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Cap sur la coopération ?

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Faute d’une véritable coopération entre la psychiatrie, le social et le médico-social, le parcours de soins et de vie des personnes atteintes de troubles psychiques est encore trop souvent parsemé de ruptures. Des efforts restent à faire pour surmonter les obstacles et… briser les tabous.

LA PRISE EN CHARGE DES PERSONNES ATTEINTES DE TROUBLES PSYCHIQUES va-t-elle – enfin – s’inscrire dans une dynamique de « parcours de santé et de vie de qualité, sécurisés et sans rupture » ? C’est l’un des enjeux de la mise en œuvre des projets territoriaux de santé mentale (PTSM) d’ici juillet 2020. Prévus par la loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016 (article 69), les PTSM doivent notamment favoriser « la prise en charge sanitaire et l’accompagnement social ou médico-social de la personne dans son milieu de vie ordinaire et permettre la structuration et la coordination de l’offre de prise en charge sanitaire et d’accompagnement social et médico-social ». « Les partenaires du champ sanitaire, médico-social et social disposent désormais d’un outil unique et sans équivalent pour l’élaboration en commun d’une réponse au plus près des besoins et aspirations des personnes concernées. Ils le coconstruisent sur la base d’un diagnostic territorial qu’ils ont réalisé ensemble et dont ils ont partagé les constats. La gouvernance du PTSM est à même d’intégrer la grande diversité des acteurs mobilisables sur le territoire », saluaient en juin dernier, des acteurs du secteur(1). Le colloque « Psychiatrie : sortir de l’état d’urgence », organisé par l’Institut Montaigne, la fondation FondaMental et Coopération Santé au Palais Bourbon à Paris, en octobre dernier, listait l’ensemble des indicateurs qui font de la psychiatrie un système à bout de souffle : un pilotage hospitalo-centré, un manque d’alternatives à l’hospitalisation à temps plein, un manque de coopération, de fortes disparités territoriales… « Dans ce contexte, l’élaboration des PTSM apparaît comme une opportunité intéressante de repenser l’organisation des soins en impliquant l’ensemble des parties prenantes (élus, acteurs sanitaires, sociaux, médico-sociaux, patients, représentants associatifs, Education nationale, police…) », considère la fondation FondaMental, qui ajoute que « le défi est toutefois d’ampleur du fait du peu de contraintes qui pèsent sur les acteurs. Le pilotage comme la coordination s’avèreront décisifs. »

Décalage avec les besoins

Qu’en pense-t-on du côté des principaux concernés ? « Les PTSM doivent permettre aux acteurs de mieux se connaître, de travailler ensemble, faire des propositions, mais ils ne vont pas résoudre les difficultés qui existent dans la prise en charge et de l’accompagnement des personnes ayant des troubles psychiques », analyse Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam). « Il manque cruellement d’une offre médico-sociale et d’une réponse sociale pour les personnes vivant avec des troubles psychiques. Pour avoir une place dans un Samsah, certaines familles attendent trois ou quatre ans, ça n’a plus aucun sens ! Pour que les deux secteurs fonctionnent en synergie, il est nécessaire que le médico-social ait une capacité d’offre et que le sanitaire, de son côté, comprenne qu’il ne peut pas tout faire. Mais aujourd’hui, on manque cruellement de chiffres qui identifient correctement les personnes, évaluent précisément leurs besoins et ce que cela signifie en termes de besoins de financement. Il faut qu’il y ait une réelle étude médico-économique qui permette d’établir la complémentarité entre le médico-social, le social et le sanitaire », souligne-t-elle.

Contributrice au livre « Psychiatrie : l’état d’urgence »(2), Annick Hennion, directrice de la Fondation Falret, établit un constat sévère sur l’insuffisance comme l’inadaptation de l’offre sociale et médico-sociale à destination des personnes atteintes de troubles psychiatriques. « La politique d’accompagnement des personnes en souffrances psychiques bute sur une vision dépassée du handicap, comme une déficience établie, immuable et incurable. Or, le handicap psychique est évolutif et réversible. La loi du 11 février 2005 n’a pas reconnu la spécificité des stratégies d’accompagnement à mettre en place pour contribuer au rétablissement des personnes malades », juge-t-elle. Conséquence ? Selon elle, l’action de la puissance publique impose « une lecture binaire du parcours des individus » : soit ils sont malades et relèvent du sanitaire, soit ils sont handicapés et relèvent du médico-social, l’entre-deux est un impensé de l’action publique. « C’est faire fi de la complexité des parcours de vie, et cela produit des dispositifs qui, bien que financés par l’Etat, sont en décalage avec les besoins réels d’une grande partie de la population concernée. C’est tout l’accompagnement dans le champ social et médico-social des personnes atteintes de maladies mentales qui est à repenser », considère-t-elle.

Jacques Marescaux, président de la fédération Santé mentale France, pointe le fait que le sanitaire, d’une part, et le social et médico-social, d’autre part, soient « des systèmes juridiques, administratifs, financiers complètement dissociés ». Ce qui explique la persistance de freins et de ruptures dans les parcours de soins et de vie. « Les procédures d’admission dans le secteur sanitaire et médico-social obéissent à des règles et des temporalités différentes. Quand un patient pourrait sortir d’hospitalisation, le sanitaire se plaint qu’il faille du temps pour obtenir une réponse d’admission dans une structure médico-sociale. A l’inverse, le médico-social déplore les difficultés pour obtenir une consultation en centre médico-psychologique [CMP] ou un retour en l’hospitalisation pour un résident souffrant de troubles psychiques », illustre-il. Des efforts restent à faire également en termes de formation et de culture professionnelle. « Il existe encore de jeunes psychiatres qui, en fin d’études, ne savent pratiquement pas ce qu’est le médico-social et en ont une vision extrêmement théorique. De la même façon, les professionnels du secteur médico-social n’ont eu aucune formation en matière de psychiatrie. Les PTSM ne régleront pas les problèmes de cadre général mais ils permettront partout sur les territoires que les uns et les autres se rencontrent. Toutefois, si on veut que les PTSM réussissent vraiment, ils ne peuvent pas se limiter seulement au sanitaire, social et médico-social », analyse Jacques Marescaux.

