurs qui sont de purs gestionnaires et vont gérer les ressources humaines uniquement en termes de ressources quantitatives, au détriment de tous les espaces de pensée (réunions pluridisciplinaires, travail d’analyse des pratiques, temps de relève…) qui permettraient de partager, de réguler les difficultés relationnelles avec les résidents ou entre salariés. » Selon le consultant du cabinet DirecTransition, « cette gestion purement technique du temps », sans soupapes de sécurité, va accélérer les risques d’embrasement social dans l’établissement.

Rejetant toutes les étiquettes de « faiseurs de miracles » ou de « Zorro », comment les managers de transition sont-ils accueillis par les équipes, les organisations syndicales, les résidents et les familles ? Du fait de la non-affiliation à l’association ou à l’établissement, cet expert extérieur, de passage, apporte dans ses bagages neutralité et objectivité. « Il y a des situations de crise où la structure est vraiment dans un état de tensions, de difficultés quotidiennes énormes. Un des éléments importants est la présentation de la mission de management de transition aux équipes. Ce n’est pas banal pour une association de faire appel à un manager de transition. Il est important de lui donner un sens », insiste Martine Pin, directrice du pôle médico-social, sanitaire et associatif du cabinet MCG Managers. « On ne gère pas une situation de crise avec des solutions préfabriquées mais en s’immergeant dans l’institution. Il est important de respecter l’histoire, la culture, voire les rituels des organisations. Autrefois, on utilisait les termes d’“audit impliqué”, qui signifient réaliser un audit de l’institution en s’immergeant et en étant en responsabilité, “les mains dans le cambouis”. Si on n’aborde l’intervention que du côté de l’organisationnel, du financier ou du technique, sans prendre en compte la complexité de l’humain, il y a neuf chances sur dix que l’on passe à côté de la problématique », avertit Pierre Salomon. « Une direction de transition n’a pas de sujets tabous et ne défend aucun intérêt. Elle travaille en transparence pour trouver le plan d’action le plus efficace, le plus pertinent pour l’association, l’établissement, les équipes et les résidents », ajoute Vincent Renault.

Interventions tardives

Mais si le management de transition tend à entrer davantage dans les réflexes « anticrise » du secteur social et médico-social, les interventions sont encore trop souvent tardives. Certes, dans un contexte de rigueur budgétaire, le coût élevé de ces prestations freine les associations – en particulier les petites – à opter pour cette solution de secours. « Une vacance de direction dans une structure de taille importante a des répercussions sur les cadres intermédiaires, car les chefs de service se trouvent vite sous pression, placés entre le marteau et l’enclume, entre la direction générale ou le conseil d’administration et le personnel. Le fait de ne pas agir quand il y a une difficulté managériale dans une structure va fragiliser l’équipe d’encadrement. Inévitablement, cela donne lieu a un absentéisme chez les professionnels qui se sentent moins soutenus, moins encadrés. Souvent, le point d’alerte est la dégradation de la qualité de la prise en charge des personnes accompagnées, avec des phénomènes sporadiques qui se produisent et qui vont remonter à une direction générale qui va chercher à trouver des solutions », explique Martine Pin.

Pierre Salomon insiste également sur la nécessité de réagir dès les prémices de la crise. Ou, du moins, quand l’incendie n’a pas atteint tous les étages et en amont de ce qui pourrait devenir des administrations provisoires. « Généralement, même si la crise a une origine bien ciblée, circonscrite, quand elle dure et s’enkyste, cela va générer des problèmes à tous les niveaux, avertit-il. Il y a de l’immobilisme, et l’organisme gestionnaire se retrouve avec des investissements qui ne sont plus faits, des amortissements qui ne sont plus à la hauteur, une vétusté des locaux qui ne peut plus être rattrapée faute de trésorerie, une confusion des places, des organigrammes inadaptés, une perte de confiance avec les pouvoirs publics. On nous appelle encore souvent quand il y a déjà eu beaucoup de dégâts. »

La raison ? « Peu d’associations sont aujourd’hui structurées pour être attentives aux signaux faibles annonciateurs d’une crise. Le secteur social et médico-social n’a pas de culture du “contrôle” dans une optique d’amélioration continue de la qualité. Le pilotage des établissements est beaucoup trop centré sur l’économique et le contrôle de la masse salariale », analyse Martin Pin. Et d’ajouter : « Malgré la mise en place des process qualité, les directions générales des grosses associations ou les conseils d’administration des associations de petite taille ne font pas un reporting sur le métier, la qualité de l’accueil, le climat social ou ne disposent pas d’un tableau de bord global. La solution serait de faire des “revues” d’établissements, c’est-à-dire de s’intéresser périodiquement à telle ou telle structure, de la regarder dans toutes ses dimensions, et pas uniquement sur le volet “ressources humaines” ou financier. »

Partenaires du changement

Longtemps recrutés avant tout en qualité d’« urgentistes », de « pompiers de service », les managers de transition deviennent aujourd’hui des partenaires pour la conduite du changement, pour « booster » des transformations organisationnelles induites par les politiques publiques ou pour accompagner des projets stratégiques. « Les associations font face à des enjeux très importants en lien avec les évolutions et les mutations du secteur social et médico-social. Par exemple, la démarche “réponse accompagnée pour tous” génère la nécessité d’introduire de nouveaux dispositifs, de changer le modèle d’approche aux personnes handicapées ou dépendantes. Au niveau des directions générales et directions supports, il y a un mouvement de professionnalisation assez net, et donc un besoin à l’appui à la structuration des services centraux des associations », explique Martine Pin.

Vincent Renault admet également que les évolutions actuelles du secteur impactent le mode d’accompagnement des personnes, mais également les directions, le mode de management des structures. « Lorsqu’il y a un changement de direction, les associations s’interrogent sur le fait d’embaucher un profil à l’identique ou de saisir l’occasion de ce changement pour réinterroger leur fonctionnement, leur approche organisationnelle et chercher un profil de directeur plus ou moins différent. L’intervention d’un manager de transition va les aider à concevoir les évolutions de profil de postes nécessaires. » Et d’expliquer : « Incités par les pouvoirs publics à s’engager dans le virage inclusif, certains organismes gestionnaires s’interrogent sur les évolutions à apporter à leurs structures, et cela va impacter forcément la nature du recrutement de la direction future. La mise en œuvre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) – dans le champ du handicap comme du grand âge – interroge l’exécution des budgets, donc l’organisation managériale des établissements et des directions d’établissements. » Vincent Renault note également une tendance à des regroupements de fonction de direction au sein des associations pour s’inscrire dans la logique de parcours de la personne accompagnée. « Le cadre en intérim gère la continuité, le manager de transition gère le changement », résume une formule de la Fédération nationale du management de transition.

Un investissement profitable

Selon une récente étude de Robert Half, cabinet de recrutement spécialisé, les entreprises considèrent l’embauche d’un manager de transition comme un investissement profitable. La Fédération nationale du management de transition (FNMT) confirme que ce marché est en plein essor, avec environ 2 000 missions par an. La conduite de projet et la gestion du changement restent les fers de lance du management de transition, avec 61 % du nombre de missions réalisées. « La gestion de crise est en nette perte de vitesse, représentant 9 % du total, battant en brèche l’image d’Epinal d’interventions exceptionnelles qui a longtemps collé au management de transition », note la FNMT. Le management relais a fortement progressé en 2017, avec 28 % des missions (+ 6 points par rapport à 2016), positionnant le management de transition comme un outil de plus en plus utilisé en cas de vacance de poste.

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