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Le grand débat des « invisibles »

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Restos du cœur, Petits Frères des pauvres, Fondation Abbé-Pierre… Nombreuses sont les associations qui s’impliquent dans le grand débat pour faire entendre la parole de leurs publics, en n’hésitant pas à s’écarter des jalons posés par l’exécutif pour encadrer la concertation. Dans cet exercice de démocratie directe, l’initiative peut surprendre. Eclairage.

LE GRAND DÉBAT FAIT DES ÉMULES. A mi-parcours, plus de 7 000 réunions ont été planifiées, 1,7 million de visiteurs uniques se sont rendus sur le site officiel de l’événement pour y poster pas moins de 850 000 contributions. La concertation, lancé le 15 janvier par l’exécutif, veut brasser large. Même l’administration pénitentiaire devrait organiser des consultations ouvertes aux détenus dans la totalité des 188 établissements carcéraux, alors même que le syndicat CGT pénitentiaire – pour qui l’heure est aux mobilisations et aux blocages, dans le cadre d’une entente syndicale – s’alarme des conditions de leur tenue.

Pour une partie du secteur associatif, en revanche, c’est l’occasion de faire entendre la voix des personnes en situation de vulnérabilité, sans toujours respecter le cadre – qu’il s’agisse des sujets ou des supports – proposé par le gouvernement.

Se réapproprier l’espace de discussion

Et chacun y va de son initiative. L’Association des paralysés de France (APF) France handicap a ouvert, depuis le 6 février, sa propre plateforme de consultation citoyenne dédiée aux revendications « des 12 millions de personnes en situation de handicap et de leurs proches » sur laquelle cinq projets de consultation sont proposés : respect et liberté des droits fondamentaux, accès à la cité, accès à l’emploi et à l’éducation, reconnaissance d’une protection sociale et garantie d’une vie sociale et familiale épanouie. « Partager avec les citoyens les difficultés rencontrées par les personnes handicapées est important, car la simple présence physique rend visible le handicap dans le débat », remarque Patrice Tripoteau, directeur général adjoint d’APF France handicap. « Mais il n’est pas toujours évident pour elles d’exprimer leurs préoccupations, et il est difficile d’entrer dans les cases proposées par la plateforme officielle. Cependant l’exécutif a indiqué que tous les sujets étaient ouverts. » Point donc de double emploi, pour l’APF, entre les différents sites destinés à recueillir les propositions citoyennes. « La plateforme lancée par les “gilets jaunes” comporte aussi des rubriques dédiées au handicap. L’ensemble des dispositifs se complètent pour donner les moyens aux personnes de s’exprimer par différents biais. »

Le Secours populaire français a choisi, lui, de rester fidèle au format papier avec ses cahiers « Le dire pour agir », qui visent à nourrir les échanges via le recueil de témoignages, que ce soit ceux des collecteurs-animateurs bénévoles de l’association ou des personnes en situation de pauvreté qu’ils soutiennent. Présents dans les permanences d’accueil de solidarité et les relais-santé, ils peuvent être remplis par les familles qui le souhaitent, avec des feuillets spécifiquement destinés aux enfants.

« Nous avons établi une liste des aspects qui nous paraissent utiles à souligner dans les débats », détaille Henriette Steinberg, secrétaire générale de l’association. « Les priorités que nous proposons concernent les jeunes, les parents isolés, les personnes âgées, les populations sans titre de séjour souvent utilisées par des employeurs indignes. Il faut aussi parler des conditions de vie inégales sur le territoire, car penser que l’on va résoudre cette question par une meilleure couverture numérique témoigne d’une ignorance absolue de la réalité, et ne répond en rien à la suppression des services publics. »

De son côté, la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) a mis en place une « consultation citoyenne complémentaire » au grand débat. Considérant que « de nombreuses interrogations fondamentales relatives aux questions de solidarité restent absentes de ce débat », la FAS propose à ses adhérents une note méthodologique, sorte de mode d’emploi pour organiser des réunions locales. Un questionnaire « complémentaire » à celui utilisé officiellement dans le cadre du grand débat est également diffusé, s’écartant assez largement des thématiques de ce dernier. « Le questionnaire national n’était pas en phase avec les préoccupations personnelles et quotidiennes des personnes », relève Florent Gueguen, directeur général de la fédération. « C’est pour cela que l’on a rédigé un questionnaire plus spécifique, assez simple, sur les thématiques d’accès à l’emploi, au soin, au logement ou à l’hébergement, les conditions d’accueil des migrants, le droit au transport ou à la mobilité. »

Accompagner la participation

Une mobilisation des « invisibles » que Florent Gueguen juge nécessaire pour faire entendre leurs besoins à un gouvernement dont les mesures dégradent le pouvoir d’achat des plus précaires. Pour « mettre un coup de pression supplémentaire ». Mais cette implication ne va pas de soi. « Ces personnes ne vont pas naturellement dans les lieux d’expression, s’expriment peu dans les réunions publiques, s’abstiennent beaucoup, ne manifestent pas », poursuit le directeur de la FAS. « Il y a des comportements d’autocensure, de honte sociale qui empêchent de parler de sa situation personnelle, et qui conduisent à s’écarter des endroits de participation collective. Le grand débat n’innove pas, il rend national un exercice qui existe déjà dans un certain nombre de collectivités locales. Mais, dans les conseils de quartier par exemple, il y a toujours des mécanismes de sélection et de censure qui font que les personnes les plus en difficulté n’y vont pas. Cette expression ne se décrète pas par le haut et doit être accompagnée par la société civile. »

L’occasion pour les corps intermédiaires, dont beaucoup se sont plaints de voir leur participation minorée lors de phases de concertation avec l’exécutif, de réaffirmer leur rôle en tant qu’interlocuteurs privilégiés de la société civile. « Nous rappelons en permanence au gouvernement que nous souhaitons participer à la construction des politiques publiques », s’indigne Patrice Tripoteau. « Nous sommes les porte-paroles de milliers de personnes, la synthèse de leur expression, le relais de leur colère et de leurs propositions. »

A la clé de cet exercice de démocratie directe, des remontées à la pelle, parfois à rebours des plaidoyers portés par chaque association. Un grand écart qu’est prête à assumer la Fédération des acteurs de la solidarité, explique Florent Gueguen. « Notre rôle dans ce débat n’est pas de porter les propositions des associations, mais la parole des personnes, même si certaines choses ne correspondent pas à ce que nous portons en tant que réseau. C’est le jeu de la démocratie. »

« Les revendications partent dans tous les sens, et sont parfois contradictoires », ajoute Benoît Calmels, délégué général de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale. « Mais à la fin, des comptes seront demandés, les gens n’auront pas débattu juste pour débattre. La question de la suppression des services d’aide à domicile peut être abordée. Mais avoir un service de police municipale, mettre une sculpture monumentale d’art contemporain au milieu d’un rond-point coûte aussi de l’argent. L’essentiel, c’est que les futurs choix soient politiques et non technocratiques. »

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