Encore trop de ruptures de parcours

« Les pouvoirs publics parlent beaucoup de “société inclusive”, on y croit vraiment, mais ce concept a un coût et il faut envisager cet accompagnement. Or, aujourd’hui, il y a encore des ruptures de parcours gravissimes qui ont des conséquences extrêmement importantes en termes de suivi, de précarité, d’incidences familiales », met en garde Marie-Jeanne Richard. « La fermeture des lits dans les hôpitaux psychiatriques a été une bonne idée en soi. Mais faut-il pour autant mettre en place les accompagnements nécessaires pour permettre à la personne atteinte de troubles psychiques de vivre en tant que citoyen dans la cité et d’avoir accès à ses droits fondamentaux ? Il faut un bilan fonctionnel pour ces personnes et en même temps un bilan social. Pour avoir des parcours “proactifs”, la sortie [d’hospitalisation] doit être pensée dès l’entrée et il faut une palette d’offres et la possibilité pour la personne elle-même d’exprimer ses besoins. Et pour cela il faut un bilan social », explique la présidente de l’Unafam.

Dans l’ouvrage « Psychiatrie : l’état d’urgence », Marion Leboyer, professeur de psychiatrie, responsable du pôle psychiatrie et d’addictologie au CHU Henri-Mondor de Créteil et directrice de la fondation FondaMental, et Pierre-Michel Llorca, professeur de psychiatrie, chef de service au CHU de Clermont-Ferrand, préconisent la création d’une nouvelle fonction, celle de « case manager », afin d’améliorer le parcours de soins et de vie des malades et favoriser ainsi leur rétablissement. « Ce dernier assure, pour un patient donné et pendant une durée donnée, la coordination et la continuité des liens entre l’hôpital, le domicile, les équipes mobiles, le médecin traitant et les acteurs du social et médico-social. Plusieurs types de profils de soignants, comme infirmier, assistant social ou psychologue, peuvent se former au métier de case manager », précise la fondation FondaMental. Marie-Jeanne Richard reconnaît que ce chaînon, aujourd’hui manquant, serait bien utile puisque dans certains pays, « comme la Suisse ou le Canada, ces expériences ont fait leurs preuves, très tôt, dès que la personne commence à présenter des troubles psychiques ». Jacques Marescaux considère également utile d’organiser l’intervention des différents acteurs, même si « toutefois, cela ne doit pas masquer le besoin d’une simplification et d’une harmonisation du cadre législatif et réglementaire », insiste-t-il. Et d’ajouter : « Plus que de coordonnateur de parcours, on pourrait parler d’assistant de parcours si on veut bien admettre que c’est la personne atteinte de troubles psychique qui est, elle-même, l’acteur principal de son parcours et non “un pion” entre les mains de professionnels. »

Afin de favoriser cette approche intersectorielle à l’échelle du territoire et coordonner des réponses, des dispositifs innovants ont déjà vu le jour, comme par exemple, les conseils locaux de santé mentale (CLSM) ou les commissions « santé mentale » des conseils locaux de santé. « Les CLSM fonctionnent mieux quand il y a un accord entre les collectivités territoriales et les agences régionales de santé pour financer des postes de coordonnateurs. Nous souhaitons que les usagers soient davantage représentés dans les CLSM, ce qui n’est pas encore le cas », précise Jacques Marescaux. « Il est important de soutenir les associations de patients pour leur donner la possibilité de s’exprimer au nom de ce qu’ils sont », insiste la présidente de l’Unafam. « On souffre en France d’un émiettement des représentations des usagers. Dans le domaine du cancer, il y a de grandes associations. En psychiatrie, on manque d’une grande association d’usagers de santé mentale présente partout en France et qui puisse peser sur les choix politiques, auprès des parlementaires, pour obtenir des ressources. C’est une perte de chance pour le secteur », regrette, pour sa part, Jacques Marescaux.

Le coût financier des troubles psychiques

Les situations de handicap psychique sont reconnues depuis la loi de 2005. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 1 Français sur 5 sera touché par des troubles psychiques en 2020. Les troubles mentaux (maladies psychiatriques ou consommations de psychotropes) représentent le premier poste de dépenses du régime général de l’assurance maladie par pathologie, avant les cancers et maladies cardio-vasculaires, soit 19,3 milliards d’euros. Le coût économique et social des troubles mentaux est évalué à 109 milliards d’euros par an, dont : 65 milliards pour la perte de qualité de vie, 24,4 milliards pour la perte de productivité liée au handicap et aux suicides, 13,4 milliards dans le secteur médical, 6,6 milliards pour le secteur médico-social. Selon le rapport annuel de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la santé en Europe publié en novembre dernier, les problèmes de santé mentale coûtent à la France 80 milliards d’euros par an, soit 3,7 % points de son PIB. A noter que l’OCDE a établi un panel très large de personnes ayant des problèmes de santé mentale, allant des schizophrènes jusqu’aux personnes souffrant de déprime légère ou dépendantes à l’alcool.

Notes

(1) La Fnapsy, l’Adesm, la Conférence nationale des présidents CME/CHS, l’Unafam et la FHF.

(2) « Psychiatrie : l’état d’urgence » – Marion Leboyer, Pierre-Michel Llorca – Editions Fayard, 2018.

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