Elle ne demande rien. Elle ne veut rien devoir à personne. Et puis d’abord, elle n’a aucun droit, elle le sait.
Il ne demande rien. Il est perdu, il y a trop de démarches, trop de formulaires, trop de papiers à fournir.
Elle ne sait pas comment s’y prendre. Où faut-il se rendre ? A qui faut-il parler ? Quand ? Comment ? Tout est tellement compliqué !
On lui a demandé de faire une lettre, mais il a buté sur les premiers mots. Il n’a pas osé demander de l’aide, il avait peur qu’on se moque de lui. Alors il a renoncé.
Ses parents ont une très bonne situation. Ses amis aussi. Lui aussi, jusqu’à l’an dernier. Un bon poste, une belle maison, une vie agréable. Mais sa boîte a eu des difficultés, et il a été licencié. Il a retrouvé un travail, mais il gagne beaucoup moins, et il doit payer le crédit de la maison et de voiture, les études des enfants… Il se sent acculé. Comment faire ? Les aides, c’est pour les autres, pour ceux qui ne travaillent pas, pour ceux qui n’ont aucun bien. Ça n’est pas pour lui, il en est sûr.
Elle est allée prendre rendez-vous chez le dentiste. La secrétaire lui a froidement annoncé qu’ils ne prenaient pas les patients CMU. Il y avait un petit air de dédain chez cette femme. Dans la salle d’attente, les patients ont clairement entendu l’échange. Certains ont tendu le cou pour voir la scène. Elle a eu honte. Honte d’être pauvre. De ne pas être « assez bien » pour ce praticien. Elle est repartie. Mais qui doit avoir honte ? Celui qui a un droit ou celui qui refuse de faire son devoir ?
Il a peur qu’on lui demande de rembourser. Elle a honte de demander.
Il a peur de croiser ses voisins dans la salle d’attente. Il ne sait pas, il ne connaît pas.
Il ne veut pas être « un assisté ». Que vont penser ses enfants ?
Moi, Florine, je les reçois les uns après les autres. J’écoute leurs vies. J’écoute leurs doutes, leurs renoncements, leur honte. Dans ma tête défilent des sigles : RSA, CMU, APL… Je dis, j’explique, je propose.
Non, monsieur, vous n’avez pas à avoir honte.
Oui, madame, vous avez le droit d’être aidée.
Non, vous n’aurez pas à rembourser.
Oui, on peut vous aider pour les démarches et les formulaires à remplir.
Il y a eux, et il y a tous les autres. Ceux que je ne reçois pas. Ceux qui ne viennent pas, qui ne savent pas, qui n’osent pas. Ceux que personne ne va chercher. Ceux qui se font oublier. Ceux qui ne font aucun bruit, qui suffoquent en silence. Combien sont-ils, ceux qui ne demandent rien ? Quelles sont leurs vies ? Comment répondre à leurs besoins s’ils ne les expriment pas ?
RSA, CMU, APL, allocations familiales… Des milliards d’euros qui dorment sagement dans les caisses de l’Etat et des départements…
Des milliards d’euros pour des millions de vies… Pour se faire soigner, pour payer son logement, pour rembourser une dette… Pour vivre, tout simplement.
Il est plus facile de traquer les trop-perçus que les non-recours. Plus rentable aussi.
Plus facile de montrer du doigt ceux qui, aux yeux de certains, « demandent trop », que de tendre la main à ceux qui ne demandent pas assez.
Les droits, les devoirs, l’Etat, les citoyens… Donner et recevoir, dans la réciprocité. Tout simplement.