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« L’implication est une chose, le militantisme en est une autre »

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Magistrat, ancien juge des enfants et ancien membre du Ministère de la justice pour la protection judiciaire de la jeunesse
Lors de votre intervention durant cette journée d’étude, vous avez parlé d’un flou artistique concernant la situation des mineurs non accompagnés… Qu’entendez-vous par là ?

Actuellement, c’est le règne de la confusion. On a, d’un côté, des débats politiques très forts entre l’Etat et les départements et, de l’autre côté, une militance très importante, tant chez les avocats ou les magistrats que dans des associations en faveur des MNA [mineurs non accompagnés]. Intervenir dans ce climat émotionnel extrêmement conflictuel et un peu exacerbé pose un certain nombre de difficultés. Ce à quoi s’ajoute une multiplication des dossiers qui concernent les MNA. Preuve en est à la cour d’appel de Paris, qui, en cinq ans, a vu la part de ces dossiers passer de 5 % à 25 %, alors que l’activité générale de la cour a été multipliée seulement par deux (de 500 à plus de 1 100 dossiers). Une spécificité qui n’a pas d’impact sur les jugements car, pour le juge des enfants, la problématique n’est pas que le jeune soit accompagné ou non, mais, primo : « le jeune est-il mineur ? », secundo : « est-il en danger ? » et, tertio : « comment peut-on pallier le danger ? ». Après qu’il soit d’origine française, étrangère ou autre, cela ne change rien.

En tant que magistrat, vous défendez un positionnement très tranché et personnel sur la place du juge des enfants. Quel est-il ?

Le problème est que, aujourd’hui, on fait jouer aux juges des enfants un rôle qui se situe entre la politique migratoire et l’arbitrage entre l’Etat et le département. Cela n’est pas sain, car ce n’est pas notre boulot. Notre travail en assistance éducative est d’intervenir pour prendre des mesures de protection. Quand ces mesures portent atteinte aux droits des parents ou aux droits des enfants, c’est le rôle de l’autorité judiciaire, garante des libertés individuelles.

Aujourd’hui, nous avons des intéressés qui sont demandeurs, qui n’ont pas de représentant légal en France. Pour moi, cela ne relève donc pas du juge des enfants mais du juge des tutelles. Alors, sans doute faut-il que le juge des enfants intervienne dans un temps court lorsqu’il n’y a pas encore de représentant légal désigné auprès du jeune. Mais après, c’est le maintenir dans une situation d’enfant en danger sans représentant légal. De plus, on va déléguer une partie de l’autorité parentale au département, ce qui n’est pas possible juridiquement. Cet élément nous amène encore à nous décaler par rapport à notre rôle et à faire des choses que la loi n’autorise pas.

Durant votre prise de parole, vous avez dénoncé le militantisme des professionnels qui, selon vous, dessert les mineurs non accompagnés…

Effectivement, c’est souvent le cas. Par exemple, lorsque des associations vont tenter d’obtenir, vaille que vaille, un jugement supplétif pour renforcer le poids d’un extrait d’acte de naissance, cela va parfois à l’encontre du jeune. Bien que le juge n’ait pas toujours besoin d’un tel jugement, il arrive que l’on se rende compte que ce document a été demandé par le père de l’intéressé, dans le pays d’origine, un père dont on nous a dit qu’il était mort et que son décès était à l’origine de la migration. Donc cette démarche ne sert pas le jeune, bien au contraire. Personnellement, j’ai vu nombre de mineurs arriver avec des documents d’identité obtenus avec l’aide d’une association ou d’un service éducatif auquel ils avaient été confiés et qui comportent une empreinte digitale, alors que le document a été fait dans le pays d’origine à un moment où le jeune n’y était pas. Donc cela ne peut pas être son empreinte et c’est un faux. A certain moment, il faut être vigilant car le cœur devient tellement gros qu’il vous bouche les yeux. Ce militantisme fait que chacun est décalé par rapport à sa place institutionnelle. Nous, juges des enfants, nous avons subi des attaques qui remettaient en cause notre intégrité car nos décisions ne convenaient pas notamment aux associations. Aujourd’hui, il faut que l’on se reparle les uns et les autres pour se rappeler les règles qui régissent ce domaine. Il ne faut pas oublier que quand on est dans l’exercice d’une fonction, on est sous un cadre. L’implication est une chose, le militantisme en est une autre.

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