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La lutte ne fait que commencer

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En France, en matière de combat contre la prostitution des mineurs, les choses commencent à évoluer, mais les pouvoirs publics doivent réfléchir à un plan d’action globale, mêlant la sensibilisation des enfants et la formation des professionnels.

SUR LA QUESTION DE LA PROSTITUTION DES MINEURS, « je note un frémissement, mais on voit bien qu’il y a encore beaucoup de progrès à faire ». D’une formule, Geneviève Avenard dresse un état des lieux implacable de la situation dans l’Hexagone. Tout en relevant « une prise de conscience de la réalité et de l’importance des phénomènes de prostitution des enfants », la défenseure des enfants témoigne d’un certain nombre de retards pris. « Pour exprimer mon impatience, je me réfère aux observations du comité des droits de l’enfant[1], explique-t-elle. Après avoir examiné, en 2007, l’application par la France du protocole facultatif portant sur la vente d’enfants et sur la prostitution infantile, il avait fait un certain nombre de recommandations pour améliorer l’action globale à conduire en faveur des victimes. En 2016, ce même comité des droits de l’enfant a regretté le fait de ne pas disposer d’informations de la part de la France sur les recommandations faites. » Comme un rappel à l’ordre…

Dans le cadre d’un plan d’action global opérationnel de prévention et de protection « fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant », Geneviève Avenard exhorte les pouvoirs publics « à prendre en compte, de manière adaptée, la vulnérabilité des enfants ». Une vulnérabilité accrue auprès de certaines populations. Parmi elles, « les enfants sans état civil, ceux qui sont à la rue, ceux qui sont séparés ou non accompagnés, ceux placés en institution », énumère l’adjointe au défenseur des droits, Jacques Toubon. D’où son souhait d’« un plan d’action dédié ».

Mais quand on parle de plan d’action spécifique aux enfants, « cela passe par l’amélioration des connaissances du sujet », prévient-elle. « A l’heure actuelle, celles-ci sont insuffisantes pour éclairer l’élaboration d’une politique publique. Or, en l’absence de connaissances, le problème est invisible et il a toutes les chances de le rester. »

« Des vies abîmées »

Pour Geneviève Avenard, une partie de l’effort à fournir doit porter sur la sensibilisation des enfants eux-mêmes. « Dans notre rapport annuel de 2017, nous avons traité la question de l’éducation à la sexualité en établissant neuf recommandations intégrant les aspects affectifs, psychologiques et sociaux, rappelle-t-elle. Il y a nécessité d’évaluer l’obligation qui pèse sur l’Education nationale de mettre en œuvre les trois séances d’éducation sexuelle dans les établissements scolaires. Dans nos recommandations, il est préconisé que l’ensemble des parties prenantes soient formées aux techniques d’animation, de manière à favoriser les échanges entre et avec les jeunes, lors des séances éducatives. »

Sexologue à l’association Charonne et formatrice en santé sexuelle auprès des professionnels, Claude Giordanella fait partie des acteurs en prise directe avec cette réalité méconnue. « Ces jeunes ont des activités qui nous sidèrent, mais ce sont avant tout des ados », témoigne-t-elle. Depuis trois ans, elle suit quelque 130 jeunes sur Paris, dans le Val-de-Marne et dans l’Essonne. « Ne vous inquiétez pas, madame, moi je maîtrise, j’étais consentante », entend-elle en consultation de la part de jeunes filles. « Mais elles n’ont pas forcément la même notion de consentement que nous », constate-t-elle. Au sujet de ces jeunes parfois égarés, la spécialiste évoque « une fable personnelle qu’ils se construisent à travers les médias, les publicités, la musique, des modèles médiatiques ». Chez ces ados qu’elle accueille, il y a « des vies abîmées », retient-elle : « C’est lié à des cas de violences sexuelles ou physiques, à des humiliations, à des traumatismes, qui amènent à être en fragilité. Quand on a été un objet sexuel utilisé par un père, un grand-père, un voisin, un copain, pourquoi ne pas continuer dans cette voie dans la mesure où, en échange, on peut récupérer de l’argent, des produits de luxe, ou même espérer changer de milieu social ? » Claude Giordanella résume : « Tout l’enjeu de la consultation consiste à détricoter leur histoire et à essayer de voir les possibilités de faire autrement. » Avant d’insister sur la nécessité de « travailler en réseau afin de les accompagner au mieux ».

