COMMENT MAINTENIR DANS L’EMPLOI UN TRAVAILLEUR dont le handicap se déclare en cours de parcours professionnel ? La réflexion autour de cette question était l’objet d’une des tables rondes du colloque européen sur le handicap au travail, qui avait lieu les 7 et 8 février à Paris. L’événement, organisé par le ministère de la Justice, en partenariat avec la direction générale de l’administration et de la fonction publique et le fonds d’insertion des personnes handicapées de la fonction publique (Fiphfp), a suscité nombre de discussions contradictoires, la pluralité des intervenants n’y étant pas étrangère. Rien que pour débattre de ce point spécifique étaient présents autour de la table une haute fonctionnaire, un consultant en ressources humaines, ainsi que des représentants d’une espèce rare qu’il n’est pas souvent possible d’apercevoir dans le milieu des colloques, des représentants syndicaux.
« Même à l’âge du tout dématérialisé, on peut trouver des solutions qui permettent de former une personne qui ne peut plus travailler physiquement à un autre type d’emploi », avance Alexandra Karwat, haute fonctionnaire au ministère fédéral des Finances allemand. « En France, un sapeur-pompier devenu handicapé a pu se reconvertir dans la sensibilisation d’autres pompiers aux bons gestes pour sauver des personnes en fauteuil roulant. »
Christian Ferrari, directeur général chez Homega et spécialisé sur les questions de maintien dans l’emploi des salariés fragilisés, décrit ces profils auxquels l’entreprise est de plus en plus confrontée. « Ce sont des salariés qui ne peuvent plus occuper l’emploi pour lequel ils ont été recrutés pour de multiples raisons : usure, âge, accident de la vie… » Parallèlement, l’entreprise a du mal à trouver des solutions toujours « dignes et respectueuses » en raison de « limites techniques et économiques », comme la disparition des emplois « doux » (type conciergerie), le recentrage sur le cœur de métier… Mais le maintien aveugle au même poste signifie à terme la marginalisation du collectif de travail concomitamment à la baisse de productivité. « Ces personnes ont perdu confiance en elles, leur image d’elles-mêmes se dégrade », poursuit Christian Ferrari. « Il faut les sortir temporairement du collectif, et chercher des activités dignes dont elles peuvent s’emparer de façon autonome. On peut ainsi redonner du temps aux opérateurs, ou éviter d’acheter à l’extérieur des activités qui peuvent être réalisées en interne. »
Mais attention à la tentation de la reconversion administrative automatique, prévient Alain Bassuel, de l’UNSA Justice. « Les collègues de l’administratif se sentent dévalorisés car on leur dit : “Vous n’êtes bons qu’à accueillir des personnes en situation de handicap.” Il faut valoriser au maximum l’adaptation au poste », et ainsi privilégier le maintien dans l’emploi initial. « C’est possible. Un agent souffrant d’un handicap contracté en service peut revenir et dire lui-même s’il n’est plus apte à accomplir ses missions. Au pire, cela peut être l’occasion pour lui de faire le deuil de son métier. » Pour Henri-Ferréol Billy, cadre de terrain affilié au Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires, c’est le système entier qui n’est pas adapté au maintien dans l’emploi. « Les cadres sont souvent démunis face au handicap, ils manquent de formation. Il y a aussi un manque de souplesse dans l’administration : un agent qui voulait arriver 10 minutes plus tôt dans le cadre d’une adaptation de poste a vu sa demande refusée pour des questions de sécurité, sans qu’on lui précise lesquelles. Même pour décaler un simple bureau, on peut se retrouver face à un mur. »
« On croit avoir fait l’essentiel en proposant un job à une personne », ajoute Christian Ferrari. « Mais il existe une dynamique de deuil et d’acceptation. Il faut tenir compte du cheminement psychologique de la personne, et de ses envies. »