« On remarque, sur l’académie de Versailles, que le nombre de jeunes filles qui se prostituent augmente, illustre pour sa part Elisabeth Duforet, conseillère technique sociale à l’Education nationale, et elles ne sont pas forcément en foyer ou suivies par l’aide sociale à l’enfance (ASE). De plus en plus de ces jeunes sont encore à l’école. »

« La question de la prostitution des mineurs apparaît de façon massive en Bretagne, dans le Maine-et-Loire, en Ile-de-France, même dans la Creuse… », s’inquiète Hélène de Rugy, déléguée générale de l’Amicale du Nid (ADN). L’association est engagée dans l’accompagnement et l’insertion des personnes en situation ou en danger de prostitution. « Une prise de conscience sur cette question est en train d’émerger », affirme-t-elle à son tour, avant d’appeler à « une action de prévention à destination des jeunes filles comme des futurs « clients” ». Comme la sexologue Claude Giordanella, Hélène de Rugy invite elle aussi à la mise en réseau, mentionnant que la question du partenariat est « cruciale » : « La loi de 2016 a permis la création d’un comité départemental avec le préfet, le conseil général, des médecins… Cela ne résout pas tout, mais, par ce biais, les institutions ont la possibilité de se retrouver autour de ces questions. » Pour sa part, l’Amicale du Nid propose des formations permettant de « travailler les représentations liées à la prostitution des mineurs ». Hélène de Rugy alerte : « Ce n’est pas simple pour des professionnels. Ils n’en ont pas entendu parler durant leur formation initiale. Aussi, quand ils y sont confrontés, il y a une forme de sidération. Si on n’est pas préparé, on reste paralysé. »

La capacité des professionnels à réagir et à faire montre d’efficacité, tel est le second versant sur lequel la défenseure des enfants attend du volontarisme. « La formation, qu’elle soit initiale ou continue, est une autre dimension d’un plan d’action globale dédié aux enfants, appuie Geneviève Avenard. Formation à la question de la traite des êtres humains, à la lutte contre l’exploitation sexuelle et, plus largement, aux droits de l’enfant, à ses stades de développement, à ses besoins. » Le tout dans une logique de démarche collective. « Dans toutes nos recommandations, continue la défenseure des enfants, vient la problématique de la mise en relation des professionnels qui se retrouvent confrontés à ce genre de situation et des associations qui travaillent sur ce sujet et qui peuvent apporter un éclairage. On ne peut pas être spécialiste de tout. »

« Quand on cherche, on trouve »

De fait, la « politique globale » que Geneviève Avenard appelle de ses vœux « doit intégrer toutes les dimensions possibles et ne doit pas être sectionnée, fragmentée ». Chef de projet du pôle « traite des êtres humains » de l’association Bus des femmes et administratrice ad hoc près la cour d’appel de Paris, Vanessa Simoni abonde : « Médecins, psychiatres, police, justice, travailleurs sociaux… La traite est l’un des sujets où il y a le plus d’acteurs issus de différents domaines. Cela demande de décloisonner, et ce n’est pas toujours évident. » Même souci de la mise en commun des compétences du côté de Laure Beccuau, procureure de la République au tribunal de grande instance de Créteil. La prostitution des mineurs ? « Il y a rarement des témoins, c’est surtout une prostitution dans les appartements, via Internet, ou par voie de proximité, avec le bouche-à-oreille. C’est difficile de faire apparaître le phénomène, remarque-t-elle. Au parquet de Créteil, nous avons mis en place une politique volontariste de recherche d’infractions. Quand on cherche, on trouve. Nous mobilisons des partenaires extérieurs (service de police, protection judiciaire de la jeunesse, ASE, conseil départemental…) dans le but de recueillir les informations et de réduire ce “chiffre noir” à peau de chagrin. Il s’agit d’obtenir des renseignements dans les quartiers, d’interroger les adolescentes de retour de fugue, en partant du principe que ce n’est pas parce qu’elles sont jeunes que ça ne peut pas exister. »

La défenseure des enfants réclame quant à elle que la politique de lutte contre la prostitution des mineurs fasse l’objet d’une action spécifique, « au risque, quand cela concerne enfants et adultes, que les premiers soient oubliés ». Avant de conclure : « C’est malheureusement le constat que je fais régulièrement depuis ma prise de poste [en 2014, Ndlr]. A l’heure où un nouveau secrétaire d’Etat vient d’être nommé[2], la question de la cohérence d’ensemble et du respect spécifique des droits fondamentaux des enfants a le mérite d’être posée. »

Une zone de flou

« Concernant la prostitution des mineurs français, le premier constat est que l’on n’a pas beaucoup de certitudes », écrit l’association ACPE (Agir contre la prostitution des enfants) en préambule de l’édition 2018 de son rapport annuel sur l’exploitation des mineurs dans l’Hexagone. « Il n’existe à ce jour aucune étude de grande ampleur pour quantifier et qualifier le phénomène », poursuit l’association, reprenant en cela les constatations faites par le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE). « Il n’y a donc aucune réelle certitude sur le profil psychologique des victimes, sur leurs parcours d’entrée, leurs motivations, mais nous avons encore moins de connaissances sur les clients et sur les proxénètes », regrette l’ACPE.

Notes

(1) Placé sous l’égide de l’ONU, le Comité des droits de l’enfant est composé de 18 experts indépendants qui surveillent la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant.

(2) Adrien Taquet, député LREM, a été nommé secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance, le 25 janvier dernier. Il est attaché au ministère des Solidarités et de la Santé, que dirige Agnès Buzyn.

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